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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Martin Scorsese
Silence
Sortie le 15 février 2017
Article mis en ligne le 29 janvier 2017

par Charles De Clercq

Synopsis : XVIIe siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.

Acteurs : Liam Neeson, Andrew Garfield, Ken Watanabe, Issei Ogata, Adam Driver, Tadanobu Asano.


En résumé : Le dernier (et très long) film de Martin Scorsese est certes une œuvre cinématographique et les codes habituels du genre sont respectés. Toutefois c’est avant tout (volontairement ou pas) une œuvre ou un acte de foi. Non pas de propagande, mais de témoignage à travers l’adaptation du roman d’un écrivain catholique japonais qui lui-même narrait une histoire vraie du Japon du XVIIe siècle. Certains pourront penser qu’il va trop loin et se sentiront mal à l’aise par rapport au propos. Ce n’est pas mon cas et certainement pas dû au fait que je sois prêtre catholique. En revanche, Scorsese pose une question à la fois très humaine et très « divine », celle-là même qui faisait l’objet de son controversé (et incompris par certains) film de 1988, La dernière tentation du Christ. Là, tout comme ici, il posait la question du doute. Le Christ pouvait-il douter ? Les prêtres au Japon pouvaient-ils douter face à la torture, en particulier s’ils n’en sont pas l’objet au premier chef ? Ce sont ces questions et d’autres qui rendront probablement le film inclassable et feront que le rédacteur de cette critique se concentrera surtout sur l’aspect religieux - éventuellement controversé - du dernier long métrage d’un grand réalisateur qui a tutoyé les sommets dans certains de ses films.


 La première tentation d’un réalisateur

Un critique cinéma doit faire abstraction de ses sentiments, de sa religion éventuelle, de ses affects pour rendre compte sereinement d’un film qu’il a visionné. Toutefois, si ledit critique est prêtre, au service de médias catholique (l’hebdomadaire belge Dimanche) ou chrétien comme les radios RCF, il doit s’attendre à se voir interpeller au sujet d’un film comme Silence, le dernier Scorsese ! Ainsi une consoeur sollicitera son avis comme prêtre alors qu’un internaute lui pose la question sur un forum cinéphile : « Est-ce que ta foi a été interrogée/perturbée/bousculée par ce film ? », ajoutant « en ce qui me concerne, moi qui suis agnostique, la vision de La Dernière tentation du Christ m’a profondément touché sur un plan spirituel, ému par un personnage que j’estime plus proche du message originel que de ce qu’en a fait l’Église dans ses trahisons diverses et variées » et que l’hebdomadaire catholique belge Dimanche lui propose une page entière pour la sortie du film ! C’est dire que pour cette critique les dés seront pipés et que celui qui la rédige transgressera quelques frontières pour aborder le film avec un regard critique et attentif à la dimension « religieuse » que lui permet sa formation !

C’est que le réalisateur américain, qui aura septante-cinq ans cette année est connu par certains pour son film de 1988, The Last Temptation of Christ (La dernière tentation du Christ) où il adaptait un roman de Níkos Kazantzákis. A l’époque ce long métrage avait scandalisé des chrétiens, notamment catholiques et certains ont même incendié des cinémas ; l’un des attentats fut meurtrier ! C’est que le très catholique cinéaste avait mis en scène une tentation du Christ, à savoir échapper à la croix, former une famille, avoir des enfants et, d’une certaine façon « se la couler douce ». Et si l’on reconnaissait à Scorsese, en jouant sur les mots, le « bénéfice du doute » ou, mieux encore, que ce film était une œuvre de foi ? Le critique, pas encore prêtre, se souvient ici d’une question qu’il posa en 1980 au théologien belge Adolphe Geshé : « Si l’homme est créé à l’image de Dieu, ne peut-on pas affirmer dans la même foulée que Dieu est à l’image de l’homme, entendons qu’il peut souffrir, douter être fragile ?  ». La réponse fut affirmative !
Et si Silence portait cette question du doute comme une véritable confession de foi ?

