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CINECURE
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Steven Spielberg
The Fabelmans
Sortie du film le 22 février 2023
Article mis en ligne le 25 février 2023

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 150’

Acteurs : Michelle Williams, Seth Rogen, Paul Dano, Gabriel LaBelle, Judd Hirsch, Jeannie Berlin, Oakes Fegley, Gabriel Bateman, David Lynch...

Synopsis :
Le jeune Sammy Fabelman tombe amoureux du cinéma après que ses parents l’aient emmené voir « The Greatest Show on Earth ». Armé d’une caméra, Sammy commence à faire ses propres films à la maison, pour le plus grand plaisir de sa mère, qui le soutient.

La critique de Julien

La sortie d’un film de Steven Spielberg est toujours un événement. Mais il l’est encore plus lorsque celui-ci s’appelle « The Fabelmans », et s’inspire partiellement de l’enfance de l’immense cinéaste, de la légende vivante qu’il est. Projet de longue date qui lui tient particulièrement à cœur, étant donné que ses propres parents, Leah Adler et Arnold Spielberg, décédés respectivement en 2017 et 2020, l’auraient « harcelé » pour que leur fils fasse un film sur leur vie avant leur mort, ce drame semi-autobiographique et romancé voit le réalisateur revenir ici en tant que coscénariste d’un de ses propres films, ce qui n’avait plus été le cas depuis « A.I. Intelligence artificielle » en 2001, ce dernier ayant déjà fait ici équipe avec son fidèle collaborateur et dramaturge Tony Kushner, lesquels avaient notamment travaillé sur « Munich » (2005) et le récent « West Side Story » (2021). « The Fabelmans » raconte ainsi l’histoire fictive d’un garçon, Sammy (Gabrielle LaBelle), jeune cinéaste en herbe, lequel va découvrir au travers du cinéma sa future vocation, ainsi que le pouvoir de celui-ci pour voir et accepter la réalité, en lien notamment avec sa famille dysfonctionnelle.

Un rêve éveillé, aussi cauchemardesque que profondément inspirant pour celui qui va le vivre pour la première fois. Dans la nuit du 10 janvier 1952, à Haddon Township, dans le New Jersey, le couple juif composé de Mitzi (Michelle Williams), pianiste qualifiée un brin fantasque, et de Burt Fabelman (Paul Dano), un ingénieur en informatique toujours en déplacement, emmène leur jeune fils Sammy (attendrissant Mateo Zoryan Francis-DeFord), âgé de six ans, voir son premier film : « The Greatest Show on Earth » de Cecil B. DeMille. Ce dernier en ressorti dès lors choqué, ébloui par une scène impliquant un train percutant, de face, une voiture, lui qui n’en dormira donc plus, d’où le cauchemar ! Tout en ayant reçu un modèle de train pour la fête juive d’Hanukkah, celui-ci reconstituera ladite scène dans le sous-sol de la maison, au grand désarroi de ses parents, tout en la filmant avec la caméra 8 mm de son papa, ce que comprendra cependant sa maman (Michelle Williams), émerveillée par les images captées par son si jeune fils, lequel utilisera, dans un premier temps, ses mains comme écran de fortune, pointant le projecteur sur ses paumes ouvertes. C’est déjà là en soi un plan iconique que filme Spielberg, face aux yeux de Sammy, totalement obnubilé et profondément ancré par ses images. Un moment déjà des plus représentatifs quant à l’amour qu’éprouve le réalisateur pour le cinéma et son pouvoir irréversible d’imprégner durablement la rétine. Rapidement, le jeune garçon se mettra à filmer régulièrement ses petites sœurs (déguisées notamment en momies avec les rouleaux de papier-toilette), lequel extériorisera son imagination débordante sur pellicule, sans encore cependant en maîtriser l’art, elle qui l’accompagnera une très grande partie de son enfance, notamment en guise d’échappatoire, bien que ce soit justement par le cinéma qu’il découvrira un lourd secret familial, lequel va définitivement le bouleverser, et le façonner, sans compter sur les multiples déménagements en raison de propositions d’emploi ou de promotion du père, ou encore sur les injures antisémites qu’il subira au Collège...

« The Fabelmans » est une œuvre si riche de sens qu’on ne sait où commencer. Peut-être sans doute par la magie avec laquelle il reconstitue l’éveil du septième art envers son metteur en scène, à l’image des nombreuses scènes où Sammy et ses amis scouts tournent des courts-métrages, avec, sans aucun doute, en apogée, « Escape to Nowhere » (1961), lui qui tournera 37 ans plus tard « Il Faut Sauver le Soldat Ryan ». LaBelle, qui s’est fait lisser les cheveux et a changé sa façon de se tenir debout et de marcher, imitant également le sourire de Spielberg, a appris ici à manier les caméras 8 et 16 mm, ainsi que leurs accessoires, afin que ce qu’il avait lui-même filmé avec les caméras puisse être utilisé dans le montage du film, tandis qu’on y découvre la façon avec laquelle Spielberg découpait ses images et les épissait à l’aide de machines de montage et des projecteurs de l’époque, tandis qu’il avait recours à des astuces et trucages, à l’image, par exemple, de trous dans ses films à l’aide d’épingles, faisant ainsi croire à des tirs d’arme ! Astucieux ! Fier, son père dira d’ailleurs de lui qu’il a pensé à ce moment-là comme un ingénieur, persuadé quant à lui que le cinéma n’est « qu’un hobby », préférant que son fils se consacre davantage à l’algèbre, soit à des choses « réelles, et non imaginaires ». Car c’est aussi de cela dont parle « The Fabelmans », soit du poids des attentes de la société, dont celles des parents à l’égard de leurs enfants, d’autant plus ici face au domaine artistique, alors qu’eux ne veulent en aucun cas les décevoir. Pourtant, ce sont paradoxalement les parents de Spielberg qui lui ont fait découvrir le cinéma, à l’image de Mizti et Burt, sans cependant se douter une seule seconde de l’ampleur qu’il prendrait dans la vie de leur fils. Paul Dano, sous les traits de ce père absent, finit d’ailleurs par nous bouleverser, lorsqu’il comprendra qu’une vie passée à la réussite professionnelle n’est pas un gage de stabilité familiale, tandis que même si des chemins séparés sont pris par ses pairs, la vie fait en soi que l’histoire ne s’arrête jamais vraiment, tandis qu’on n’arrête pas d’apprendre à se connaître, que ça soi soi-même, ou mutuellement. Parsemé de jolis messages et répliques, le scénario de « The Fabelmans » se veut ainsi profondément humain, et nostalgique.

