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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Guillaume Nicloux (2014)
Valley of Love
Sortie le 17 juin 2015
Article mis en ligne le 6 juin 2015

par Charles De Clercq

Synopsis : Isabelle et Gérard se rendent à un étrange rendez-vous dans la Vallée de la mort, en Californie. Ils ne se sont pas revus depuis des années et répondent à une invitation de leur fils Michael, photographe, qu’ils ont reçue après son suicide, 6 mois auparavant. Malgré l’absurdité de la situation, ils décident de suivre le programme initiatique imaginé par Michael...

Acteurs : Isabelle Huppert, Gérard Depardieu, Dan Warner, Aurélia Thiérrée, Dionne Houle.

Ils avaient tourné ensemble dans Les Valseuses et dans Loulou. Nous retrouvons Isabelle et Gérard à l’écran pour y interpréter les rôles... d’Isabelle et de Gérard dans un tournage au désert où la chaleur atteignait 50 degrés nuit et jour et jusque dans la piscine.
Je vous propose une tentative de (re)lecture d’un film surprenant où l’intime de la fiction rejoint celui de ses acteurs qui semblent avoir fait place à des moments d’improvisation, probable mise en abîme de leur vie dans un récit de deuil.

 Ils ont des yeux et ne voient pas !

Autant l’écrire d’emblée : au sortir de la projection, j’étais plus que dubitatif. Pendant celle-ci, j’avais fait des liens avec Son épouse de Michel Spinoza. C’est que le film traite du deuil. Un couple se retrouve après plus de dix ans de séparation, parce que leur fils leur a donné un rendez-vous au-delà de la tombe, justement, dans la bien nommée « Vallée de la mort ».

Son épouse traitait lui aussi du deuil, sur fond religieux, mais de façon étrange, car la religion convoquée au film était autre que celle(s) que nous connaissons. Bien souvent de telles religions sont reléguées dans l’altérité, même par ceux qui n’adhèrent pas à celles qu’ils considèrent comme « conventionnelles ». Ici, il est parfois question de Dieu - ou de son absence - dans les échanges entre un couple qui nous donne à voir ses fêlures et ses boursouflures.

Nous voyons d’autres choses. Ainsi, dans le désordre : un chien qui court dans le désert, une tête de chien avec un seul oeil dans des toilettes publiques, un couple d’hommes qui entre dans un motel en se tenant par la main, une jeune fille (la mort ?) qui apparaît de nuit à Gérard, des marques sur les poignets ou les chevilles...

Comme critique cinéma, il m’a fallu fermer les yeux pour repenser le film à la lumière d’une clé de lecture « christique » que je rejetais durant la vision, car je l’estimais à la fois irrationnelle et probablement hors du propos du réalisateur.

 L’absent appelle à la rencontre

Tout part d’une lettre reçue d’outre-tombe. Dès avant sa mort, le Fils avait laissé des instructions. Il était photographe et regardait donc les choses, le monde, les gens. Mais c’était loin des siens qui ignoraient tout de lui qu’ils avaient abandonné très tôt. Lui, Michael, les convoque à un rendez-vous avec la mort, avec lui qu’ils reverront pour peu de temps. Il les précède, non en Galilée, mais dans la vallée de la mort. Un rituel, un itinéraire (initiatique) doit être accompli, réalisé : sept points de rencontre sont proposés. Tous doivent être rejoints un jour et une heure bien précis. Il faut abandonner la rationalité : comment cela se fera-t-il puisqu’il est mort ? Et si on le voit au deuxième ou troisième point de rencontre pourquoi faudrait-il faire tout l’itinéraire ? D’autant plus que Gérard, lui, ne souhaite pas terminer ce périple. C’est que des questions de santé l’appellent à retourner en France. Un rendez-vous assurément plus sûr que celui proposé par l’Absent !

