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CINECURE
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Naomi Kawase (2014)
Still the Water (Futatsume no mado)
Sortie le 29 octobre 2014
Article mis en ligne le 1er octobre 2014

par Charles De Clercq

Synopsis : Sur l’île d’Amami, les habitants vivent en harmonie avec la nature, ils pensent qu’un dieu habite chaque arbre, chaque pierre et chaque plante. Un soir d’été, Kaito découvre le corps d’un homme flottant dans la mer, sa jeune amie Kyoko va l’aider à percer ce mystère. Ensemble, ils apprennent à devenir adultes et découvrent les cycles de la vie, de la mort et de l’amour...

Acteurs : Miyuki Matsuda, Jun Murakami, Nijirô Murakami, Hideo Sakaki, Tetta Sugimoto, Fujio Tokita, Makiko Watanabe

Tout de go, il faut signaler que l’affiche n’est absolument pas représentative du film et fait référence aux dernières minutes ! Ensuite, préciser, dans la foulée, qu’à nos yeux d’occidentaux, le film pourra apparaître lent, beaucoup trop lent, voire ennuyeux. Qu’enfin, si vous êtes un défenseur de la cause animale comme l’on dit aujourd’hui, vous risquez, à deux reprises de vous cabrer et ce, d’ailleurs, pour la première, dès le tout début du film ; j’y reviendrai. Ecrit ainsi et à première vue (tant pour employer l’expression courante que son sens littéral) Naomi Kawase échouerait dans son propos en tout cas pour nous, peu coutumiers de l’univers et de la culture nippons. Elle échoue donc, comme échec d’un projet, mais aussi, échouer comme la vague qui vient perdre sur le rivage toute la force acquise dans l’océan.

Et justement, je joue sur les deux sens du verbe « échouer » pour inviter à aller sur d’autres rivages. Il faut pour découvrir et entrer dans ce film abandonner son esprit cartésien. Il faut se donner au récit qui nous invite à une histoire - si pas cosmique (à la Terrence Malick, par exemple) - où l’humain est partie de la nature.

Plongeons donc dans ce film comme nous y invitent les toutes premières images d’une mer violente suivies de celles d’un rivage apaisé pour accoster sur une petite île du Pacifique (Amani). Nous irons ainsi à la rencontre de deux jeunes adolescents, âgés d’à peine 16 ans et d’un cadavre dans la mer, dont on n’aperçoit que le dos totalement tatoué. Kaito est amoureuse de Kyoko. Il lui est difficile de répondre positivement à l’expression de son amour et au passage à l’acte qu’elle espère. Tout semble à la fois les rapprocher (leurs promenades communes) et les éloigner : elle nage comme une déesse, lui à peur de l’eau. Outre cette peur, il ne peut accepter que sa mère (séparée de son époux) le laisse pour tomber dans les bras d’hommes de passage (le noyé en serait-il ? Et si oui, cette question est-elle essentielle au propos du film ?).

Kyoko, elle, vit l’épreuve de la perte annoncée de sa maman, atteinte d’une maladie grave et incurable. Qu’est-ce que la vie, sinon le passage par la mort, inévitable ? Le théologien catholique Jacques Pohier, plagiant les cyniques écrivait : « La vie, une maladie mortelle incurable ». Et il ne s’agit pas ici que de la vie humaine mais de toute vie. Et ce n’est pas pour rien qu’une des premières scènes, l’égorgement d’une chèvre, est significative de l’importance de la mort. Certes, comme occidentaux nous pouvons nous révulser (d’autant qu’il y en aura une seconde... sans compter toutes celles qui furent sacrifiées pour que les acteurs puissent s’exercer !) mais entre cette mise à mort pour se nourrir et donc pour vivre, au vu et au su de tous et en particulier les enfants, n’est-elle pas finalement plus saine, plus « sainte » que celles, si nombreuses, cachées derrière les abattoirs et les morceaux bien découpés et présentés sous cellophane dans les rayons des grandes surfaces ?

Cette autre culture nous renvoie ainsi à la nature et à un tout autre rapport à celle-ci. Ainsi les plantes, l’eau, la mer, le vent, la pluie, les paysages sont autant de personnages et d’acteurs du film, au même titre que les adolescents, leurs parents et leurs fragilités, la mort. On ne s’étonnera donc pas qu’à la fin du film, toutes choses assumées et intégrées par les jeunes protagonistes, leur permettront de s’unir... tout naturellement, et de faire corps avec la Nature. Et si donc leur nudité dans l’océan, telle que présentée sur l’affiche n’est pas représentative des deux heures de ce très long métrage, elle est paradoxalement représentative du cœur et de l’essence de ce fabuleux film de Kawase.

Je songe ici, face à cette nudité, à ce mystique dont j’ai oublié le nom qui demandait :

  • Comment l’homme doit-il se présenté devant son Dieu ? Nu ou habillé ?
  • Il disait alors : Ni l’un, ni l’autre !
  • Comment alors ? lui répondaient ses interlocuteurs !
  • Ce à quoi il répondait : dévêtu !.

Entendons là tout autre chose qu’une nudité primordiale. Il s’agit de l’humain, débarrassé de la fragile barrière des oripeaux de sa culture, inutile protection qui le renvoie au plus profond de son identité.
Et c’est bien ce qui arrive à Kyoko et Kaiko lorsqu’ils plongent et nagent dans l’eau après l’amour !



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