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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Lenny Abrahamson
Room
Sortie le 2 mars 2016
Article mis en ligne le 27 février 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Jack, 5 ans, vit seul avec sa mère, Ma. Elle lui apprend à jouer, à rire et à comprendre le monde qui l’entoure. Un monde qui commence et s’arrête aux murs de leur chambre, où ils sont retenus prisonniers, le seul endroit que Jack ait jamais connu. L’amour de Ma pour Jack la pousse à tout risquer pour offrir à son fils une chance de s’échapper et de découvrir l’extérieur, une aventure à laquelle il n’était pas préparé.

Acteurs : Brie Larson, Jacob Tremblay, Sean Bridgers, Wendy Crewson, Joan Allen, William H. Macy

Conseil : ne regardez pas la bande-annonce (eu tout cas pas avant d’avoir vu Room !)

 Quand Emma rencontre Lenny !

Le film Room, c’est la rencontre de deux irlandais. Lenny Abrahamson, le réalisateur de What Richard Did (2012) et des excellents Adam & Paul (2004), Garage (2007) et Frank (2014), plus connus par les cinéphiles et en milieu anglo-saxon et une écrivaine, Emma Donoghue, qui a publié le roman Room en 2010. Elle adapte celui-ci pour le cinéma et en écrit le scénario. Elle est également une auteure réputée comme ayant contribué à l’essor et au développement de la littérature LGBT.

 Du réel au roman et au film

Le souhait d’écrire son roman - qui n’est pas une « histoire vraie » - lui est venu en découvrant celle de d’Elisabeth Fritzl. Elle s’est également inspirée de l’affaire Jaycee Lee Dugard et de Natascha Kampusch. La romancière développe son roman en proposant de découvrir le regard d’un enfant qui nait dans un tel cadre et a toujours été enfermé. Que se passe-t-il alors lorsque l’on quitte le cube (soit la pièce, chambre, « room ») dans lequel on a été enfermés de longues années et que l’on découvre le monde extérieur ? Comment rendre cela et en particulier le passage du roman à l’écran ?

Réalisateur et scénariste réussissent ici un tour de force qui nous a séduit ainsi que beaucoup de confrères critiques. Nous n’avons pas lu le roman, mais son actualisation pour le grand écran est fascinante, s’agissant en particulier d’« habiter » une si petite pièce. Des guillemets ici pour habiter, car il s’agit d’une habitation au sens le plus littéral, mais aussi d’occuper un lieu, à la fois pour les protagonistes et l’antagoniste, mais également pour la caméra.

 Room In !

Elle (maman) et Lui (Jack), un gamin de 5 à 6 ans aux cheveux si longs, jamais coupés qui donnent l’impression qu’il s’agit d’une petite fille, sont dans une pièce étroite d’une petite dizaine de mètres carrés [1]. Aucune ouverture sur le monde, sauf deux peut-être : une lucarne qui ne montre que le ciel, l’espace et, une autre, une petite télévision. Ce qu’elle montre — l’on pourrait ici faire des liens avec le mythe de la Caverne de Platon — sera de l’ordre de l’incertain, du fantasme, du faux, de ce qui n’est pas la « chambre » (room, donc). Ses quatre murs, le sol et le plafond (dont nous voyons les matériaux d’isolation) limitent l’espace de Jack qui y est né et de sa mère « Maman » qui y est enfermée depuis sept ans. Jack a 5 ans, il y est donc né. Son réel, ses certitudes et son assurance sont là. En dehors, c’est le vide, l’irréel, voire le dangereux où l’on ne peut vivre, comme ce serait le cas d’un astronaute qui ne pourrait sortir hors de sa capsule sans équipement de survie !

Le monde de Jack n’a de consistance que par la nomination des choses. Tout comme « Dieu », symboliquement, donne « pouvoir » sur le monde au premier-né sur la Terre, de nommer les animaux, ici Jack, le premier-né de cette chambre, donne un nom et une âme aux choses : « madame lampe, madame plante, madame lucarne, monsieur lit, monsieur placard... ». A défaut d’animaux, il n’y a ici que les choses qui peuvent prendre vie, jusqu’à monsieur serpent (ai-je tort de faire une référence aux récits de la Genèse ?) dont la taille s’accroit grâce aux coquilles d’œufs qui servent à le fabriquer.