 La dernière tentation de Scorsese

Il aura fallu tant d’années depuis 1988 pour que Martin Scorsese s’attaque à nouveau à un monument religieux en adaptant Chinmoku (Silence) un célèbre roman de l’écrivain catholique japonais Shūsaku Endō publié en 1966, ce qui avait déjà été fait en 1971 par le réalisateur Masahiro Shinoda. Son film homonyme qui était en compétition à Cannes en 1972 avait obtenu l’année précédente le prix Mainichi du meilleur film. On trouvera ici une critique en français de ce film au format PDF (source). En réalité, il y a plus de vingt ans que Scorsese rêvait aussi d’une telle adaptation. Ce projet a muri, suscité de nombreuses attentes, connu bien des déboires pour un film qu’il voulait mettre en œuvre après Gang of New York.

Le tournage s’est déroulé à Taiwan (avec l’aide de Ang Lee) dans des conditions difficiles et éprouvantes : climat, météo, lumière qui ont représenté autant de défis pour le réalisateur et son équipe.

Les acteurs prévus au départ ne sont plus du projet, soit, très simplement, pour des questions d’âge ou pratiques, soit d’agenda incompatible avec le tournage, voire parce que certains se sentaient mal à l’aise dans un rôle « religieux ». Quoi qu’il en soit de ces péripéties, le choix final des acteurs est très convaincant et ceux-ci se sont préparés à leur rôle. Ainsi Adam Driver en perdant 20 kg sous le contrôle d’un coach, ce qui nous le fait voir à l’écran comme décharné, ascétique, stupéfiante transformation (christique ?). Ou encore Andrew Garfield qui a étudié durant un an Les exercices spirituels d’Ignace de Loyala, fondateur des Jésuites et a fait vœu de silence durant une semaine lors d’une retraite spirituelle au Pays de Galles [1].

 Oui, mais le film ?

Le film raconte une « histoire vraie », celle qui est narrée dans le roman dont l’écrivain a fait d’un de ses protagonistes un Portugais alors que Giuseppe Cara, le « vrai » jésuite, était d’origine italienne. Scorsese garde le même principe de narration que le roman : Rodrigues écrit un journal à destination de son supérieur au Portugal. Ce récit est « donné à entendre » par la voix off de Rodrigues, ensuite, ce sont des tiers qui, par des lettres, racontent l’histoire de Rodrigues après une décision fondamentale qui va bouleverser sa vie et celle d’autres. Il n’y quasiment voire pas de musique si ce n’est diégétique (à savoir celle qui fait partie de l’histoire et n’est donc pas ajoutée comme « effet ») et ce sont seuls les sons « naturels » que le spectateur entendra. Ce sera d’ailleurs dès l’ouverture du film, sonore et sans image. Le quasi-mutisme des deux jésuites durant certaines séquences (mais ce silence-là n’est pas relatif au titre du film !) est « compensé » par la voix off qui permet de prendre connaissance du cheminement, des états d’âme et des questions de celui-ci. Ses échanges avec Garupe, son frère jésuite, sont intenses et laissent entrevoir des perceptions différentes de la foi alors qu’ils se posent des questions sur l’apostasie éventuelle, mais impensable de leur mentor Ferreira (Liam Neeson, que l’on verra finalement peu à l’écran). Le seul « reproche » que l’on pourra faire au film est l’emploi de la langue anglaise pour les personnages censés parler en portugais. Vu le casting, il était difficile de faire autrement et la réception en aurait été moins « universelle ». C’est le prix à payer et le spectateur devra donc faire « comme si »...

La première partie du film suivra l’itinéraire des frères Rodrigues et Garupe depuis le Portugal après avoir obtenu l’accord, non évident, de leur supérieur. Arrivés au Japon, ce sera leur périple secret dans les villages à la rencontre des habitants convertis au catholicisme alors que celui-ci est interdit au Japon. Leur foi sera, déjà là, soumise à l’épreuve, celle du doute face aux tortures qu’ils voient (ainsi une troublante et terrifiante scène de crucifixion et en même temps d’une étrange « beauté » dans la foi) ou dont leur font part les villageois, mais aussi la foi de ceux-ci. Il faut se méfier de tous, de ceux qui peuvent trahir pour deux cents pièces et qui demandent pardon encore et encore. C’est aussi le récit de différentes apostasies forcées, consenties ou refusées face à l’épreuve de la torture.

