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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Hong Sang-Soo
Un jour avec, un jour sans (Right Now, Wrong Then)
Sortie le 17 février 2016
Article mis en ligne le 13 février 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Le réalisateur Ham Cheonsoo arrive un jour trop tôt dans la ville de Suwon, où il a été invité à parler de son œuvre. Il profite de cette journée d’attente pour visiter un palais de la ville. Il y rencontre Yoon Heejeong, une artiste locale avec laquelle il va discuter, dîner, boire… Mais il n’est pas tout à fait honnête avec Yoon Heejeong.

Acteurs : Jae-yeong Jeong, Kim Min-Hee…

 Hong Sang-Soo soi-même !

Le titre original est Ji-geum-eun-mat-go-geu-ddae-neun-teul-li-da ( Right Now, Wrong Then en anglais et Un jour avec, un jour sans en français). Ce long métrage sud-coréen a remporté le Léopard d’or du meilleur film au Festival de Locarno alors que son actrice principale, Jeong Jae-yeong a remporté le Léopard pour la meilleure interprétation féminine. Malgré ces prix, ce film ne devrait pas accrocher le grand public. Son rythme et son approche déconcerteront probablement plus d’un spectateur. En revanche, le cinéphile, en particulier s’il aime le cinéma de Hong Sang-Soo, sera ravi.

 Les mots et l’alcool

C’est que celui-ci ne nous surprendra pas avec les thèmes abordés : un réalisateur et/ou le cinéma, les femmes et l’alcool ! C’est bien sûr réducteur et caricatural, mais cela se retrouve de manière claire ou en filigrane de nombre de ses films : Matins calmes à Séoul (2011), Conte de cinéma (2005), La femme est l’avenir de l’homme (2004). Ici, c’est la rencontre ordinaire d’un réalisateur avec une artiste peintre. Cela commence dans un Temple des bénédictions. Nous suivons cet homme et cette femme, un homme, une femme, dans des rencontres et échanges d’une grande banalité. Il y a presque un degré zéro d’information dans ces échanges verbaux, presque verbeux où l’alcool joue souvent un rôle (sans compter la cigarette !). Il faut ici faire une analogie avec une pratique courante, à savoir, prendre un verre ensemble. Le plus souvent, lorsque l’on propose cela, il n’y a pas une soif préalable ! Peu importe, à la limite le lieu et ce que l’on va boire, car il ne s’agit pas ici de se désaltérer, d’étancher une soif sinon celle de la rencontre. Les conversations ici, entre Ham Cheonsoo et Yoon Heejeong sont la plupart du temps terriblement banales. Les mots sont seconds, voire secondaires. Ils sont pré-texte à l’échange et la rencontre. Les mots sont dits - ils ne sont pas inter-dits ! -, mais ne font sens que par ce qu’ils permettent (parfois même avec l’aide de l’alcool, du soju). Outre le Temple, le cinéaste et l’artiste se retrouvent donc dans un bar, chez l’artiste, dans un autre bar, chez une amie...

 Un film en miroir

Le spectateur que l’ennui aurait gagné après moins d’une heure se demandera où Hong Sang-Soo veut en venir, quel est son propos, quand, soudain, après 55 minutes environ - nous sommes à la moitié du film ! - générique ou plutôt, titre du film. Et c’est d’autant plus parlant, ici à Bruxelles, avec nos sous-titres bilingues ! En effet, sous le titre original, deux lignes de sous-titres, la première pour le français « Un jour avec, un jour sans », la deuxième, réservée au néerlandais... qui reprend ici le titre anglais « Right Now, Wrong Then ». Le doute vient maintenant en écrivant cette critique ! N’aurions-nous pas vu (lu) l’inverse ? Peu importe en fait, car il semblerait bien que ce titre avec sa césure, soit à l’image du film et de ce que l’on vient de voir à l’écran. C’esst que, après ces quelques secondes, nous revoyons le même film, ou plus exactement, il nous semble revoir les mêmes images. Nous vient ici à l’esprit un film de Oshima, Le retour des trois soulards (Kaette kita yopparai, 1968) où le film recommence à partir de son milieu. Recommence ou nous propose une version modifiée de l’histoire, voire, plus exactement, offre aux trois protagonistes différentes possibilités de modifier l’histoire (leur histoire). Ou encore, bien plus récemment, en 2013, The Disappearance of Eleanor Rigby : Him & Her de Ned Benson. Dans ce cas, le réalisateur nous proposait deux versions d’une même histoire d’amour. Deux regards qui apportaient leur propre subjectivité. Les récits différaient parfois très fortement ou par de simples détails. L’exercice est analogue chez Hong Sang-Soo qui (nous) offre un miroir pour revisiter son film.

 Du pareil, mais pas au même

Un nouveau récit commence. C’est le même, la même histoire, les mêmes lieux et cependant il y a des différences. Les protagonistes disent parfois les mêmes choses et il arrive que les mots changent. De même, ce qu’ils font, ce qui leur arrive est semblable, analogue, proche... mais il y a des éléments ou actions dissemblables. Parfois il y a dans une scène plus de protagonistes que dans son double. Ou alors, les vêtements sont différents, voire, l’alcool aidant, l’un va se mettre a nu pour montrer la graisse abdominale. Il n’y a pas que ce que la caméra voit, montre (ou pas) qui change ! Il y a aussi la façon de filmer. Ainsi dans une scène de la première partie, les protagonistes sont filmés perpendiculairement à la caméra. Ils échappent ainsi au face à face et au champ/contrechamp habituel. C’est la caméra qui alterne un travelling latéral, vers l’un ou l’une. Parfois pour capter la prise de parole (insignifiante, comme déjà signalé), parfois même pour l’anticiper. En revanche, dans la scène en miroir, ce travelling disparaît au profit d’un zoom avant ou arrière selon l’intervention des protagonistes. S’agit-il alors du réalisateur qui modifie (son) l’histoire ou des acteurs, le réalisateur et l’artiste qui la construise ou reconstruise ? Et s’agissant de discours, celui sur l’art est le plus signifiant. Lorsque le réalisateur - dans le film - apprécie la peinture ou lorsqu’il la rejette, les réactions diffèrent.

 Miroir, mon beau miroir !

Laissons au spectateur qui adhérera à la démarche de Hong Sang-Soo le plaisir de découvrir ces subtiles variations sur plusieurs thèmes. Il découvrira une circularité sur le travail du cinéaste et de l’artiste, une réflexion (aussi au sens de miroir - voire mirage) sur son œuvre, pied de nez à ceux et celles qui diront qu’il ne fait que du Hong Sang-Soo ! Il ne s’étonnera donc pas que le film se termine dans une salle de cinéma (celle du film, voire celle dans laquelle il s’éveillera, après s’être éventuellement assoupi ou endormi !) et à la sortie de celle-ci.



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