La particularité de cet espace fermé est que sa clôture est différente selon qui l’occupe. Pour Jack, elle est son seul univers, sa seule certitude, sa seule protection. Elle n’est donc pas fermeture puisque l’au-delà est inconcevable et elle est son tout. C’est en quelque sorte la matrice chaude et protectrice dans laquelle il peut se lover. Se « lover » (je joue sur le mot !) et se blottir auprès et tout contre « maman ». Sauf lorsque « Old Nick » entre dans la pièce pour apporter les vivres sans lesquels il serait impossible de survivre dans cet endroit clos. Il vient aussi pour une relation sexuelle imposée à maman. A ces moments-là, ces heures-là (ces nuits ?), Jack verra son espace se restreindre encore à un placard, matrice dans la matrice, dont la seule vision du réel, sordide, se fera à travers l’espace ajouré des lattes de ce lieu de confinement. Malgré tout cela, Jack vit cette sixième année qui débute dans le bonheur de l’amour qu’il vit et partage avec maman !

Pendant une heure, la caméra arrivera à nous faire prendre conscience de la vision spéciale de l’une et de l’un, confinée pour la première, étendue quasi à une sorte d’infini pour le deuxième. L’espace de Jack étant découvert en « réalité augmentée » grâce à sa voix off [2]. Cela serait presque magique s’il n’y avait la réalité sordide de cet enfermement. Tout le génie sera d’en sortir (pour les protagonistes, le film... et les spectateurs) !

 Room Out !

Si vous cliquez, le texte dévoilera des éléments de l’intrigue (mais mieux que la BA !)

Par un étonnant concours de circonstances, Lui et Elle pourront se retrouver à l’extérieur. Nous n’insistons pas sur ce point (que nous vous laissons découvrir), car il s’agit d’un des rares maillons faibles de ce film remarquable à tous points de vue (littéralement donc !). C’est que la sortie de leur prison est filmée de façon trop proche d’une série télévisée ou d’une d’action (avec la musique extradiégétique qui appuie beaucoup trop fort le récit - vraiment dommage). La transition de l’intérieur vers l’extérieur aurait été de loin plus profonde si elle avait été traitée avec bien plus de sobriété. Laissons cela de côté, car la deuxième moitié du film va inviter à de véritables conversions de regards.

Notons en particulier celui de Jack qui est confronté à un monde dont il ignore tout et pour lequel il n’a pas les mots pour dire ! Ensuite celui de maman ! Elle qui avait presque un syndrome de Stockholm face à son kidnappeur, abuseur et... père de Jack est confrontée au monde réel qu’elle ne connait plus, mais également à ses père et mère qui sont séparés depuis son enlèvement. Leur regard sur ce retour est également très important, en particulier celui du père (excellent William H. Macy) qui ne peut accepter d’être le grand-père du fruit du viol de sa fille ! Enfin, on notera également la vision des médias et leur acharnement sur Maman et son fils qui ne trouveront sécurité que dans un nouveau lieu clos. Certes la maison familiale est bien plus grande que les dix mètres carrés de l’ancienne prison, mais elle offre bien moins d’espaces symboliques. Il faudra un retour sur le lieu de l’exil, éventré, pour découvrir que ce lieu étrange est désormais bien petit. Désormais l’heure a sonné pour retourner vers le monde, pour faire un exode hors de la pièce d’esclavage et pour entamer une nouvelle vie, ouverte sur le monde !

Hormis quelques faiblesses (la scène de sortie déjà signalée ainsi que l’usage de la musique dans d’autres de la deuxième partie qui insiste parfois aux limites du pathos, mais sans en franchir les frontières), il faut relever en premier lieu le jeu des acteurs et en particulier le tout jeune Jacob Tremblay, 7 ans, dont c’est le premier rôle et qui est bluffant dans celui-ci. Il est en symbiose parfaite avec Brie Larson qui est ici en mode « Actor’s studio » [3] et joue de façon très juste. Tous deux apportent une très grande densité au film. Enfin, il faut remarquer la performance technique qui a consisté à filmer dans un endroit aussi exigu. Certes il y a l’utilisation de caméras très peu encombrantes, mais il y a surtout le savoir-faire qui permet de diversifier les images et points de vue de telle sorte que l’on ne se lasse pas d’être enfermé durant une heure dans cette « room ».



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