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CINECURE
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Joachim Trier
Thelma
Sortie le 29 novembre 2017
Article mis en ligne le 16 octobre 2017

par Charles De Clercq

Synopsis : Thelma, une jeune et timide étudiante, vient de quitter la maison de ses très dévots parents, située sur la côte ouest de Norvège, pour aller étudier dans une université d’Oslo. Là, elle se sent irrésistiblement et secrètement attirée par la très belle Anja. Tout semble se passer plutôt bien, mais elle fait un jour à la bibliothèque une crise d’épilepsie d’une violence inouïe. Peu à peu, Thelma se sent submergée par l’intensité de ses sentiments pour Anja, qu’elle n’ose avouer - pas même à elle-même, et devient la proie de crises de plus en plus fréquentes et paroxystiques. Il devient bientôt évident que ces attaques sont en réalité le symptôme de facultés surnaturelles et dangereuses. Thelma se retrouve alors confrontée à son passé, lourd des tragiques implications de ces pouvoirs...

Acteurs : Eili Harboe, Ellen Dorrit Petersen, Okay Kaya, Henrik Rafaelsen.

Nous avons aimé ce film fantastique, de « genre » donc, de Joachim Trier qui sort des sentiers habituels du réalisateur. Dommage que le distributeur du film aie présenté son film aux journalistes avec une autre étiquette, en forme « négative » : « ce n’est pas un film de genre » comme les Français le présentent, en insistant pour utiliser la bande-annonce et les visuels prévus pour la Belgique. C’est qu’en entendant « pas un film de genre », nous cochions in petto la case : « film rationnel », autrement dit : « il y aura une explication ’scientifique’ aux phénomènes perçus comme paranormaux ». Le film n’est pas non plus un long métrage de science-fiction comme Allociné et Cinébel le présentent. Cette « dégenration » du film nous a dérangé et, avouons-le, gâché une bonne partie du film puisque nous n’y avions pas trouvé ce que la grille de lecture proposée induisait. Le synopsis ci-dessus, repris du dossier presse pour la France, décrit assez bien l’intrigue de Thelma.

Le cinéphile pensera probablement à d’autres films. Ainsi, très spontanément, c’est Morse (Låt den rätte komma in) (2008), un film suédois réalisé par Tomas Alfredson. Il s’agissait certes du genre « horreur » (ce qui n’est pas le cas de Thelma), mais le schéma, la structure et les thèmes résonnent. On pourra penser à The Birds (Hitchcock, 1963), Carrie (Brian De Palma, 1976). Le film commence par une marche énigmatique sur un lac gelé, l’on devine des poissons sous la glace. Un homme d’âge mûr, armé d’une carabine et une enfant. Ils arrivent dans les bois, l’homme vise une biche, longuement, semble réfléchir, regarde l’enfant, celle-ci regarde l’homme que l’on devine être le père. Soudain il tourne l’arme et semble viser la tête de la petite. Suspens. Changement de plan et de décor, d’époque aussi. Rien ne l’indique, mais l’on aura compris que nous sommes quelques années plus tard et que l’enfant a grandi jusqu’à devenir une belle jeune fille, Thelma.

Le film se développera sur deux axes principaux : en premier lieu la rencontre de Thelma avec Anja dont elle tombe(ra) amoureuse et en deuxième lieu les réactions et conséquences. C’est que l’éducation de Thelma que l’on devine et comprend ensuite avoir été formatée dans un cadre religieux psychorigide et culpabilisant est la cause des réactions incontrôlées de Thelma (à moins qu’elle n’en soit la conséquence !?). Quoi qu’il en soit, le spectateur se rend compte que tout ne tourne pas rond pour Thelma (elle aussi s’en rend compte, à tel point que cela se manifeste au début par un tremblement de mains qu’elle tente de contrôler). C’est que, curieusement des phénomènes s’expriment hors de Thelma (Attention spoiler : [1]).

Au milieu du film un flashback permettra au spectateur de comprendre la scène inaugurale et de découvrir la puissance des capacités mentales et paranormales de Thelma. Une piste scientifique sera explorée, celle d’une épilepsie d’un genre particulier (mais elle ne suffit pas à formater le film dans la case science-fiction) jusqu’à ce qu’une autre hypothèse soit évoquée, liée à la famille (spoiler : [2]). D’autres flashbacks ajouteront des dimensions supplémentaires à la compréhension de l’intrigue et de ce dont souffre Thelma, osons écrire : « à son corps défendant ».

C’est donc, quoiqu’on ait pu vous en dire, un film de genre, fantastique, qui permet de découvrir les difficultés d’être enfant et de ne plus être l’unique, d’une part, mais aussi des amours à gérer au sortir de l’adolescence. Que la romance soit ici lesbienne apporte un charme et un atout supplémentaire d’autant que les inévitables culpabilités liées à une (mauvaise) éducation religieuse sont traitées sans exagération. Les acteurs et actrices, peu connus ici dans les pays francophones rendent cette histoire belle et émouvante malgré les malheurs et déplacements ou disparitions tragiques. Le spectateur pourra faire une lecture fantastique au premier degré, ou plus symbolique, voire onirique, au deuxième degré donc.

Concluons en laissant place au réalisateur qui permet de découvrir que c’est bien un film de genre, presque d’horreur - mais pas seulement - qu’il voulait réaliser : « J’avais en tête une histoire de sorcières située à Oslo. Comme je suis cinéphile et que je manquais un peu d’assurance, on est passé par une phase durant laquelle Eskil Vogt, mon coscénariste, et moi-même avons visionné bon nombre de gialli - ces films d’horreur italiens des années 70. Je me rappelle avoir aussi revu L’échelle de Jacob d’Adrian Lyne, ou encore Les prédateurs de Tony Scott. C’était une démarche purement visuelle. Je me souviens avoir eu une conversation avec Eskil sur la façon dont ces films touchent à quelque chose de très humain, qui a à voir avec l’anxiété, la mort et toutes sortes de questions existentielles, mais par le biais du genre. Ça, c’était une première chose. On a ensuite commencé à travailler autour de quelques idées, notamment sur la conception de scènes et d’images précises. Un personnage s’est alors peu à peu imposé, c’était Thelma. Puis, rapidement, on s’est retrouvé à jongler avec deux choses : une dont nous étions assez familiers - le récit d’apprentissage, qui renvoie au personnage du frère cadet de Back Home ou à la mélancolie de la solitude dans Oslo 31 août - et l’autre, qui était cet élément de genre. C’était le côté amusant du processus, d’avoir recours à ce type de narration spécifique, qui est centré sur les personnages et auquel je suis plus habitué, et de le porter visuellement vers un univers qui laisse davantage de place à l’imagination. »



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