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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Sandrine Kiberlain
Une jeune fille qui va bien
Date de sortie : 6 avril 2022
Article mis en ligne le 26 février 2022

par Charles De Clercq

Synopsis : Irène, jeune fille juive, vit l’élan de ses 19 ans à Paris, l’été 1942. Sa famille la regarde découvrir le monde, ses amitiés, son nouvel amour, sa passion du théâtre... Irène veut devenir actrice et ses journées s’enchaînent dans l’insouciance de sa jeunesse.

Acteurs : Rebecca Marder, André Marcon, Anthony Bajon, Françoise Widhoff, India Hair, Florence Viala, Ben Attal

En consultant le dossier presse du film, une mention a attiré notre attention, dès la première page « Nous tenons à votre discrétion pour ne pas dévoiler la fin du film afin que les spectateurs puissent la découvrir par eux-mêmes ». De crainte de nous retrouver dans la situation d’un critique de cinéma qui aurait découvert la fin de l’intrigue du film Les Diaboliques réalisé par Henri-Georges Clouzot en 1955, nous nous sommes abstenu de lire plus avant le dossier et même de consulter le synopsis du film. Et ce fut peut-être une fausse bonne idée. Nous respecterons l’engagement de ne pas trahir la fin du film, même s’il nous semble, après l’avoir vu, que l’essentiel ne se trouve pas dans celle-ci, mais dans l’itinéraire du film. Paradoxalement, partir sans savoir dans quelle contrée nous nous rendions, sans même une « carte géographique » (ce sont ici des images) nous a desservi. Cela est possiblement dû à l’itinéraire cinématographique emprunté par le critique qui signe cet article. En effet, la vision de Drive My Car quelques jours auparavant (qui elle-même nous avait rappelé, par certains aspects, celle de Nr.10 d’Alex van Warmerdam) nous avait sensibilisé aux liens entre théâtre et cinéma. Or, justement, dès le début du film, il est question de théâtre, de mise en scène, d’interprétation, avec une telle densité, une telle importance accordée à cette « mise en scène » que nous avons pris une route qui allait en ce sens. Il a fallu beaucoup de temps pour que nous nous rendions compte que nous faisons fausse route, en fait pendant une bonne partie du film, d’autant que les balises temporelles de celui-ci ne sont pas immédiatement évidentes. C’est que, l’air de rien, le film semble se situer hors du temps, ou plutôt en un temps non défini, qui n’a pas d’importance. Or, il faut en parler, ou plutôt en écrire pour comprendre ce qui se passe pour donner des clés de lecture. Celles-ci sont importantes, mais en les fournissant nous risquons de dévoiler des choses que vous aimeriez ne pas savoir. Si tel est le cas, abandonnez ici votre lecture et revenez ici après avoir vu le film !

Attention : ce qui suit dévoile une partie de l’intrigue !

Nous sommes en 1942, à Paris, dans une famille juive. De culture, pas vraiment pratiquante même s’il est bon de célébrer certains rites, non pas parce que le Divin l’exige, mais simplement parce que c’est aussi l’esprit et la culture familiale. Irène (Rebecca Marder) et son frère Igor (Anthony Bajon) ont dix-huit, dix-neuf ans et vivent avec leur père André (André Marcon) et Marceline, la grand-mère (Françoise Widhoff). Déjà pour cette dernière il faut un certain temps pour découvrir qu’elle n’est pas la mère, mais la grand-mère et pour comprendre (ou pas ?) que l’absence de la mère est importante. C’est que le film ne s’encombre pas d’une explication d’une situation qui semble aller de soi et qui, en tout cas, semble faire sens pour les protagonistes. C’est au cours de l’intrigue qu’il faut rebrousser le chemin « théâtral » que nous avions emprunté (ce que nous avons fait beaucoup trop tard) pour découvrir que les éléments clés étaient la judéité, l’occupation allemande (l’on ne voit pas de drapeaux nazis, pas de soldats allemands... toutes choses qui sont hors champ). Ce n’est que peu à peu (il est encore temps d’abandonner votre lecture ici) que l’on prend acte de choses qui arrivaient subrepticement, à commencer par le fait de faire inscrire « JUIF » sur ses papiers d’identité. Mais aussi d’argumenter : n’indiquerait-on pas la demi-juive pour pouvoir poursuivre les cours et passer les examens ? Par après, il y aura le port obligatoire de l’étoile jaune (prescrit par la 8e ordonnance allemande datée du 29 mai 1942 – publique le 1er juin –, le port de l’étoile, que de nombreuses rumeurs évoquaient depuis un an, est rendu obligatoire à compter du dimanche 7 juin 1942). Ensuite, il y a les premières discriminations, les réactions des gens dans la foule, les magasins. Et tout cela, l’air de rien, de ne pas y faire attention, surtout de la part d’Irène, qui respire la joie de vivre et n’aspire qu’à ses cours de théâtre et ses passions naissantes, notamment avec Jacques (Cyril Metzger). Et cela, jusqu’à la surprise finale qui clôture le film. Et si le générique de fin mentionne Le Journal d’Hélène Berr, il ne s’agit pas de l’histoire de cette jeune fille, donc pas un biopic, pas une évocation, tout au plus quelques analogies liées à l’âge et l’insouciance de celle-ci.