Dans sa deuxième partie, le réalisateur quittera les campagnes pour un relatif huis clos, principalement entre le Père Rodrigues et l’Inquisiteur, via un interprète [2]. Rodrigues va enfin rencontrer le Père Ferreira. Est-il apostat ou pas ? C’est que toute la question dépasse celle du martyre. L’épreuve ultime n’est pas ici d’être martyr et d’accepter la souffrance pour soi, mais que d’autres chrétiens soient torturés tant que vous ne faites pas un pas en avant vers le reniement du Christ ! Que faire alors ? Quelle est l’épreuve de (la) foi et du doute, lorsque le ciel est silencieux, lorsque l’on se sent abandonné comme l’est le Christ selon les Ecritures, ainsi que le font les auteurs des évangiles attribués à Marc (15, 34) et Matthieu (27,46) qui placent les paroles du psalmiste (psaume 22) sur les lèvres de Jésus en croix [3]. Et la seule réponse est Silence alors même qu’une voix intérieure (soit celle du Christ ?!), invite à apostasier, puisque lui a déjà porté tout le poids des péchés du monde ! Le film laisse entendre au spectateur « croyant » qu’il s’agit de la voix du Christ... mais celle-ci est intérieure et cette interprétation est donc du domaine de la foi ou de la croyance ! Cette voix ne vient pas comme une « preuve » d’existence de « Dieu » puisque sa « manifestation » ne s’« exprime » que par le « silence » ! Tel est le sens du titre du roman et du film.

Vient alors le piège dans lequel les responsables japonais entrainent les prêtres : soit leurs fidèles sont torturés à mort, soit ils apostasient et font alors un contre-témoignage. Cette procédure étant plus « productive » que l’éradication physique des chrétiens. C’est aussi le miroir de l’action des jésuites qui pensaient convertir le peuple en passant par la conversion des élites !

Scorsese arrive à témoigner ainsi de sa propre foi en rendant compte de celle de ceux qui ont dû renoncer à la leur, par ce qui leur était présenté comme un simple geste, mais qui pour les chrétiens (Kirishitan) était hautement symbolique. S’agissant de symbole, le réalisateur va jusqu’à proposer une image en miroir, lorsque le Père Rodrigues, tel Narcisse, se regarde dans l’eau pour sa toilette et voit se superposer le visage du Christ sur le sien. A la limite du trop, voire du too much, cette « image » [4] est très significative. En effet, outre qu’elle reprend les « codes » de représentation occidentaux du visage du Crucifié dans l’art, c’est l’image même comme lieu et sujet de sens qui va servir de « témoignage » d’abandon de la foi. Qu’il s’agisse d’une image de Marie ou de Jésus, d’une icône, poterie, peu importe. Nous sommes dans le domaine de l’image pour signifier ce qui ne peut pas être mis en image, dès les textes fondateurs. Les Japonais eux-mêmes en disant qu’il ne s’agit que d’une image et que d’un petit geste à accomplir mettent probablement là le doigt sur un des éléments fondamentaux de la foi chrétienne : en jouant sur les mots, celle-ci n’a pas d’objet !

 Prolonger la vision du film ?

Ceux qui souhaitent prolonger la réflexion sur les thèmes abordés par le film pourront consulter cet article du Monde et/ou utiliser le dossier pédagogique rédigé par les Jésuites de la Province de France, à l’occasion de la sortie du film en France, le 8 février 2017, et qui fournit quelques pistes de réflexion et éléments historiques.

Dossier pédagogique

Enfin, ils peuvent poursuivre par la lecture de la suite de cet article. Je dépasse largement la question cinématographique et ce qui suit ne concerne donc que ceux qui souhaitent aller au-delà du film pour en découvrir certains enjeux. Ce seront autant de pistes de réflexion : pédagogiques, voire théologiques en milieu scolaire ou paroissial ! Pour ne pas alourdir ce long article consacré au film, les différentes questions sont présentées ci-après comme autant de liens à déployer (ou pas) par un simple clic !

Un film qui invite à (se) parler !

