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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Oliver Stone
Snowden
Sortie le 2 novembre 2016
Article mis en ligne le 15 octobre 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Patriote idéaliste et enthousiaste, le jeune Edward Snowden semble réaliser son rêve quand il rejoint les équipes de la CIA puis de la NSA. Il découvre alors, au cœur des Services de Renseignements américains, l’ampleur insoupçonnée de la cybersurveillance. Violant la Constitution, soutenue par de grandes entreprises, la NSA collecte des montagnes de données et piste toutes les formes de télécommunications à un niveau planétaire. Choqué par cette intrusion systématique dans nos vies privées, Snowden décide de rassembler des preuves et de tout divulguer. Devenu lanceur d’alerte, il sacrifiera sa liberté et sa vie privée.

En juin 2013, deux journalistes prennent le risque de le rencontrer dans une chambre d’hôtel à Hong Kong. Une course contre la montre s’engage pour analyser les preuves irréfutables présentées par Snowden avant leur publication. Les révélations qui vont être faites dans cette pièce seront au cœur du plus grand scandale d’espionnage de l’histoire des Etats-Unis.

Acteurs : Joseph Gordon-Levitt, Shailene Woodley, Melissa Leo, Zachary Quinto, Rhys Ifans, Tom Wilkinson, Timothy Olyphant, Joely Richardson, Nicolas Cage.

Avertissement : Notre note de 101/100 est une note de « cœur » qui manifeste l’enthousiasme - probablement naïf selon certains - face au thème éthique abordé par le réalisateur. Elle est en deçà et au-delà de critères purement cinématographiques « objectifs ». Une note très partiale, « partisane » probablement, totalement assumée et où le critique se laisse déborder par le plus humain qu’il peut trouver en lui.

 Documentaire ou fiction ?!

En quittant la projection presse (très curieusement soumise à un embargo jusqu’à la mi-octobre alors que le film est déjà sorti dans près de trente pays et parfois depuis la mi-juillet et que nous sommes à l’époque d’une mondialisation de l’information et que l’internet permet aux critiques de dépasser les frontières toutes choses qui sont en quelque sorte au cœur du dernier film de Stone) nous avons échangé nos points de vue entre confrères, comme nous le faisons régulièrement. L’un me demande ce que j’en pense et je réponds tout de go que je venais de voir l’un des meilleurs films de l’année ! L’étonnement était visible sur son visage, car c’était loin d’être son avis. D’autres confrères reconnaissaient des qualités au film, typiquement « stonien », mais disaient n’avoir rien appris. Il leur semblait que depuis le documentaire Citizenfour, « la messe était dite » ! Admettons qu’au plan proprement cinématographique le film de Stone soit très classique, convenu, formaté. Peut-être. Qu’il n’apporte rien de neuf, probablement, quoique ! Qu’il soit inutile après le documentaire ! Certes pas. Bien entendu, tout était déjà dit, mais reconnaissons aussi que le public se rue plus dans les salles pour une « fiction » que pour un documentaire ! Vous avez dit « fiction » !? Oui, c’est bizarre, façon de parler. Parlons donc de biopic ! Et puis, Oliver Stone, c’est quelqu’un qui a du poids quand même. Paraphrasant un évangile, et osant un très mauvais jeu de mots, c’est un réalisateur qui bâtit ici sur du roc, du solide (ou sur un Rubik’s Cube ?).

 Un thème d’actualité !

OK, c’est du solide, mais meilleur film de l’année ! Un des meilleurs. A cause du thème. Depuis plusieurs mois la question des « lanceurs d’alerte » est au cœur de l’actualité. Il arrive à nombre de citoyens de prendre fait et cause pour eux et de s’insurger, surtout en matière financière lorsque l’on découvre que l’on veut continuer à cacher les choses, trouver des justifications légales ou juridiques à défaut d’être éthiques. Le citoyen manifeste si ces hommes et femmes sont poursuivis par la justice ainsi que les journalistes « complices » d’avoir recueilli et publié des informations « classifiées ». Dernièrement encore au Luxembourg. Ailleurs aussi. Panama, par exemple. Gageons cependant que si vous avez un compte dans ce pays ou ailleurs vous aurez un avis différent. Mais ceux-là, ce sont des « gros bonnets ». Ce n’est pas nous. Et si on commence à publier le nom de ceux qui ont fait faire une partie des travaux de leur maison en noir, seront-il aussi enthousiastes pour mettre ces lanceurs d’alerte en avant et interdire les poursuites ? Le pavé est ici doublement jeté dans la mare : peut-on dénoncer des choses injustes, d’abord, et peut-on tout dévoiler ensuite. Qu’en est-il du secret ? A l’heure où nous mettons toute notre vie sur la Toile informatique celui-ci existe-t-il encore comme tel ? Jadis ceux et surtout celles qui tenaient un journal intime s’indignaient si on le lisait alors qu’aujourd’hui on râle lorsque l’intime que nous publions sur Facebook ou autre n’est pas liké (des amis me disent que « liker » ne veut pas encore dire « lire » et qu’une vidéo est considérée comme lue si elle l’a été durant quatre secondes !).

