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CINECURE
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Lars von Trier
The House that Jack Built
Sortie le 17 octobre 2018
Article mis en ligne le 29 septembre 2018

par Charles De Clercq

Synopsis : Nous sommes dans l’état de Washington dans les années 70. Jack, un architecte perfectionniste et maniaque, s’avère également être un tueur en série particulièrement organisé. Sachant l’étau se resserrer sur lui, il se confie à un inconnu sur sa gigantesque œuvre d’art macabre en cinq volets. Mais n’est-ce pas là l’ultime but de ses actes : la reconnaissance ?

Acteurs : Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman, Sofie Gråbøl, Siobhan Fallon, Riley Keough, Jeremy Davies

On ne comprendra la dimension et le sens du titre qu’à la fin du film ! Loin de l’horreur annoncée, le dernier opus de Lars von Trier a parfois des accents « comiques » ! Comme s’ll y avait une distance entre ce que l’on voit et le propos. Il est possible, selon certains, que Jack soit Lars von Trier dans ce film qui ne trouvera probablement pas son public hors des fans du réalisateur !

Un leitmotiv revient régulièrement : des images de Glenn Gould, le pianiste à l’oreille absolue qui ne se produisit plus en public dans les deux dernières décennies de sa vie trop brève (il est mort à 50 ans). Tout comme le musicien proposa les célèbres variations Goldberg, Lars nous offre des variations sur le mal, le malêtre, la souffrance, la mort. La vie aussi.

Ce sont douze ans de la vie d’un tueur en série, psychopathe, qui sont condensés en 5 tableaux (appelés ici « incidents ») et un épilogue. Ceux-ci sont enrichis d’une voix off, ou plutôt en retrait puisque le dernier tableau et l’épilogue nous permettront d’en découvrir l’origine. Une voix ou plutôt un être qui, à défaut de dialogue, questionne, interroge, interpelle, à l’image de Seligman dans Nymphomaniac (qui lui aussi se décline en plusieurs tableaux narratifs). Et, justement, le réalisateur se cite à plusieurs reprises (notamment Antechrist et Melancholia). Le dernier opus du réalisateur sulfureux ou, plus exactement, à la réputation sulfureuse médiatisée, est une réflexion sur l’art (mais pas seulement). Ce long-métrage (155’) peut tout aussi bien mêler des vues « réelles » aux dessins animés, au noir du début, à des esquisses de constructions, des images d’archives...

L’on ne dira pas que le filme casse trois pattes à un canard... mais une probablement et s’agissant du statut des animaux, ceux-ci sont présents de façons récurrente, notamment via des images de chasses. Et l’on pourrait se dire que la violence du film est plus présente dans ces images-là que dans d’autres, certes dramatiques mais qui ont, pour certaines, un effet à la limite du cocasse (involontaire ?). Ainsi, lors du premier incident, qui tourne autour de la rencontre avec l’automobiliste (Uma Thurman), l’on se dira (peut-être) à un certain moment que le coup du cric était attendu et l’on arriverait même à comprendre Jack (et probablement moins lorsqu’il va chercher de l’argent... au sein... de son porte-monnaie).

N’oublions pas que c’est Jack qui raconte l’histoire et le spectateur qui aura eu la chance de voir Life Itself (Seule la vie) se souviendra que le narrateur n’est pas fiable. Certains critiques assimilent Jack au réalisateur et les victimes à nous les spectateurs. Pourquoi pas même si ce n’est pas notre lecture, mais peu importe. Quelle que soit la grille de lecture du film, c’est une histoire qui nous est doublement narrée. Une première fois à un interlocuteur que l’on ne découvre qu’à la fin (Bruno Ganz) et, une seconde, celle que nous conte Lars Von Trier par la médiation de ses images. Celles-ci traduisent un pessimisme vis-à-vis de l’humain et de l’humanité qui, allant plus loin que les antispécistes, laisseraient entendre que nous valons moins que l’animal.

Cette histoire qui nous est contée nous a fait songer à Dexter, pour le personnage de tueur aux nombreux tocs (et qui donnent lieu à certaines scènes qui, a défaut d’être burlesques ou risibles, feront rire, nerveusement ou pas). Certains tableaux, humains, nous ont amené à des parallèles avec Hannibal (la série avec Mads Mikkelsen) tandis que certaines scènes et ambiance du film nous plongeaient dans un univers à la Fargo ! Nous gardons cette impression même si certains confrères estiment que Jack est un anti-Dexter !

Le film se termine de façon « dantesque » car il faudra, d’une certaine façon, descendre aux enfers, soit un lieu d’où l’on ne pourra sortir et qui oblige à s’interroger sur l’identité de l’interlocuteur de Jack. En effet, la fin du film boucle, d’une certaine façon, sur le début, par le questionnement/réponse narrative qui inaugurait le film. Et l’on pourrait songer ici à l’univers de Preacher (une série de comics pour adultes créée par Garth Ennis au scénario et Steve Dillon pour le dessin, entre 1995 et 2000, où justement l’enfer consiste à revivre certaines situations où l’on a dérapé dans sa vie) ! Cette narration ne se ferait-elle pas par Jack, pour Jack lui-même, enfermé dans sa folie meurtrière et incapable d’en sortir, condamné à revivre sans cesse les nombreuses morts qu’il a infligées ?

L’on terminera en signalant que le film (interdit aux moins de 16 ans) ne sera pas pour tous, non pas tellement par sa violence (d’autant que celle-ci est parfois caricaturale et/ou risible) que par sa construction et sa longueur qui découragera au moins et au mieux ceux qui ne connaissent pas (ou n’apprécient pas) l’univers du réalisateur. En revanche, ses fans devraient aimer, voire adorer, ainsi que ceux qui apprécient le cinéma expérimental ou étrange. Rappelons enfin ce que nous écrivons ci-dessus. Si Jack n’est pas un narrateur fiable, Lars von Trier ne l’est pas non plus. Et fortiori nous qui écrivons cette critique en nous et vous trompant peut-être !

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THE HOUSE THAT JACK BUILT Bande Annonce (2018) Lars Von Trier, Uma Thurman - YouTube


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