Ainsi, Spielberg nous montre ici l’importance, la force du cinéma, lequel est littéralement capable de nous faire ouvrir les yeux sur la réalité, que l’on ne verrait sans doute pas à l’œil nu, vis-à-vis de ce que va découvrir ici Sammy. Aussi, si on savait déjà la puissance d’interprétation d’images de tout en chacun, jamais un film nous l’avait si bien illustré qu’au travers du regard des principaux intéressés par le film du Ditch Day à la plage, soit un jour traditionnel où les étudiants sèchent les cours, à l’approche du bal de promo, que Sammy va filmer à l’aide de la caméra Arriflex 16 mm du père de sa petite amie et fervente (c’est peu dire !) catholique, Monica (Chloe East). Alors que Logan (Sam Rechner) et Chad (Oakes Fegley) le harcèlent depuis qu’il est arrivé au collègue, et l’appellent « Bagelman », en référence au petit pain en forme d’anneau, d’origine juive, Sammy y glorifiera le premier, Logan, tandis qu’il vilipendera le second, Chad. Interrogé par la fausse image qu’il a ainsi offert de lui au public, et qui plaira aux filles (bien qu’il ne l’égalera cependant jamais), alors que Logan n’a jamais été clément avec lui, Sammy fera comprendre à son interlocuteur que le paraître au cinéma peut inverser la tendance dans la réalité, et ainsi changer un tant soit peu les gens, ou éveiller les consciences, tout comme il est capable de créer des moments de pure fiction. Cet échange mettra en tout cas un terme aux persécutions que Logan lui faisait subir, lequel lui dira cependant que « la vie n’a rien avoir avec les films », alors que Sammy, lui, rétorquera que « peut-être bien, même si, au bout du compte, c’est toi qui à la fille ». Une fois de plus, l’écriture de Spielberg et Kushner, tout comme elle nous dit d’écouter notre cœur, et que nous ne devons notre vie à personne, et surtout pas à nos parents, dont à sa mère, jouée ici par une fantastique Michelle Williams, son personnage ayant sacrifié sa carrière de pianiste pour s’occuper pleinement de ses enfants, quitte ici à s’oublier en échange, avant de ressentir le besoin vital de se redécouvrir...

Une fois de plus, Spielberg a confié ici la partition musicale du film à John Williams (91 ans), marquant ainsi leur 29e collaboration cinématographique, et le 50e anniversaire de leur premier film (pour le troisième du réalisateur, « Sugarland Express », sorti en 1974). Enjouée, orchestrale, bien que laissant manifestement place au piano, et puissamment respectueuse des émotions cherchées ici par son metteur en scène au travers de son film, la bande-originale est une nouvelle fois un petit chef-d’œuvre, tout comme la photographie de Janusz Kamiski, autre grand fidèle de celui qui vient de recevoir un hommage au Festival de Berlin, ce 21 février 2023, bien que le travail de Kamiski ait été injustement boudé aux Oscar, ne recevant pas de nomination parmi les sept qu’a reçu « The Fabelmans », lui qui a notamment remporté le Golden Globe du meilleur film dramatique et de la meilleure réalisation. De bonne augure donc pour la cérémonie de l’Académie, qui aura lieue le 12 mars prochain, à Los Angeles, là où se termine finalement le film de Spielberg, au moment où Sammy, à la suite d’une rencontre décisive avec l’un des plus grands cinéastes (joué par David Lynch), y prend son envol, lequel pointera désormais sa caméra vers le bas ou le haut, mais jamais plus uniquement au centre de l’image, et donc plutôt vers l’horizon, et ce qu’il ouvre de possibilités, de suite aux idées, à l’histoire. En témoigne d’ailleurs son plan final, donnant tout son sens à l’affiche officielle du film, où Sammy regarde justement vers l’horizon, et le propre film de sa vie, qui ne fait que commencer. Même à 76, celui qui est surnommé « The Entertainment King (le Roi du Divertissement) » nous offre une nouvelle leçon de cinéma, personnelle, et pourtant fondamentalement universelle. C’est dire son talent, et sa capacité à divertir, tout comme ici à nous raconter une inspirante fable familiale et artistique. Et ça tombe bien, car « fabel » signifie justement fable en allemand. La boucle est donc bouclée, et notre amour pour le cinéma (de Spielberg) encore plus passionné ! Bravo maestro !



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