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Robert Eggers
The Northman
Sortie du film le 20 avril 2022
Article mis en ligne le 26 avril 2022

par Julien Brnl

Genre : Aventure, drame

Durée : 137’

Acteurs : Alexander Skarsgård, Nicole Kidman, Willem Dafoe, Ethan Hawke, Anya Taylor-Joy, Björk, Ralph Ineson, Kate Dickie, Claes Bang...

Synopsis :
Au Xe siècle, Amleth, un prince nordique, se lance dans une quête afin de venger la mort de son père.

La critique de Julien

Dire que nous attendions la nouvelle réalisation de Robert Eggers est un euphémisme. En l’espace seulement de deux films d’horreur indépendants (les inédits « The Witch » et « The Lighthouse »), le cinéaste new-yorkais, ayant grandi en Nouvelle-Angleterre, nous a déjà d’ores et déjà prouvé qu’il était un metteur en scène sur lequel il fallait désormais compter. Et quel ambitieux projet que ce film de Vikings sur lequel il s’est véritablement lancé en 2019, bien qu’il se soit déjà intéressé sur le sujet lors d’un voyage en Islande, trois ans plus tôt, partagé avec son épouse, fan de sagas nordiques. Or, c’est justement pendant ce voyage qu’Eggers a rencontré la chanteuse Björk, qui lui à son tour présenté Sjón, un poète, romancier et parolier islandais (qui a participé récemment à l’écriture du film « Lamb » de Valdimar Jóhannsson), avec qui il coécrira finalement le scénario d’un film, « The Northman », maintenant dans nos salles. En parallèle, c’est l’acteur Alexander Skarsgård qui s’était fasciné dès l’enfance par l’histoire et la mythologie viking, cherchant désespérément un projet auquel s’attacher, ce qui est désormais chose faite, lui qui incarne ici la figure légendaire scandinave médiévale d’Amleth, ayant ainsi inspiré la tragédie de William Shakespeare, et à son tour cette histoire de vengeance, Amleth souhaitant tuer son oncle Fjölnir (Claes Bang), lui qui a assassiné le père d’Hamlet et roi Aurvandill War-Raven (Ethan Hawke) afin de s’emparer de son trône, et d’épouser la reine Gudrún, la mère (Nicolas Kidman) de Amleth.

Après avoir exploré la culture folklorique de sa région avec de sombres films référencés des plus ambigus, résistant à toute explication rationnelle, et dont les partis-pris, l’audace, et la virtuosité cinématographique contrastée lui ont permis de l’élever au rang d’incontournable de sa génération, Robert Eggers a planté sa caméra en Atlantique Nord, mais de l’autre côté de l’océan, en Scandinavie, en l’an 895 et « bien des années plus tard », pour une intense épopée viking à couper le souffle. Entouré par l’archéologue Neil Price de l’Université d’Uppsala en Suède, par le folkloriste Terry Gunnell de l’Université d’Islande ou encore de l’historienne Jóhanna Friðriksdóttir, le cinéaste et son partenaire créatif Sjón nous livrent alors une œuvre parfaitement imprégnée de la culture nordique de la fin du VIIIe, jusqu’à la fin du XIe siècle. Certes, cette histoire de vengeance peut paraître bien courte sur papier face au plus de deux heures de film, mais c’est bien pour l’univers singulier et déroutant qu’il met en scène que « The Northman » ne nous fait jamais détourner du regard. D’une photographique nihiliste, filmant aussi bien les sublimes paysages d’Irlande du Nord que l’Hekla, soit ce volcan islandais que les Européens appelaient durant le Moyen-âge la « Porte de l’Enfer » (Hel était un lieu de passage vers l’au-delà), ce film est une bénédiction visuelle qui nous hante bien après vision par la qualité incommensurable de son image, baignée par la tradition nordique d’antan. Bien qu’une grande partie de l’intrigue se passe sous couverture pour l’héritier Amleth, Eggers et son équipe nous propose de vivre une immersion dans l’ère barbare des Vikings, en assistant notamment à des rituels très impressionnants, notamment celui où de jeunes vikings sont élevés au rang de berserkers (auquel le mot anglais moderne « berserk » fait aujourd’hui référence, et signifiant « furieusement violent ou incontrôlable »), habité alors par une fureur semblable à une transe, tels des hommes-loups. On y découvre aussi le Knattleikr, soit un ancien jeu de balle joué par ce peuple d’hommes du Nord, mais également l’holmgang, soit un duel scandinave utilisé pour régler, à l’époque (!), des différends. Aussi, « The Northman » fait référence à la mythologie folklorique scandinave et à sa littérature, avec notamment la figure du Draugr, une créature morte-vivante, du sorcier He-Witch, ou encore d’une Valkyrie, guidant les valeureux guerriers défunts au sein du royaume des dieux, auprès d’Odin. Et on en passe, tant « The Northman » est d’une richesse historique et spirituelle inouïe, lui qui ne lésine pas non plus sur les costumes et sur les perruques, jusqu’aux parures vestimentaires et accessoires d’époque, telles que les armes. Enfin, on ne peut pas passer à côté de l’utilisation caverneuse en voix-off du vieux norrois, qui serait attestée comme la première langue scandinave médiévale, ni de l’utilisation de l’alphabet runique lors des différents chapitres du film, à l’image de la police d’écriture du titre du film sur ses affiches officielles, ce qui apporte encore un peu plus d’authenticité et de tenue à l’ensemble. « The Northman » est donc une œuvre qui nous plonge dans l’enfer impitoyable d’un monde révolu, parsemé par ce qui fait encore aujourd’hui toute sa fascination et son intérêt, très à la mode (voir la série « Vikings » créée par Michael Hirst). Autant donc dire que ce film est le résultat de longues recherches, lui dont chaque plan pourrait se regarder comme une peinture, avec une beauté (a)brute, que Robert Eggers et son directeur de la photographie Jarin Blaschke ont réussi à retranscrire, jusqu’à la scène finale, et son théâtre d’ombres duquel jaillit la lave. Grandiose !