Autant l’on a pu mettre en cause la durée de American Honey, autant celle ce Silence est nécessaire ! Les 2h40 ne sont pas de trop ici, même s’il a fallu condenser le récit ; il sera peut-être intéressant pour qui veut prolonger (voire anticiper) la vision du film de s’informer sur l’histoire du catholicisme au Japon. A défaut, l’on pourra lire l’article Wikipedia qui y est consacré (Le christianisme a été interdit au Japon de 1614 à 1854, période pendant laquelle les frontières étaient totalement fermées aux étrangers). Je ne saurais trop conseiller de prolonger la réflexion en classe ou en Unités pastorales ! Des professeurs de religions et des responsables de communautés chrétiennes locales pourraient avec profit voir ce film avec leurs étudiants ou fidèles pour prendre le temps ensuite de reprendre des questions et des thèmes soulevés par le film et qui eux aussi pourraient mettre la foi à l’épreuve d’un doute salutaire ! Voici, ci-après, quelques axes et pistes de réflexion à envisager en fonction de la maturité et des capacités de dialogues de chacun, cela va de soi.

L’évangélisation

Ainsi, une des premières questions posées est celle de l’évangélisation (en lien éventuel avec le colonialisme !). Comment entendre le « Allez de toutes les nations faites des disciples » chez Matthieu ou encore, dans les Actes des Apôtres « Jésus est le seul nom qui sauve » ?! Si tel est le cas, ne faut-il pas l’imposer à tous ? Même si, pour le cas du Japon, l’idée même d’un Dieu qui souffre avec l’homme au lieu de supprimer la souffrance est absolument inconcevable ! Faut-il imposer son point de vue ou cantonner le religieux à la sphère privée et à ne pas imposer les façons de penser et de vivre d’une religion ? Mais que font certains chrétiens lorsqu’ils manifestent contre l’intégration dans les lois du droit à l’avortement, à l’euthanasie, ou à l’adoption par les gays et lesbiennes ? Lorsque des centaines de milliers de catholiques français manifestent contre la légalisation du mariage pour tous. Ces mêmes centaines de milliers qui s’étaient retrouvés pour dire « Je suis Charlie » quelques jours après l’attentat contre Charlie-Hebdo. L’on fera état, à juste titre, du droit à la liberté d’opinion.

Oui, mais qu’en serait-il alors si des musulmans manifestaient pour obtenir la charia pour tous, la nourriture hallal pour tous ou que toutes les femmes soient voilées ? Ce sont des questions analogues qui se sont posées aux japonais dans l’univers du film. Ce sont deux vérités, deux façons de vivre en société qui se heurtent de front.

Monothéisme et violence ?

Comment gérer l’espace public lorsque les religions ne peuvent plus prétendre être seules détentrices de la vérité ? Comment accepter alors la relativité de notre propre religion, accepter qu’elle ne soit pas « opposable aux tiers ». Car il faut prendre compte une « certaine » violence inhérente aux monothéismes dans le sens où ceux-ci sont excluants. Pourquoi cela pose-t-il problème ? Parce que les monothéismes (ou l’hénothéisme : ’notre Dieu est le meilleur’) sont par essence « violents ». Non pas que tous fassent usage de violence, mais que par leur prétention même à être unique, par leur radicalité, ils entraînent un rejet des autres et de leurs dieux. Le monothéisme secrète donc, sans le vouloir, une telle prétention à la vérité qu’il peut être condamnation sans appel de l’autre. Comment gouverner alors ? Comment gérer la cité, le politique au sens noble du terme, le politique étant l’art de gérer nos différences et nos limites, de prendre conscience que l’on n’est pas tout puissant, qu’il faut négocier ? Or, cela n’est pas possible, car tout est absolu, c’est tout ou rien.

Faire un « petit geste » !

Les Japonais demandent un tout petit geste aux chrétiens (fidèles et prêtres) : marcher sur une image de Jésus. C’était déjà une question qui se posait dans l’Eglise primitive. En refusant de sacrifier aux idoles, les disciples du Christ remettent en question les autres religions. Le geste qu’on leur demande (comme les japonais le feront plus tard) est apparemment très simple (rendre un sacrifice aux idoles - mettre une bougie à une statue en quelque sorte - ou ici marcher sur une image de Jésus) mais très riche symboliquement. Selon les récits néotestamentaires, l’apôtre Paul lui-même fera état de la question de se nourrir de viande sacrifiée au idoles (1. Cor. X, 18-20). Alors même qu’il renonce à imposer la circoncision [5] il refuse d’autoriser de manger des aliments offerts aux idoles. Outre l’aspect symbolique, la ligne de démarcation est là beaucoup plus profonde et témoigne qu’il n’y a pas encore de rupture avec les fondamentaux de sa religion juive. En effet, les impensés renvoient ici à la conception de pur et de l’impur (notamment la nourriture casher), une des clés de voute de la compréhension du judaïsme. Ici, le « petit geste » qui est demandé est symboliquement important alors qu’il est insignifiant selon les dires des Japonais. Cela amène deux éléments de réflexion. Quels sont ces « objets » de foi et qu’en est-il de ceux qui ont renié ?