 L’Absent appelle à faire mémoire

Michael qui les a convoqués va les amener à faire mémoire de Lui. Qui était-il, celui qu’ils connaissaient si peu ? Chacun appelle l’autre à évoquer le peu de souvenirs qu’ils possèdent de ce fils qui échappait à toute possession et à toute maîtrise. Il n’avait en fait que celle de sa mort dûment programmée : le suicide aurait lieu à tel moment, dans tel endroit de sorte que personne ne pourrait contrarier son exécution. De la mort, on ne saura rien, sinon une question, très vite évacuée, serait-ce qu’il avait le sida ? La lettre ou plutôt les lettres puisque père et mère ont chacun reçu les instructions de sa main seront relues avec émotion. Appel à se souvenir en visitant des lieux qu’Il a probablement fréquentés. Ce seront des bribes de souvenirs, des moments fugaces, voire des touches furtives qui engendreront le doute. Car si la rationalité dit que c’est impossible, les lettres, les souvenirs offrent l’hypothèse d’un improbable « possible » qui pourrait se concrétiser par un « Il est vivant ».

 L’absent invite à l’exode

Et s’il est « vivant », il n’est pas ici, il précède père et mère dans le désert. Ce sera dans un lieu de toute beauté, mais sans aucun point de repère qu’ils devront se rendre, car le fils mort, mais pas vraiment les y précédera. Il faudra faire un exode hors du pays, hors des évidences, hors des séparations, hors du rationnel, tout laisser tomber pour s’engager dans le désert. Là, des plans somptueux nous permettent de découvrir ce couple qui n’en est pas un, qui n’en est plus, nous questionner, nous interroger, tout à la fois eux-mêmes et l’autre. Cette sortie d’eux-mêmes rebondira même au retour au motel et sera le chemin vers un itinéraire de retour qui pourrait ouvrir à une possible réconciliation ou rédemption.

 Voyez mes mains et mes pieds !

La rencontre aura-t-elle lieu ? Seront-ils « touchés » par leur fils ? Assurément oui, Isabelle sera chevillée par un Absent. Elle aura beau crier. Il n’y a place qu’au doute, car il n’y a rien à voir. On songera ici à celui de Thomas dans l’évangile de Jean : [1] « si je ne vois pas la marque des clous dans ses pieds... ». En effet, marques il y aura bien, mais elles peuvent très bien être psychosomatiques comme chez certains stigmatisés. Celui qui doute sera lui aussi touché par le fils dans le désert, après avoir vu une curieuse femme de nuit (la mort ?). Il était seul, sans témoin et là après une quête suite à une apparition très fugace, il fera une rencontre. Lui aussi sera marqué, aux poignets. Lui et Elle devront se faire une raison. Chacun a vu ou perçu quelque chose alors que l’autre n’était pas présent. Chacun a pu douter, chacun peut en vouloir à l’autre...

 Heureux ceux qui croient sans avoir vu

Qu’en sera-t-il de leur avenir ? Une piste s’offre à la fin du film. Une possible rédemption. L’évangile attribué à Jean [2]offre une seule béatitude, bien différente de celles plus conventionnelles : « Heureux celui qui croit sans avoir vu ». Isabelle n’a pas vu, mais ressenti. Certes Gérard a entendu son cri, mais il n’y avait rien à voir. Lui Gérard dit avoir vu, il dit même que Michael lui a parlé... mais Isabelle n’était pas là pour corroborer ses dires. En somme, chacun se trouve dans la dynamique des récits d’apparition du Ressuscité. Pour exprimer la foi et l’espérance qui se dressaient sur la mort, pour dépasser le deuil pour ouvrir un avenir, ils ne pouvaient que dire que celui qui était l’Absent se donnait à voir, à toucher. Amplification épique pour dire l’indicible, pour aller au-delà de la mort. Michael est vivant, mais nous les spectateurs ne l’avons jamais vu !

The Valley of Love : Trailer HD

Isabelle et Gérard ont perdu leur fils il y a six mois. Pourtant, ce dernier leur a adressé une lettre dans laquelle il donne rendez-vous à ses parents dans « La vallée de la mort », en plein coeur des Etats...
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