 Un film politique

Stone réalise ici un film politique. Non pas au sens d’un choix « partisan », mais au plus noble et au plus étymologique du terme. Le politique au sens du respect de nos différences, d’un vivre ensemble et de la façon de gérer un espace commun. Et c’est pour cette raison que le film nous a touché. Parce que le politique, celui qui permet de gérer la « cité » et le vivre ensemble, essentiellement par la « parole » est une des caractéristiques de notre humanité. En dressant le portrait d’un homme comme Snowden, avec ses doutes, ses interrogations, ses rêves, ses éventuelles compromissions qui a littéralement modifié notre perception du monde, Stone fait œuvre politique. Il donne de la voix et il donne voix à celui que l’on voudrait faire taire et enfermer. Punir à jamais parce qu’il montrait une voie possible pour l’humain : dire non. Un homme seul, comme ce pourrait être un petit parlement régional d’un tout petit pays de la grande Europe qui dit « non » à un traité international abscons et surtout dont la majorité des clauses sont tenues secrètes. Snowden est cet homme qui malgré ses fragilités et grâce à sa relation avec Lindsay Mills va prendre conscience de la dignité de pouvoir s’indigner. De se lever et de renoncer à la richesse, à la belle vie, à une existence tranquille, et de risquer la mort, éventuellement physique, mais surtout sociale pour dire non à l’intolérable. Et c’est ce combat-là que nous avons apprécié parce que le film arrive à bien transmettre cela, à être un porte-voix à la face du monde et ouvre ainsi et aussi la voie à d’autres humains qui pourraient, eux-aussi, se lever et dire non quel qu’en soit le prix à payer.

 Oui, mais que vaut le film ?

Des confrères (nombreux ?) ne seront pas du même avis, mais nous avons beaucoup aimé le film comme proposition de cinéma. Outre le réalisateur engagé, c’est aussi de casting de haut niveau que nous avons apprécié et tout particulièrement un Joseph Gordon Levitt qui non seulement est l’acteur qu’il fallait pour ce rôle, mais qui, mieux encore, arrive à s’effacer pour laisser place à Edward Snowden (au contraire de ce que nous relevions dans le film L’odyssée ou le halo de Lambert Wilson brillait - malgré lui probablement - autour de son personnage du commandant Cousteau). Autour de l’acteur principal, les seconds rôles ne sont pas en reste, à commencer par Shailene Woodley qui quitte ici les franchises adolescentes pour un rôle plus exigeant et plus mûr. Ensuite quelques acteurs, dont certains connus également par de grandes franchises ou des séries : Zachary Quinto, Rhys Ifans, Timothy Olyphant, par exemple et, enfin, Nicolas Cage qui ne fait pas du Nicolas Cage. Bien plus, alors que l’issue du film est connue (celui-ci débute d’ailleurs par la rencontre avec des journalistes dans une chambre d’hôtel à Hong-kong) son déroulement est tel que l’on se prend à vibrer à l’aune du suspens. L’histoire a été « validée » par Edward Snowden lui-même. Serait-elle en partie hagiographique qu’on pardonne volontiers - mais le réalisateur ne cache pas certaines zones plus troubles de son héros, notamment lorsqu’il surveille son épouse. En ce lieu, l’intime et l’extime ont un point de coïncidence paradoxale comme une tangente à la frontière d’une circonférence. Mise en abîme, d’une certaine façon, de ce que Snowden reproche aux différentes agences de renseignements (pour faire court). Il est probable que certains éléments du récit sont embellis, fantasmés ou « créés » pour la cause (mais il en est ainsi dans les évangiles, par exemple). Il est certain que les différentes agences resteront silencieuses là-dessus. Il n’empêche, les critères de vraisemblance et de réalisme sont réunis pour nous offrir un excellent moment de cinéma, et un grand appel à notre humanité. Enfin, le film se conclura avec quelques images d’archives et la présence de Snowden lui-même...

 Le point de vue du réalisateur

Il semble intéressant de conclure en publiant le point de vue d’Oliver Stone sur sa démarche (extrait du dossier presse) : "À elle seule, l’Histoire fait d’Edward Snowden une figure marquante. Ses révélations en 2013 – une démarche qui en Amérique vaut le qualificatif de « lanceur d’alerte » à son auteur s’il s’agit d’un fonctionnaire du gouvernement – ont déclenché une prise de conscience générale du fait que les nouvelles technologies avaient atteint des niveaux d’omniscience inédits jusqu’alors – du fait que « ils », les Yeux et les Oreilles du gouvernement, pouvaient voir et entendre tout ce que nous, vous, moi, considérons comme privé.

Quelles que soient vos convictions ou réactions à propos de la démarche de Snowden, il est indéniable qu’il a tenté de nous alerter sur l’illégalité des agissements de ce nouvel État de Sécurité nationale, dont la surveillance de masse de sa propre population. Pour nombre d’entre nous, cet abus de privilèges semblait tout droit sorti de « 1984 », le pire cauchemar que George Orwell ait jamais fait. Et il n’avait pas déclenché chez nous de réelles protestations. Nous étions la population passive par excellence.

Il y a eu un documentaire, récompensé aux Oscars, qui présentait Edward Snowden au monde. Mais que se passait-il dans sa tête ? Qu’est-ce qui l’avait poussé à rendre publiques ces informations sensibles ? Avait-il évalué ce que cela lui coûterait avant de le faire ? Étions-nous en présence d’un Prométhée moderne, un homme ordinaire qui apporte une vérité nouvelle à l’humanité, déclenchant la colère des dieux de la NSA, et en conséquence condamné au supplice de se faire dévorer le foie par des vautours sur un rocher quelque part en enfer ?

Qui est Edward Snowden ? Pourquoi a-t-il agi ? Comment a-t-il agi ? Le film que nous avons fait tente de répondre à ces questions et d’incarner cette histoire importante qui est aussi un mythe antique."



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