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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Conrad Vernon et Greg Tiernan
Sausage Party (Saucisse party)
Sortie le 26 octobre 2016 en Belgique et le 30 novembre 2016 en France
Article mis en ligne le 3 décembre 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Une petite saucisse s’embarque dans une dangereuse quête pour découvrir les origines de son existence...

Voix originales : James Franco, Edward Norton, Kristen Wiig, Jonah Hill, Seth Rogen, Paul Rudd, Salma Hayek, Michael Cera, Danny McBride...

Mise à jour : Suite aux controverses, essentiellement en France et dans certains milieux catholiques, on remonte cette critique depuis les catacombes. Le film n’est de fait pas destiné aux enfants, il ne l’a jamais prétendu et il y a des biens des décennies, les USA (et pas que, songeons à La Honte de la jungle est un long métrage d’animation franco-belge de Picha et Boris Szulzinger sorti en 1975, proposaient des films d’animation pour adulte, ainsi Fritz the Cat à la fin des années 50 !). Nous l’avons vu comme prêtre, journaliste pour une radio chrétienne (donc pas seulement catholique) et l’on a déconseillé le film aux spectateurs adultes non averti. Toutefois, si le film ne mérite ni excès d’honneur ni indignité, il a un intérêt certain !

 Un film très cru !

Autant avertir immédiatement nos lecteurs : le film est cru, très cru très « sexe », aux limites de la décence ou de l’indécence et suscite de très nombreuses réserves et, cependant, malgré celles-ci, nous avons adhéré à la démarche. Le film volontairement transgressif est donc réservé à des adultes. Le fait qu’il s’agisse d’un film d’animation ne le destine donc pas du tout aux mineurs. On pourrait dire qu’il est « obscène » au sens littéral du terme, à savoir montrer des choses qui doivent rester sous la scène ! Dans un sens second, s’agissant des « coulisses » d’une grande surface le terme conviendra également.

 Un film de « potes »

Tout d’abord, nous retrouvons (quasiment) la même « bande de potes » que dans This is the End (C’est la fin), sorti en juillet 2013 et réalisé par Seth Rogen et Evan Goldberg. Ces derniers se retrouvent aujourd’hui à l’écriture, avec d’autres. C’est ce que l’on pourrait appeler « la bande » à James Franco, Judd Apatow, Seth Rogen... qui se sont impliqués dans le meilleur et le pire (le plus souvent) de la cinématographie américaine. Et cet humour « pipi-caca » fonctionne bien outre Atlantique et cartonne, comme si la démarche était cathartique face à un puritanisme chrétien, essentiellement protestant, toujours présent. Si donc vous êtes rebutés par ce type d’humour, il faut passer absolument votre chemin. Ensuite, il vous faut absolument interdire le film aux enfants et aux jeunes, même si, très curieusement, le site cinebel met l’icône « tous publics » dans la fiche descriptive (à croire qu’ils n’ont pas visionné la bande-annonce !) [1]. Au Québec, le film est interdit aux moins de seize ans et la Motion Picture Association of America aux USA le classe R ! Vous voilà avertis : un film qu’il ne faut pas voir, un film à déconseiller, à éviter... et pourtant ! Oui... mais non !

 Un « Toy Story » gore et X ?

De quoi s’agit-il ? Ce serait une version gore, X et outrancière de Toy Story ! ici, nous sommes dans un grand magasin (Shopwell’s), le 3 juillet, la veille de la fête nationale américaine. Les aliments (qui ont des formes ou des visages à traits plus ou moins humains) se réjouissent d’être achetés par les clients, les « dieux » qui leur offriront une vie de félicité. Et l’on se doute bien que ce sera bien loin d’être le cas. En parlant du film quelques heures avant la projection avec une éminente consoeur qui l’avait déjà visionné, celle-ci nous disait que le film contenait des scènes crues. A notre réponse qu’il serait bien difficile de parler du film sur les ondes de RCF, elle rétorqua qu’il était quand même question de « dieu.x » (nous écrivons de cette façon pour compenser le x - sans trop jouer sur les sens - que l’oreille ne pouvait entendre) ! C’est donc intrigué et attentif que nous avons assisté à la projection presse.

 Un film cool ou lourd ?

