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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Luca Guadagnino
Suspiria
sortie le 14 novembre 2018
Article mis en ligne le 29 octobre 2018

par Charles De Clercq

Synopsis : Susie Bannion, jeune danseuse américaine, débarque à Berlin dans l’espoir d’intégrer la célèbre compagnie de danse Helena Markos. Madame Blanc, sa chorégraphe, impressionnée par son talent, promeut Susie danseuse étoile. Tandis que les répétitions du ballet final s’intensifient, les deux femmes deviennent de plus en plus proches. C’est alors que Susie commence à faire de terrifiantes découvertes sur la compagnie et celles qui la dirigent…

Acteurs : Dakota Johnson, Tilda Swinton, Mia Goth, Lutz Ebersdorf, Jessica Harper, Chloë Grace Moretz

Ceux et celles qui iraient voir Suspiria (une production Amazon), en se basant sur le souvenir qu’ils ont (par exemple) de Call Me by Your Name du même réalisateur risquent d’être surpris devant un film d’horreur, glauque et gore et l’on ne saurait trop leur conseiller de demander l’avis de leurs ami·e·s avant de se rendre dans une salle de projection. A l’opposé, ceux qui ont aimé l’original de Dario Argento, et ont apprécié son côté d’horreur baroque, flamboyante, somptueuse, risquent également d’être déçus. Quant à ceux qui iraient voir le film de 2018 sans connaître celui sorti il y a plus de quarante ans et pensant voir un film d’horreur « classique », ce pourrait être, pour eux aussi, la déception. C’est que l’adaptation, plus que le remake, de Luca Guadagnino est bien moins gore (à une exception près) que ce que l’on pouvait espérer (ou craindre). Il nous offre un film d’une grande beauté mais également très cérébral. C’est qu’il donne à penser dans la relecture de ce que l’on pourrait appeler le « mythe initial » (l’original d’Argento dont une des actrices joue dans celui de 2018). Nous pouvons comprendre l’enthousiasme et la standing ovation de huit minutes à Venise et, dans le même mouvement, les doutes de certains critiques et de fans d’Argento, face à cette œuvre magistrale en six tableaux et un épilogue.

Relecture donc, voire déconstruction et reconstruction d’un mythe, comme si celui-ci avait été revu, corrigé, travaillé par Rainer Werner Fassbinder (certaines de ses actrices jouent ici) notamment, mais pas que, dans sa série Welt am Draht (Le monde sur le fil) en même temps que Darren Aronofsky, celui de Requiem for a Dream, Black Swan et Mother !, avec l’élégance, la flamboyance et l’inventivité de Luca Guadagnino dans un film au casting quasi exclusivement féminin (à part deux policiers et l’un ou l’autre figurants) où Tilda Swinton joue un rôle féminin (Madame Blanc/Helena Markos) et masculin (Dr. Josef Klemperer).

Il ne s’agit plus ici de raconter comment, dans Berlin, un groupe de sorcières dirige une académie de danse, mais de proposer une réflexion (dans ses acceptions de « penser-réfléchir » et de réfléchir comme un miroir) sur la mémoire, le souvenir, la culpabilité, la confusion entre idéologie et réalité. Tout comme dans Welt am Draht où il y a confusion entre les différents niveaux de réalité et où les miroirs sont omniprésents. Ces miroirs sont là aussi dans Suspiria (2018) et donnent à l’écran des images fabuleuses (aux plans artistique et technique), notamment lorsque deux plans d’existence sont donné à voir : ce qui se passe sur la scène (vu par les professeures et les étudiantes - et aussi le public s’il y a lieu) et ce qui se passe hors de la scène, ce qui ne peut pas être vu, montré, qui est donc, littéralement obscène, dans ce cas, le corps d’une danseuse qui ne lui appartient plus et qui est « mobilisé » de façon quasi mortelle, au service d’une autre danse(use) dans une pièce sans témoins, où les seules images qui sont « visibles » sont celles renvoyées par les miroirs. Ceux-ci sont à ce point importants dans la symbolique du récit qu’ils seront occultés à certains moments lors de répétitions.

L’histoire se déroule en 1977, à l’époque où la terreur règne en Allemagne au moment où opère la bande à Baader (ou groupe Baader-Meinhof). Il ne s’agit pas de quelque chose d’anecdotique mais d’essentiel, qui est rappelé de façon récurrente par les échos des médias durant le film. Cette violence-là doit être vue, lue, et relue en même que celle qui se déroule dans l’école de danse, comme si ce qui s’y passe, là, entre ces murs, était un reflet de ce qui se passe hors les murs ! Il est une autre violence, évoquée à plusieurs reprises, de façon allusive au début par des photos, des textes affichés aux murs, des souvenirs, celle de l’Allemagne nazie et de ses sbires, ensuite, par le rôle joué par le Dr. Josef Klemperer, Juif, dont la femme est morte dans un camp de concentration. Ce psychiatre reçoit Susie, une jeune danseuse, qui va lui apprendre des choses sur ce qui se passe dans son école de danse. Joseph Klemperer doit-il « croire » ou pas cette danseuse ou doit-il découvrir et dévoiler ce qui est caché (folie, réalité, fiction, fantasme, sorcellerie...), autrement dit « révéler » (apocalypse !) au monde ce qui se passe (ou pas) ? Il est donc capital qu’au moment où advient la dernière présentation publique du ballet et où toutes choses s’accompliront pour ces sorcières, il leur faille un témoin ! Que ce témoin soit justement une des victimes du nazisme à qui Susie pourra faire un don ultime, celui de l’oubli car seuls les bourreaux doivent porter le poids de la culpabilité.

Ce « remake » s’est donc enrichi de sens supplémentaires par rapport à son modèle. Bien au-delà de la beauté (malsaine et paradoxale peut-être) de certains plans, de la fascinante chorégraphie du ballet, de la performance des danseuses actrices (à relever donc, comme dans Climax de Gaspar Noé) nous avons affaire ici à un film qui réfléchit (en miroir donc) notre condition humaine, la place de la femme, la violence de nos sociétés, celle d’un passé horrible que l’on voudrait oublier et qu’il est impossible de pardonner. A ce titre, face à ce quasi sans faute dans un film plus dramatique que gore, il est regrettable que le réalisateur se soit laissé aller dans le sixième tableau, comme s’il avait lâché tout le gore retenu jusque là, dans un climax aux frontières du too much ! Il ne s’agit donc pas d’un film « tous publics » [au USA il est classé R - Restricted (Interdit aux moins de 17 ans non-accompagnés d’un adulte)], même si, pour le moment, il est classé « tous publics » par Cinébel (mise à jour : désormais interdit au moins de 16 ans) !

A l’occasion de la sortie du film, nous avons invité dans les studios un fan du cinéma d’Argento (entre autres). Grégory Tilleul est professeur de français et ne travaille pas dans le milieu du cinéma. Il n’est cependant pas en territoire inconnu et c’est donc en spectateur « averti » qu’il se fait écho du dernier film de Luca Guadagnino. Pour ceux et celles qui n’ont pu l’entendre les 8 et 9 décembre sur nos antennes, voici le podcast de cette rencontre :

Rencontre avec un fan : Grégory Tilleul
RCF/Cinécure (2018)
https://www.youtube.com/embed/mmUH0NgI60M
SUSPIRIA Nouvelle Bande Annonce (2018) Dakota Johnson, Chloë Grace Moretz - YouTube


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