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CINECURE
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Stéphane Brizé
Un Autre Monde
Sortie du film le 23 février 2022
Article mis en ligne le 24 février 2022

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 97’

Acteurs : Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Anthony Bajon, Marie Drucker...

Synopsis :
Un cadre d’entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix professionnels de l’un font basculer la vie de tous. Philippe Lemesle et sa femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. Cadre performant dans un groupe industriel, Philippe ne sait plus répondre aux injonctions incohérentes de sa direction. On le voulait hier dirigeant, on le veut aujourd’hui exécutant. Il est à l’instant où il lui faut décider du sens de sa vie.

La critique de Julien

Avec « Un Autre Monde », Stéphane Brizé clôt sa trilogie centrée sur le monde capitaliste du travail, et cela après « La Loi du Marché » (2015) et « En Guerre » (2018), véritable film coup de poing. Dans ce film qui marque leur cinquième collaboration, Vincent Lindon interprète ici un cadre d’entreprise en perte de sens, tandis que son mariage s’effondre, lui qui a en effet consacré ces huit dernières années à un système dont il ne parvient plus à trouver de cohérence, lequel est dès lors pris en étaux entre ce qu’on lui demande de faire, et ce qu’il est possible de faire, afin de sauver à long terme ladite entreprise, au risque de sacrifier du personnel.

Réfléchir ou s’exécuter : les deux verbes ne vont généralement pas l’un sans l’autre. Sauf pour Philippe, le personnage de Lindon, et de nombreux bras armés d’entreprises, qui voient ainsi leurs valeurs humaines remises en question, et voler en éclats leur légitimité par des responsabilités qui dépassent le cadre... du cadre. Dans une démarche plus subjective et romanesque, Stéphane Brizé rend compte des efforts d’un homme qui tente, tant bien que mal, de colmater les plaies d’un système à bout de souffle, en mêlant constamment l’intime et le travail, le personnel et le professionnel, et cela en conséquences des innombrables injonctions contradictoires auxquelles il doit pourtant répondre. Né de rencontres avec de véritables cadres, le réalisateur et son coscénariste Olivier Gorce nous montrent comment un homme humble et respecté devient alors un bourreau, agissant non plus pour le bien commun, mais bien pour le bien d’une entreprise qui n’en a qu’après son porte-monnaie, perdant ainsi toute notion d’éthique. Sauf que celle-ci ne pourra rien faire sans ses salariés (cadres, ouvriers), qui travaillent - pour certains - à moindres coûts, et parfois dans des conditions dangereuses, et cela permettre à ceux d’en haut de s’enrichir sur leur dos. Et leur restructuration n’a ici aucun sens, quand on sait que cette entreprise industrielle souhaite produire plus, mais avec moins d’individus, et tout cela pour soi-disant la sauver à long terme, en se séparant ainsi de 58 travailleurs, plutôt que de 500, alors que ces derniers ne pourront être sauvés. C’est là toute la lâche et malhonnête loi du marché, qui part en guerre pour nous conduire vers un autre monde, soit celui où, tel Philippe, la frontière entre ce qui nous caractérise et ce qui nous en éloigne se fracasse. C’est alors là qu’il faut faire un choix, pour revenir à ce qui semble intimement juste, soit ce qui arrivera au personnage qu’interprète, avec énormément de retenue, mais de tension, Vincent Lindon.

« Un Autre Monde » questionne également la notion de courage, précisément dans une entreprise, mais où la définition est mise à mal, déformée par un système pour en servir des idées répugnantes. Film de divorce, à la fois avec soi-même, et à petit feu avec sa sphère familiale, ce drame témoigne donc directement des conséquences d’une vie professionnelle dévorante et sacrificielle de sa personne, répercutant sur l’intimité, le relationnel. D’ailleurs, ici, le courage est incarné par la femme de Philippe, jouée par Sandrine Kiberlain, qui ose braver l’inconnu et sortir de cette vie transparente, certes régie par l’argent et les avantages, mais vide de sens, d’amour, de présence. Anthony Bajon, dans le rôle d’un fils souffrant de faiblesses psychiques, et Marie Drucker (pour son impeccable premier rôle au cinéma) complètent avec déshumanisation et détermination le casting de ce film qui pointe du doigt un monde vers lequel on glisse, inlassablement...



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