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CINECURE
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Delphine et Muriel Coulin
Voir du pays
Sortie le 7 septembre 2016
Article mis en ligne le 20 août 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Deux jeunes militaires, Aurore et Marine, reviennent d’Afghanistan. Avec leur section, elles vont passer trois jours à Chypre, dans un hôtel cinq étoiles, au milieu des touristes en vacances, pour ce que l’armée appelle un sas de décompression, où on va les aider à « oublier la guerre ». Mais on ne se libère pas de la violence si facilement…

Acteurs : Soko, Ariane Labed, Ginger Romàn, Karim Leklou, Andreas Konstantinou, Makis Papadimitriou, Alexis Manenti, Robin Barde.

 Sortir d’un terrain miné

Cinq ans après 17 filles, les soeurs Delphine et Muriel Coulin nous proposent un nouveau film avec un regard féminin sur un monde masculin, voire macho, celui de l’armée, en l’occurrence des militaires français qui reviennent d’Afghanistan après six mois d’une mission difficile et dangereuse. Nous le découvrons précédé d’une auguste récompense, celle du meilleur scénario dans la section Un certain regard du Festival de Cannes 2016. S’agissant d’un film relatif, notamment, à la gestion du stress post-traumatique, ce deuxième long-métrage nous intéressait d’autant plus que nous avons vécu de près l’attentat dans le métro de Maelbeek à Bruxelles. Rescapé d’une explosion à quelques mètres de nous, les séances durant plusieurs semaines avec une thérapeute nous ont aidé sans cependant tout résoudre. l’important étant cependant d’accéder à la parole pour dire l’impensable. Et c’est bien ce dont il s’agit dans ce film et là il ne s’agit pas d’une explosion, l’affaire de quelques minutes, mais six mois continus sur un terrain miné aux sens propre et figuré ! Notre propre expérience nous mène donc à voir d’autres éléments du film que ceux que les réalisatrices voulaient mettre en exergue (c’est pourquoi nous en reprenons certains à la fin de cet article).

 Voir du pays en huis clos

Voir du pays a le mérite de nous montrer comment l’Armée gère le stress de ses troupes grâce à un « sas de décompression ». Notre présupposé était que nous ne verrions pas de pays, pas plus que les protagonistes si ce n’est, au vu de la bande-annonce que par le biais de casques de réalité virtuelle et la verbalisation des expériences vécues. Et cette partie du film (partie car ce n’est pas que cela, nous y reviendrons) est très intéressante. Nous sommes presque dans un huis clos ! Les « acteurs » du terrain militaire n’y sont plus, mais face à leurs compagnons et compagnes d’armes, des officiers et des médecins ou thérapeutes. Ils font advenir leurs expériences à la parole. S’agit-il pour autant de la « réalité ». Ce qu’ils disent avoir vécu est-il le réel, la réalité ? Celle-ci n’est-elle pas vue par chacun-e de façon éminemment subjective ? Ce regard que chacun et chacune porte lui est propre et interfère cependant avec celui des autres. Au-delà du non-dit hier qui est dit et formulé aujourd’hui il y a le regard des autres qui se sentent impliqués par le dit d’aujourd’hui, générant frustration, colère, ressenti, esprit de groupe opposé à l’individu qui se démarque ou tente de le faire. Nous découvrons aussi comme cela rejaillit jusque dans l’intime des relations « amicales » ou affectives, mais aussi dans les moments de repos et de loisirs. Les uns et les autres flirtent avec une agressivité à fleur de peau. Nous sommes là dans le meilleur du film (est-ce cela qui lui a valu le prix cannois ?)... malheureusement, il arrive un moment où l’on sort du huis clos !

 Voir du pays à la frontière

Assez paradoxalement, c’est à partir du moment où deux autochtones proposent aux « héroïnes » Marine (Soko) et Aurore (Ariane Labed) de partir avec eux pour voir du pays que cette escapade nous fait sortir de la tension induite par le huis clos pour nous en proposer une autre (tension) au risque de paraître parfois artificielle. Certes, cette aventure avec Chrystos (Andreas Konstantinou) et Harry (Makis Papadimitriou) apporte une autre dynamique, notamment la découverte d’un village chypriote à frontière, le défoulement des soldates et des militaires qui les ont rejointes. S’y ajoutent la tension, la jalousie et le machisme jusqu’à l’apparition d’une certaine violence, si pas d’une violence certaine ! Malheureusement, certains ces aspects de cette partie - nocturne - du scénario fragilisent et obscurcissent celui-ci. C’est que (volontairement ou pas ?) le film s’ouvre ici à une dimension thriller totalement inopportune. Ce pays, aux frontières de l’Europe et de la Turquie, il faudra bien le quitter pour retrouver son corps (d’armée au moins) et surtout sa patrie. Après le temps du dire, vient celui du taire et des adieux avant de prendre la route des airs pour voir un autre pays, le sien, sa terre d’origine et s’interroger sur ce que l’on fera demain.