D’emblée et en deçà des questions de fond !, le dessin était plaisant. Ce n’est ni Disney, ni Pixar, c’était en 2D mais qui donnait une impression de relief. Les aliments prenaient forme et personnalité devant nos yeux. Et quelles personnalités ! Celles-ci sont mise en « relief » grâce aux voix originales (qu’il faudra absolument préférer aux doublages si vous allez voir le film malgré et/ou grâce à notre avis !) : vous rencontrerez ainsi Frank (la saucisse : Seth Rogen), Brenda (le pain hot dog : Kristen Wiig), Carl (la petite saucisse : Jonah Hill), Lavash (la galette : David Krumholtz), Sammy Bagel Jr. (le bagel : Edward Norton) et Teresa (le taco : Salma Hayek) parmi de nombreux héros ou antihéros ! On se doute bien et on ressent que ces acteurs qui s’entendent très bien ont eu énormément de plaisir à se lâcher pour la réalisation de ce film. C’est que c’est quelque chose de totalement « foutraque » incorrect, irrévérencieux, sexiste, et même lesbophobe et homophobe malgré les apparences. Oui, derrière l’humour et une cool-attitude, il y a d’autres limites que celles de la bienséance qui sont franchies. Et c’est justement dans cette approche des relations lesbienne et gay que le film est parfois contestable. Il y a un humour déjà présent dans This is the End (tant dans le film que son making-off). C’est que derrière l’apparente ouverture d’esprit, il y a d’inévitables clichés par rapport à l’homosexualité (nous sommes sensibilisé à cette question pour avoir assuré l’aumônerie d’une communauté belge de chrétiens gays et lesbiennes pendant une dizaine d’années). Certes, cela parait très cool, mais, en réalité c’est très lourd, beaucoup trop lourd. On finit même par se demander ce qui « travaille » ces acteurs dont la majorité est officiellement « straight » comme on dit aux USA. C’est comme s’il y avait deux fronts : celui du scatologique d’abord et ensuite du sexuel avec une curieuse incursion dans l’homosexualité. Ce n’est pas « la question homosexuelle » qui est ici en jeu, mais bien la façon biaisée dont elle est abordée, enjeu d’un humour qui trahit peut-être et à leur corps défendant, des impensés en ce domaine. Ce seraient donc là des raisons supplémentaires de déconseiller formellement ce film !

 Et pourtant à voir ?

On aura bien compris que l’on devrait déconseiller la vision de ce film. Et pourtant notre note (presque un 8/10) dénote un axe important de ce long métrage d’animation qui invite à dépasser les préjugés, les réticences et tous les aspects « superficiels » et, en tout cas, à ne surtout pas déposer son cerveau au pied du fauteuil ! C’est qu’il est en effet question de religion dans ce film, ou plutôt de « religions » ou même de « croyances ». C’est que Sausage Party interroge et remet en question de façon radicale le fait de postuler un « après-monde », un « paradis » (avec, par exemple, septante-deux bouteilles d’huile vierge !) et de motiver l’agir et l’existence en fonction de cette attente et de ce postulat. La « critique » ne porte pas sur une religion spécifique, mais sur certains modes de fonctionnement du religieux. En ce sens, il paraît bien être un plaidoyer pour un véritable athéisme éclairé, mais respectueux des croyances. Autrement dit, ne pas taxer d’imbéciles et ne pas condamner ceux qui sont « croyants ». La pilule peut bien être amère pour ceux qui le sont. Toutefois, celle-ci peut inciter ou obliger ceux-ci à réfléchir et à ne pas anathématiser l’« autre ». Souvenons-nous des paroles du pape François au retour des JMJ 2016, signalant que la violence était présente aussi au cœur du christianisme et du catholicisme ! Il y aurait aussi à prendre compte une « certaine » violence inhérente aux monothéismes dans le sens où ceux-ci sont excluants. Pourquoi cela pose-t-il problème ? Parce que les monothéismes (ou l’hénothéisme : ’notre Dieu est le meilleur’) sont par essence « violents ». Non pas que tous fassent usage de violence, mais que par leur prétention même à être unique, par leur radicalité, ils entraînent un rejet des autres et de leurs dieux. Le monothéisme secrète donc, sans le vouloir, une telle prétention à la vérité qu’il peut être condamnation sans appel de l’autre. Comment gouverner alors ? Comment gérer la cité, le politique au sens noble du terme, le politique étant l’art de gérer nos différences et nos limites, de prendre conscience que l’on n’est pas tout puissant, qu’il faut négocier ? Or, cela n’est pas possible, car tout est absolu, c’est tout ou rien. Ne soyons pas dupe : il est bien probable que les producteurs du film n’ont pas pensé et envisagé toutes ces questions. Mais elles sont présentes, là, en sous-bassement de l’humour. Le « politique » y est même présent en évoquant la question du conflit israélo-palestinien. C’est pour cela que malgré le type du film, son genre, son humour bête et méchant, son aspect gore et X que l’on peut conseiller à un public très averti de voir ce film décapant et qui met le doigt sur certaines blessures ! Un spectateur averti en vaut deux jusqu’à la « révélation finale » des dernières secondes !



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