Le film porte donc son essence dans l’avancée inexorable d’une oppression contre les Juifs (et nous connaissons son point d’horreur ultime) ! Le hasard du calendrier fait que nous avons vu Une jeune fille qui va bien au moment même où les signes avant-coureurs de l’invasion de l’Ukraine par la Russie se sont concrétisés (même s’il ne s’agit pas ici des Juifs, mais de se laisser endormir malgré les signaux transmis !). Non pas comme une répétition de l’histoire, mais comme si les sens engourdis ne promettent pas de prendre pleinement conscience de l’horreur en voie d’actualisation. Et le spectateur arrive à la fin du film en se rendant compte que, pour le coup, il ne l’a pas vu venir. C’est probablement ce que voulait la réalisatrice qui plonge dans se propre judéité pour faire acte de mémoire. Hélas, c’est peut-être une fausse bonne idée, car le risque est grand de passer à côté de l’essentiel, car le film de départ n’est pas le film que l’on découvre à l’arrivée. L’idéal serait bien sûr de revoir alors le film en connaissance de cause.

Malheureusement, la tentation pourrait être grande de ne pas désirer revoir le film, car celui-ci a quelques fragilités. Notamment la difficulté d’être en empathie avec ses protagonistes. Et cela dépasse son focus « théâtral ». C’est le casting en particulier qui pose problème. Non pas que les acteurs jouent mal, non, bien au contraire. Ils incarnent à la perfection leurs personnages... sauf qu’il y a un sérieux problème lié à l’âge des interprètes par rapport à leurs rôles. En effet, si Irène est censée avoir 18 ans (ou 19 ans) selon le dossier presse, son interprète, Rebecca Marder a sept ans de plus que son rôle d’adolescente (tout comme Anthony Bajon pour son frère Igor). Et si cela peut être accepté dans une série comme Dawson’s Creek où le caractère « ludique » de la série adolescente peut faire passer la pilule de faire jouer le rôle d’ados par de jeunes adultes, ici, le caractère on ne peut plus sérieux (au-delà ou en deçà de la désinvolture voulue du personnage principal) de la protagoniste entraîne un déficit de vraisemblance et de crédibilité. On a du mal à « croire » ce personnage. Toute la qualité du jeu de Rebecca Marder (exceptionnelle, répétons-le) vient mettre à néant l’adhésion au récit qu’il nous est donné à voir. Dans la foulée, le « couple » père et grand-mère manque aussi sérieusement de vraisemblance. S’il est, dans un premier temps possible de penser à un couple de grands-parents, mari-femme, eu égard à leur âge réel, justement, lorsque l’on découvre que l’un est le père et l’autre est la grand-mère, là on décroche simplement, car imaginer que le père d’Irène est cet acteur septantenaire ne tient plus la route, d’autant que la grand-mère doit alors être proche de cent ans. Bien sûr, l’on peut faire « comme si » et voir au-delà des apparences. Mais dans notre cas, celles-ci nous ont fait perdre l’adhésion et l’empathie nécessaires pour adhérer à l’intrigue. Dommage.



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