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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Nicolas Boukhrief
Trois Jours et une Vie
Sortie du film le 18 septembre 2019
Article mis en ligne le 22 septembre 2019

par Julien Brnl

Signe(s) particulier(s) :

  • adaptation du roman psychologique éponyme de Pierre Lemaitre, paru chez Albin Michel en mars 2016, lequel a lui-même sollicité le réalisateur Nicolas Boukhrief pour mettre en scène ce projet ;
  • le film a été tourné dans le village d’Olloy, à Viroinval, tandis que dans le bouquin, l’intrigue prend place dans la petite ville fictive et provinciale de Beauval, en France, alors entourée par la forêt de Saint-Eustache.

Résumé : 1999 - Olloy - Les Ardennes belges.
Un enfant vient de disparaître. La suspicion qui touche tour à tour plusieurs villageois porte rapidement la communauté à l’incandescence. Mais un événement inattendu et dévastateur va soudain venir redistribuer les cartes du destin…

La critique de Julien

Après « Au Revoir Là-Haut », réalisé par Albert Dupontel en 2017, et plusieurs fois récompensé au César du cinéma (meilleur réalisateur, meilleure adaptation, meilleurs décors, costumes et photographie), c’est maintenant au tour d’un autre roman de l’écrivain français Pierre Lemaitre d’être adapté au cinéma. Une fois de plus très actif dans le travail de transposition de son œuvre au cinéma (co-scénariste et dialogues), « Trois Jours et une Vie » est l’adaptation d’un sombre roman publié en 2016, dans lequel un jeune garçon de douze ans va être responsable d’un drame totalement involontaire, survenu en décembre 1999, lequel va alors bouleverser sa vie, à jamais.

Réalisé par Nicolas Boukhrief, à qui l’on doit notamment le film « La Confession » sorti en 2017, et également adapté (et pour la troisième fois) du roman « Léon Morin, Prête » de Béatrix Beck, lequel traitait alors de questions morales autour d’une relation impossible entre un prête et une jeune communiste mariée sous l’Occupation allemande, le cinéaste affirme à nouveau avec son nouveau métrage ses penchants pour les thèmes lourds, soit ceux qui mettent l’humain en proie à ses propres émotions, et les gestes qui en résultent. Dans « Trois Jours et une Vie », il est alors question de la disparition d’un enfant de six ans, la veille de Noël, au sein d’une petite bourgade, située dans les Ardennes belges.

Mais le véritable point de départ de l’histoire, il concerne Antoine Courtin, douze ans, passionné par la médecine, vivant avec sa maman, et pour lequel la journée du 22 décembre restera marquée à jamais dans sa vie. Alors qu’il découvrira que Valentine Desmet, la fille dont il est amoureux, a embrassé un garçon du village, et assistera ensuite à la mort d’Ulysse (le chien de Valentine), renversé par une voiture alors qu’il lui lançait sa balle, et achevé devant ses yeux à la carabine par M. Desmet, Antoine, révolté, partira dans les bois, détruire sa cabane (qu’il comptait montrer à Valentine), alors suivi par le petit frère de cette dernière. À la suite d’un excès de rage, Antoine jettera un morceau de bois sur Rémy, qu’il recevra sur la tempe, avant de se fracasser mortellement la tête sur le sol. Impuissant et affolé, le jeune garçon cachera le corps du petit dans un fossé, avant de retourner chez lui, et de garder ce secret pour lui, à vie. À moins qu’on le découvre, ou qu’il ne puisse vivre avec...