 Un fusil à ne pas montrer

Signalons pour terminer un élément - et même deux - du film qui non seulement nous ont dérangé, mais est apparu comme du « foutage de gueule » (désolé pour l’expression, mais nous sommes « remonté » !!). Lors de l’escapade avec Chrystos et Harry, on achète de l’eau pour se désaltérer et Chrystos met le reste dans le coffre de la voiture. A ce moment-là, la caméra montre un fusil et Chrystos le cache avec une couverture. Soit. De façon classique, le spectateur « omniscient » est ici informé d’un élément de l’intrigue qui souvent arrive (beaucoup) plus tard. C’est un équivalent d’un « regard caméra » qui nous dit « faites attention, gardez cela à l’esprit, cela va servir ». Plus tard, lors d’une séance de danse, rebelote : la caméra nous montre le visage et les yeux de Harry qui, en l’occurrence, n’apparaît pas comme l’ami qui vous veut du bien (ou plutôt si !). Bref, au-delà des références cinématographiques un peu nulles, le fait de voir une sorte de colère d’Harry nous conduit à envisager une suite « dramatique ». De nouveau, il s’agit de l’équivalent d’un regard caméra qui nous est adressé. Celui-ci, comme le fusil, donne au film une dimension qui outre qu’elle n’est absolument pas exploitée, n’est pas la sienne ! Elle donne à penser au spectateur (qui est le seul à savoir !) qu’il va y avoir une amplification dramatique de type thriller, ce qui est faux. Le film n’est pas un thriller (malgré l’épisode du retour la nuit après avoir heurté un bélier qui surfe sur une vague qui aurait sa place dans un film d’horreur, mais certainement pas ici). Si vous voulez pleinement profiter du film pour ce qu’il est et ce que nous croyons que les réalisatrices ont voulu y mettre, ne vous souciez pas de ces éléments inutiles, pervers et obscènes (au sens : qui ne devaient pas être montrés) du film. On finirait par se demander si ceux qui ont donné le prix du scénario ont vu le même film.

Hormis ce coup de gueule, il faut relever le jeu excellent des actrices et acteurs qui ont été bien choisis pour leurs rôles respectifs, principaux ou secondaires. Un film à voir donc, malgré tout et peut-être à cause d’autres éléments et du message - notamment « politique » - au sens noble de l’expression - qu’ont voulu faire passer Delphine et Muriel Coulin et que nous n’avons pas relevé, probablement parce que le « fusil de trop » a détourné notre regard de la scène, comme le fait un illusionniste (mais ici, il ne fallait pas détourner le regard mais nous ouvrir les yeux). Aussi nous vous invitons à lire le paragraphe suivant, extrait du dossier presse.

 Le regard des réalisatrices

Guerre et oubli
Il y a une certaine violence à faire croire à des jeunes qui s’engagent qu’ils vont avoir une vie pleine d’aventure, une situation enviable, et qu’ils vont voir du pays, sans que la guerre ne leur fasse aucun mal. Ces militaires ne s’attendent pas vraiment à ce qu’ils vivent au front – les traumatismes sont d’autant plus violents.

Quand ils rentrent et s’aperçoivent qu’ils ne sont pas fêtés en héros, la violence qu’ils ont en
eux ne demande qu’à resurgir. Le stress accumulé, l’hypervigilance constante, les mauvais souvenirs empêchent une vie au calme. Les militaires ne peuvent pas oublier la guerre – a fortiori en trois jours. Face à eux, les touristes qui dansent au bord de la piscine, eux, oublient qu’à 100 kilomètres de là une guerre a lieu. En Europe, nous sommes si protégés que notre sens de la réalité s’est atrophié. Nous avons oublié l’Afghanistan, presque oublié l’Irak, comme nous aimerions oublier la Syrie. Mais ces guerres ne peuvent pas être menées sans conséquences. Il est impossible – et peut-être pas souhaitable – d’oublier la guerre, les guerres, qu’on y ait participé de près, ou de loin. Chaque jour vient nous le rappeler. Voir du Pays traite de cela : comment réussir à vivre malgré tout, après avoir connu un épisode violent ?

Une tragédie en Europe

Le sas de décompression a lieu à Chypre. Cette île qui a appartenu à ce qui incarne le mieux la démocratie, la Grèce Antique, est aujourd’hui un des symboles de la crise politique et économique en Europe. Drôle d’idée, d’envoyer des soldats qui ont perdu une guerre (ou en tout cas, qui ne l’ont pas gagnée) dans un territoire synonyme d’échec. L’Europe affaiblie a raté une étape à la fin de la guerre en Afghanistan, et elle le paie aujourd’hui. Les guerres se poursuivent et se propagent. Les habitants des pays en guerre cherchent refuge, et passent par la Grèce, la Turquie, ou par Chypre. Il y a un lien entre ces guerres que nous avons menées et notre situation actuelle, que nous ne voulons pas voir.

 Bande-annonce :

VOIR DU PAYS Bande Annonce (2016)
VOIR DU PAYS Bande Annonce (2016)

Découvrez la bande annonce du film VOIR DU PAYS réalisé par Delphine Coulin et Muriel Coulin. Au cinéma le 7 Septembre 2016 !

Deux jeunes militaires, Aurore et Marine, reviennent d’Afghanistan...
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