Porté par un casting quatre étoiles, et un Alexander Skarsgård tout en musculature, d’une part possédé, puis calmé le temps de trouver l’amour, puis d’être rattrapé par son devoir primaire de vengeance, « The Northman » est un film qui risque pourtant de désarçonner ceux qui sont venus y chercher un film « mainstream » grand public, et ceux qui sont venus y chercher un cinéma onirique et cauchemardesque à la Eggers. Distribué par Universal Pictures, cet audacieux projet est d’ailleurs le premier à obtenir un distributeur en Belgique, lequel est ainsi vendu comme un blockbuster. Or, « The Northman » met en place une mise en scène, certes rythmée dans sa première partie, mais latente dans sa seconde, son protagoniste principal attendant le bon moment pour porter le coup de grâce à son oncle. À cet égard, le scénario nous réserve une petite surprise qui rendra les choses encore plus compliquées qu’elles le sont déjà pour Amleth. Et tant mieux, car ce retournement de situation questionne sur la nature humaine, et sur la notion du Bien et du Mal, reflétant que rien ni personne n’est innocent, mais bien le fruit d’une généalogie, que l’on ne choisit pas, mais que l’on se devait, à l’époque, d’honorer, peu en importe le prix, sans parler du devoir de protection de ses propres descendances. Cette histoire de vengeance est donc au cœur de ce film inspiré par l’œuvre de Shakespeare, elle-même sans doute inspirée par le Gesta Danorum, soit le premier livre danois rédigé vers l’an 1200 par l’historien médiéval Saxo Grammaticus, référence en la matière, et constituant un témoignage majeur concernant la mythologie nordique, faisant ici parfaitement partie intégrante de ce récit.

Film bestial, extrêmement viril, et mettant quelque peu à mal l’image des Vikings, « The Northman » doit également beaucoup à sa partition musicale, très intense, composée par les Anglais Robin Carolan (ayant déjà collaboré avec Björk) et Sebastian Gainsborough. Ils réalisent ici leur première (!) bande-originale d’un film, alors parfaitement évocatrice du folklore scandinave, lesquels ont notamment utilisé d’anciens instruments à vent et à cordes, comme la stråkharpa ou le langspil, ou encore des cornes en bois, ou des ossements d’animaux. On est alors bouche bée par la puissance de celle-ci, elle qui ne quitte pratiquement jamais nos oreilles, et qui habite finalement autant ce film que la - lente - vengeance sanglante qu’il met en place. S’il peut donc paraître creux en termes d’enjeux, en plus de ne jamais laisser véritablement de place à la femme, le film de Robert Eggers n’en demeure pas moins un film de cinéma comme on en voit peu, qui ose nous proposer, à l’heure des films de super-héros, un divertissement hybride, époustouflant de reconstitution et d’imaginaire, et résultant d’un fanatisme absolu et assumé d’un talentueux cinéaste pour l’univers mythique et mystique des Vikings. Bref, « The Northman » nous propose donc bien plus que ses quelques lignes de synopsis !



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