Étalé sur trois périodes de temps (1999, 2011 et 2015), le film nous emmène d’abord à la rencontre du jeune acteur Jérémy Senez, qui, par ses traits physiques, est bien le fils de son père, qui n’est autre que le réalisateur Guillaume Senez, à qui l’on doit les films « Keeper » (2015) et « Nos Batailles » (2018). Durant les trois jours les plus décisifs de l’enfance de son personnage, Jérémy Senez ne fait qu’un avec Antoine, et livre une prestation dense et très (re)marquée. Alors que le malheur semble frapper à sa porte comme les branches d’un arbre sur une fenêtre lors d’un orage, on ressent tout le désarroi et l’impuissance de ce garçon, incapable de prendre une mûre décision, de par son jeune âge, et la situation traumatisante qu’il vient de vivre. Silencieux, mais terriblement habité, l’acteur est sans doute la révélation de ce film, très austère. En effet, « Trois Jours et une Vie » prend place dans une période post-Dutroux en Belgique, dans un petit village où tout le monde se connaît, et où les soupçons vont bientôt s’éveiller. L’hiver 1999 restera alors dans la mémoire collective de cette bourgade, telle une tempête, qui aura d’ailleurs lieu, et qui viendra jouer un rôle important dans cette affaire, elle qui enterrera métaphoriquement, et définitivement, l’une de ses victimes. Certes, Rémy en est la première, mais on fait bien évidemment référence ici à Antoine, alors que l’intrigue dissèque son lourd silence. Et en l’occurrence, Pierre Lemaitre n’aurait pas pu trouver meilleur titre que celui-là.
Alors que l’air se fait froid, et de plus en plus étouffant pour ses habitants, il régnera dorénavant à Olloy comme un parfum de méfiance. Ces événements, en plus d’être terribles, sont alors illustrés par une superbe photographie signée par chef opérateur belge Manu Dacosse, ayant notamment travaillé sur quelques films d’Hélène Cattet et Bruno Forzani, de François Ozon, ou de Fabrice Du Welz (dont sur son dernier « Adoration », qui sera d’ailleurs présenté en compétition au prochain FIFF de Namur).

En revanche, on est un peu moins satisfait des effets spéciaux, qui viennent s’abattre, lors d’une seule scène, sur la localité, tel un torrent d’eau, mais duquel on aurait bien l’impression qu’un alligator puisse même en sortir, tellement c’est de trop, et surtout pas assez net.

On retrouve alors Antoine des années plus tard, cette fois-ci dans la peau de Pablo Pauly, lequel a explosé dans « Patients », le premier film de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, sorti en 2017. Le jeune homme est alors de retour à Olloy pour quelques jours (après l’avoir fui), pour retrouver sa mère (Sandrine Bonnaire), avant de partir pour Le Caire, et exercer son métier de médecin. Mais la disparition du petit Rémy refera surface, ainsi que Valentine... « Trois Jours et une Vie » nous montre alors combien il est difficile de vivre avec un tel poids sur les épaules, et comment ce dernier peu anéantir une vie tout entière, et changer dès lors l’être humain. Mais au travers du combat intérieur d’Antoine, il se joue comme un dilemme, soit celui d’avouer son homicide involontaire et vivre enfin sans son fardeau, mais à contrario d’être emprisonné et tenu comme responsable de la mort de Rémy (à l’issue certes d’un geste involontaire), et surtout d’avoir tenu le silence toutes ces années. Et puis, le regard des autres, dont celui de ses proches, lui serait impossible à surmonter.

Mais la vérité doit être révélée, soit celle à laquelle les parents d’enfants disparus ont droit, ne fut-ce que pour en faire enfin le deuil. Dans sa partition, Pablo Pauly suit le chemin de Jérémy Senez, est offre une interprétation tourmentée, alors que son personnage est instinctivement plus décidé que jamais à enfuir sous terre cette histoire, dans son désarroi, et sa culpabilité. Le reste du casting n’est pas en reste, de Sandrine Bonnaire à Charles Berling (M. Desmedt), eux qui tentent de comprendre et de faire face, sans se douter que les réponses qu’ils cherchent sont tout près d’eux...

Nicolas Boukhrief réalise ici une forte adaptation de ce roman (sous les conseils avisés de son écrivain), et qui, comme dans celui-ci, révèle une série de circonstances finales venant redistribuer les cartes, et convoquer une autre forme de culpabilité, mais à laquelle s’est mélangée des sentiments, et d’autres enjeux. Car cette disparition est finalement loin d’être un cas et un drame unique, elle qui s’est répercutée sur la vie entière d’une petite communauté, et sa façon de la vivre...
Il ne s’agit donc pas de l’adaptation d’un bouquin la plus audacieuse, ni énergique qu’on ait vu au cinéma, d’autant plus qu’elle emprunte parfois, au sein de sa mise en scène, des éléments de téléfilms. Cependant, c’est aussi cette histoire qui veut un peu tout ça... Mais le cinéaste réussit à convoiter ici de terribles émotions humaines, et les faire vivre au travers d’acteurs et personnages plus que convaincants. Sans surprendre, « Trois Jours et une Vie » se laisse alors suivre par sa puissance introspective à parler de nous, de notre capacité à ne pas lâcher prise, malgré le poids, et le prix à payer. Troublant.



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