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Jane Campion
The Power of the Dog
Sortie du film le 01 décembre 2021 sur Netflix (et depuis le 17 novembre sur certains écrans de cinéma - dont aux Grignoux, à partir du 22 décembre)
Article mis en ligne le 30 décembre 2021

par Julien Brnl

Genre : Drame, western

Durée : 128’

Acteurs : Benedict Cumberbatch, Jesse Plemons, Kirsten Dunst, Thomasin McKenzie, Kodi Smit-McPhee, Frances Conroy, Keith Carradine, Adam Beach...

Synopsis :
Phil et George Burbank sont frères. Phil, l’aîné, est un homme brillant et cruel. George, le cadet, s’avère être un homme doux et sensible. Ils viennent tous deux d’hériter du plus grand ranch de la vallée du Montana. Mais leur relation va vite se briser lorsque George va épouser Rose, une veuve de la région.

La critique de Julien

Douze années que la cinéaste Jane Campion n’avait plus sorti de films, elle qui fut, en 1993, la première femme cinéaste de l’histoire à remporter la Palme d’or du Festival de Cannes pour son film « La Leçon de Piano ». Et c’est sur ses terres natales de Nouvelle-Zélande que la réalisatrice a choisi de planter les décors de son nouveau film, « The Power of the Dog », adapté du roman américain de Thomas Savage, publié une première fois en 1967, mais tardivement traduit en français en 2002 à la suite d’une première réédition, lequel tire son nom d’un paragraphe du Livre de la Prière Commune (« Protège mon âme contre le glaive, ma vie contre le pouvoir des chiens ! »). Repartie de la Mostra de Venise avec le Lion d’argent de la meilleure réalisatrice, Jane Campion semble être plus inspirée que jamais par cette histoire qui mêle avec une pudeur enfermée des thèmes aussi forts que le refoulement de la sexualité et les contradictions qu’il soulève, les apparences et faux-semblants, la manipulation, ou encore la vengeance.

L’histoire prend place alors en 1925, dans le Montana, alors que les frères Phil et George Burbank convoitent ensemble du bétail depuis longtemps, lesquels exploitent un vaste ranch dont ils ont hérité, alors que des vaches commencent à mourir de la maladie du charbon. Phil (Benedict Cumberbatch), l’aîné, est un homme brillant, volatile, mais particulièrement dur, voire cruel, et homophobe de surcroît, lequel voue un culte à son feu mentor de jeunesse, Bronco Henry. George (Jesse Plemons), le cadet, s’avère être tout son contraire, doux et respectueux, sensible, lui qui va épouser Rose (Kirsten Dunst), une aubergiste veuve d’un médecin, ce qui déplaira fortement à Phil - qui la pense motivée par l’argent - et le fera savoir à Rose et à son fils, Peter (Kodi Smit McPhee), aux manières qu’il juge efféminées...

Alors que le scénario de cette histoire l’emporte finalement haut la main sur tout le reste, la première chose qui nous vient en regardant « The Power of the Dog », c’est bien la beauté des paysages et des longues étendues sauvages que filme Jane Campion, sublimés par la photographie d’Ari Wegner (derrière celle du « LadyMcBeth » de William Oldroyd). Le plus original étant alors que tournage du film a eu lieu en Nouvelle-Zélande, et majoritairement dans la plaine de Maniototo, alors que l’intrigue, elle, se situe dans l’Ouest américain. Pourtant, c’est simple : tous les plans extérieurs que Jane Campion filme ici pourraient ressembler à des tableaux peints, et cela même quand elle filme ses acteurs en mouvement dans ces derniers. C’est même à se demander comment il est possible de parvenir à un tel résultat de reconstitution, tellement on se croirait un siècle (rural) en arrière. Visuellement somptueux d’un bout à l’autre, et pourtant sobre, « The Power of the Dog » est une plongée austère dans le monde d’hier, alors que, par exemple, les habitudes de vie, telles que sanitaires, ne sont plus les mêmes qu’aujourd’hui (même si, dans ce cas, cela n’empêche toujours pas la maladie et sa transmission !).

Diviser en plusieurs parties parfois temporelles espacées de quelques jours ou semaines, et au travers desquelles Campion installe avec lenteurs ses personnages et leurs liaisons, « The Power of the Dog » installe une ambiance malsaine, qui construit alors quelque chose. Et ce quelque chose relate du relationnel, mais également de l’être humain et de ce qu’il est capable de refouler au plus profond de lui-même, en réponse d’un drame, ou du refus d’acceptation de sa véritable identité, étant donné la peur qu’elle peut créer. Le film témoigne alors d’une étude de la masculinité toxique, au travers des personnages de Benedict Cumberbatch et de Kodi Smit McPhee (Jesse Plemons n’ayant qu’un rôle secondaire plus effacé que les deux premiers), aussi complexes que fascinants. Phil, tout d’abord, en tant qu’homme - de prime abord - détestable, qui cache forcément quelque chose sous cette carapace méprisante, humiliant et testant à tout-va, alors que Peter, lui, n’est peut-être pas le garçon qu’il montre, tels que le disent d’ailleurs ses propres propos, notamment lorsqu’il évoque son père, face à Phil. Leur relation est alors la pierre angulaire du métrage, tandis que la seule femme du trio, Rose, jouée par Kirsten Dunst, souffre du regard que porte son beau-frère sur elle, sombrant alors dans l’alcool, contrariée aussi du lien qui naîtra entre Phil et son fils, pensant à son tour que celui-ci cherche à lui causer du mal, en lui apprenant à monter à cheval, et en lui promettant de lui fabriquer un lasso en cuir...

Jane Campion prend alors soin de traiter ses sujets en filature, dans le sens où celle-ci attire notre curiosité aussi bien sur des détails visuels que sur des dialogues, aussi pourtant banals semblent-ils être. Le spectateur plonge alors tête baissée, devinant certes, au fur et à mesure, la nature des relations qui se jouent, des profils qui se révèlent, mais sans aucunement s’en douter au départ. « The Power of the Dog » se termine alors comme jamais on aurait pu le penser, au travers d’une scène soumise à nos interprétations en émoi, qui donne indéniablement l’envie de rembobiner, tellement c’est pertinemment bien amené, ficelé, tel un lasso, entre des mains, gantées...



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