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CINECURE
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Matt Brown
The Man Who Knew Infinity
Sortie le 17 août 2016
Article mis en ligne le 21 juillet 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : La vie de Srinivasa Ramanujan, un des plus grands mathématiciens de notre temps. Élevé à Madras en Inde, il intègre la prestigieuse université de Cambridge en Angleterre pendant la Première Guerre mondiale et y développe de nombreuses théories mathématiques sous l’égide de son professeur G.H. Hardy.

Acteurs : Dev Patel, Jeremy Irons, Stephen Fry, Toby Jones.

« Une équation pour moi n’a aucune signification,
à moins qu’elle ne représente une pensée de Dieu »
(S. Ramanujan).

En 1991, Robert Kanigel (fiche Amazon américaine de l’auteur), un écrivain scientifique américain écrivait The Man Who Knew Infinity : A Life of the Genius Ramanujan. Il rendait ainsi visible un mathématicien indien peu connu du grand public, Srinivasa Ramanujan (1887-1920). Autodidacte, né en Inde d’une famille très pauvre, il a eu la chance extraordinaire d’être invité en Angleterre par Godfrey Harold Hardy après lui avoir écrit une lettre en 1913. Son arrivée en Angleterre où il rencontra également John Littlewood coïncide avec la première Guerre mondiale.

C’est le relativement peu connu Matt Brown qui adapte cette biographie à l’écran vingt-cinq après sa publication. Il s’agit quasiment de son premier film (hors le quasi-inconnu Ropewalk en 2000). S’il le fait de manière très classique, voire conventionnelle et/ou didactique, il a cependant le mérite de nous faire découvrir l’un des plus grands mathématiciens du vingtième siècle. Véritable aérolithe tombé du ciel, il a bouleversé les mathématiques et a même proposé d’autres systèmes symboliques de représentation pour exprimer ce qui était indicible et incompréhensible aux yeux de ses pairs. Nous songeons ici à Cantor.

Désolé pour les éléments techniques destinés matheux, aux philosophes aussi, aux théologiens peut-être !
(vous pouvez sauter, bien sûr ce qui suit entre les deux lignes horizontales) :


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Ranger des nombres en une suite simple signifie établir une correspondance biunivoque (on dit plutôt bijection) avec l’ensemble des nombres entiers. Cette approche conduisit naturellement Cantor à utiliser la notion de bijection, pour comparer des ensembles de nombres, et à introduire, dès 1877, la notion d’ensembles de même puissance. En étudiant les puissances des ensembles usuels de l’analyse, Cantor a alors la stupéfaction d’obtenir des résultats qui semblent tout à fait contraires à l’intuition, par exemple la possibilité d’établir une bijection entre le continu à une dimension et le continu à n dimensions. C’est à ce moment, et c’est là que nous souhaitions arriver, que Cantor écrit à son ami Dedekind, “Je le vois, mais je ne le crois pas ! ”.

Cantor donc, aux environs de 1880, obtient en matière mathématique une démonstration dont le résultat est sans appel. Il voit, il constate, mais il ne peut y croire, car cela bouscule son univers de “croyance”, son édifice “dogmatique”. Devant la preuve - mathématique, irréfragable - il ne croit pas ! Prenons pour admis, selon le sens commun, que ce qu’il vient de découvrir est “vrai”. Sa raison le lui dit, mais, de prime abord, il ne peut le “croire”, car cela bouscule sa dogmatique, d’une part, et l’écarte de son groupe (de mathématiciens !), en tant qu’il en fait éclater la cohésion, d’autre part.

Il y a disjonction, tension, entre “vrai” et “cru” ! Un même énoncé peut être traité de deux façons, soit dans la mesure où il met en cause une “vérité” (problématique du “savoir”), soit en tant qu’il a une valeur “contractuelle” (problématique du “croire” - et de la “croyance” liée à la réception de cet énoncé comme base de production d’un groupe).
Il n’y a pas de “croire” sans un rapport à l’autre et un rapport à un “faire”, un produit. Le “croire” est un principe de socialité, mais ne concerne pas essentiellement la vérité.


Si nous avons écrit les lignes ci-dessus c’est pour mettre en exergue un des enjeux de la science et qui est au cœur même du film : la reconnaissance des pairs ! Celle-ci est en réalité différente de la notion de "vérité. Le film nous fait ainsi découvrir ce remarquable mathématicien, mais surtout les énormes difficultés qu’il rencontra auprès de ses pairs, tant en Inde qu’en Angleterre. C’est ce premier combat (et ce ne fut pas le dernier) qu’il doit mener. Par chance, il a pu entrer en contact avec Hardy qui est intrigué, mais le prenant pour un probable imposteur il se ravise et le fait venir à Londres. L’axe majeur du film relate cela : le rejet puis la reconnaissance d’un homme extraordinaire. Et parce que son langage n’est pas reconnu par les siens, il est obligé de prouver ce qui lui semble une évidence.

Rassurez-vous, le film n’est pas que la relation froide et rigide d’un combat mathématique. Il s’inscrit aussi dans la ligne de plusieurs biopics récents consacrés à des mathématiciens. Dans notre cas, des axes secondaires viennent étoffer le scénario et la narration. Ainsi la relation avec son épouse Janaki Ammal (1899-1994) ; ses (et les) relations difficiles avec les Anglais en Inde, son rejet par ceux-ci à Londres et donc le racisme des blancs à son égard, sa difficile intégration dans une société dont les codes, y compris alimentaires, le situent culturellement en terre totalement étrangère. Ajoutons également le regard jeté sur la Grande Guerre avant que Ramanujan, reconnu par les siens, alors même que sa santé devient de plus en plus précaire et qu’il ne retourne en son pays où il mourra en 1919, à l’âge de 32 ans.

Si les acteurs principaux et seconds rôles habitent leurs rôles respectifs, on retiendra surtout l’interprétation de Dev Patel qui donne beaucoup d’humanité à son personnage et suscite beaucoup d’empathie. Un film à voir pour sa mise en relief d’un très grand mathématicien, un génie de notre temps. Il ne faut pas être fan de calculs pour le voir, mais simplement ouvrir son cœur !



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