Renier sa foi et revenir !

Ce problème remonte déjà aux premières heures des persécutions chrétiennes. Par peur de la mort ou de la souffrance, des disciples de Jésus renient la foi, notamment en sacrifiant aux idoles. C’est que l’Empire ne peut tolérer l’existence de groupements monothéistes dans une nation fondamentalement polythéiste. En effet, cela ne peut conduire qu’à une absence de paix civile. Une des « solutions » sera d’interdire le monothéisme ou plutôt de condamner les individus et groupes qui ne veulent pas sacrifier aux dieux et donc mettent en danger l’équilibre de la cité, car accepter les dieux des autres et accepter que mon « dieu » ait autant de droits que celui des autres est un chemin de tolérance ! Constantin optera pour une autre solution, à savoir imposer le monothéisme. Quoi qu’il en soit, certains « chrétiens » qui ont sacrifié aux idoles reviennent vers l’Église. On les appelle des relaps. Les communautés se diviseront sur la conduite à suivre. C’est notamment de là que l’on verra naître un futur sacrement, celui de la pénitence, serait-ce en sollicitant outre mesure les Écritures. C’est d’ailleurs ce que l’on découvre dans le film de Scorsese où l’on voit un adepte du catholicisme qui a trahi à plusieurs reprises et demande autant de réitération du sacrement de confession !

Foi ou objets de foi ?

Une réflexion peut être étendue sur la foi et les objets de foi. Le film montre qu’il condense le reniement du Christ (ou le renoncement, l’abandon de la foi) par un geste matériel vis-à-vis d’une représentation. Or, outre que dès le judaïsme la distinction apparaît fortement entre Yahvé et les idoles, représentations de « dieux » auxquelles on ne rend pas hommage. L’homme ne doit pas s’incliner ou adorer « l’œuvre de ses mains » ! Certes l’insistance avec laquelle les prophètes (notamment) rappellent cet interdit de l’idolâtrie témoigne que celle-ci est présente et qu’il y a alors pas mal de lieux d’adoration de « faux dieux » (ce qui n’est somme toute pas fondamentalement différent du culte aux statues dans le catholicisme). Ici, dans le film, l’on découvre que la « foi » se confond avec un objet et, je joue sur les mots, avec un « objet de foi ». C’est très intéressant, d’autant plus que les Japonais investissent également le même « objet », fut-ce a contrario, en en faisant celui du renoncement. Il ne faut pas oublier non plus que le christianisme a été tenté un moment de se purifier en interdisant les images. L’on sait que, du moins dans le catholicisme, ce courant n’a pas vraiment pris racine. Un thème à creuser donc !

Absence ou silence de Dieu

Enfin, un dernier sujet de réflexion, lié au titre même du film, est le « silence » de Dieu ! On ne peut balayer cela d’un revers de la main. C’est qu’il sera pour certains l’incandescence d’une foi sans aucune certitude ni preuve alors que d’autres y verront (simplement ?) la « preuve » de l’inexistence de Dieu ou, du moins d’un « Dieu » qui ne se soucie pas de l’humain puisqu’il ne répond pas à ses cris (de détresse et de louange). Ce silence, cette absence de réponse sont déjà présents dès l’Ancien Testament et notamment dans la prière de certains Psaumes. Ce Dieu silencieux, sans réponse sera un des thèmes favoris de certains mystiques, dont l’auteur inconnu du Nuage de l’inconnaissance à la fin du XIVe siècle ou des mystiques rhénans à la même époque. C’est enfin un courant qui traverse l’histoire (au moins occidentale) du judaïsme, du christianisme et du soufisme, à travers la théologie apophatique (ou théologie négative) qui « consiste à insister plus sur ce que Dieu n’est ’pas’ que sur ce que Dieu est ».



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