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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Thierry Demaizière et Alban Teurlai
Rocco
Sortie restreinte envisagée en Belgique...
Article mis en ligne le 12 février 2017

par Charles De Clercq

Synopsis : Rocco Siffredi est à la pornographie ce que Mike Tyson est à la boxe : une légende vivante. Sa mère aurait voulu qu’il soit curé, il est devenu acteur porno avec sa bénédiction, consacrant sa vie à un seul dieu : le Désir.

En trente ans de métier, Rocco Siffredi aura visité tous les fantasmes de l’âme humaine et se sera prêté à toutes les transgressions. Hardeur au destin exceptionnel, Rocco plonge dans les abîmes de son addiction au sexe et affronte ses démons dans ce documentaire en forme d’introspection. Le moment est aussi venu, pour le monstre sacré du sexe, de raccrocher les gants.

Pour tourner la dernière scène de sa carrière, Rocco a choisi ce documentaire. Une galerie de personnages – famille, amis, partenaires et professionnels du porno – l’accompagne jusqu’à cette sortie de scène spectaculaire.

Des repas de famille à Budapest aux tournages de films pornographiques à Los Angeles, des ruelles italiennes d’Ortona aux villas américaines de la Porn Valley, le film déroule l’histoire d’une vie hantée par le désir et révèle en filigrane les coulisses du X, derrière le scandale et l’apparente obscénité.

À l’heure où la pornographie sort de la clandestinité, envahit le cinéma traditionnel, la mode et l’art contemporain, c’est un univers à part entière, filmé au plus près, qui se dévoile à travers le parcours de Rocco Siffredi.
Source de cette présentation.

NB : C’est volontairement que cet article ne comprend ni photo ni vidéo.

 Ceci n’est pas un film X

Rocco est un documentaire sur un homme connu bien au-delà du monde du sexe et de la pornographie. Un homme dont l’identité se résume à une taille et un prénom et qui a même franchi les limites réputées infranchissables entre le cinéma X et le « vrai » cinéma en tournant quelques films, certes... aux frontières... qui n’étaient pas stricto sensu du porno. Est-ce que ce film a ou avait sa place dans un Festival du film d’amour, le 33e organisé à Mons ? Parce qu’il s’agit de tout sauf d’amour n’est-ce pas ! Mais dans ce cas, un mariage forcé, arrangé, de tradition comme celui dont il est question dans Noces est-il à ranger dans les histoires d’amour ?

Ecrivons d’emblée que celui qui croira voir un film porno ou son making-of n’en aura pas pour son argent et qu’il vaut mieux qu’il s’achète un film X. Tout au plus, la vision du documentaire de Thierry Demaizière et Alban Teurlai le dissuadera de le faire ou, à tout le moins, l’amènera à se poser des questions éthiques, voire existentielles s’il achète et visionne un film classé X !

 Un membre diabolique

Tout de go, ce n’est pas un film dont on parlera sur les antennes de RCF, mais dont il paraît important de faire écho sur ce site à cause des questions posées et qui ne sont pas toutes celles auxquelles on pense. Les réalisateurs suivent ici un homme torturé qui, s’il a la cinquantaine flamboyante - il se maintient physiquement en forme... par la musculation -, a un mental écrasé par le poids d’une culpabilité qui remonte à son enfance. Un homme a la libido exacerbée qui a le sens des afffaires et de la famille. Il n’est pas italien pour rien et sans compter la dimension religieuse. C’est que Rocco est aussi un homme « religieux », qui a des références chrétiennes, catholiques et qui même s’il n’est pas « pratiquant » (on le suppose, mais il n’en parle pas) ne sont pas fondamentalement différentes de celles de vieilles paysannes de Sicile (par exemple). Ce n’est pas pour rien que ses « références » seront « diaboliques », s’agissant du « diable entre ses jambes ». Sachant aussi qu’étymologiquement « diabolique » est ce qui divise, c’est tout autant le cas pour cet homme que son sexe (dont les dimensions ne sont pas le tout de sa personne dira-t-il et il y a encore plus grand que lui dans la nature) divise d’avec sa tête, mais aussi d’avec son cœur. Lui qui « baise sauvagement » avec ses milliers de partenaires de tournage, mais est tendre et langoureux avec son épouse.

 Sa femme

Et celle-ci est au cœur de sa vie, mais pas du film. Maquilleuse qu’il a rencontrée il y a une vingtaine d’années à Cannes, elle connaît tout de sa vie, de son métier. Nous la voyons à l’écran, mais elle est aussi hors champ, comme si par pudeur et respect elle restait dans l’ombre. Est-ce voulu ou pas ? C’est en tout cas respectable. Car la caméra nous fera découvrir Rocco au travail, tant sur les plateaux qu’en préparation de ses actrices, en les interrogeant sur elles-mêmes, leur histoire, leurs attentes, mais aussi ce qu’elles pensent de lui et pourquoi elles veulent tourner avec le grand Rocco. C’est aussi un Rocco voyageur : de Budapest à la ’Porn Valley’ aux USA, en passant par Londres et de retour en Italie, c’est un infatigable hardeur qui saute d’un avion à l’autre, et osons, d’une femme à l’autre. Il a ses actrices préférées et fétiches et d’autres, de passage, comme tant de femmes exploitées dans ce milieu.

 La violence

Et ce sera une surprise possible : la découverte de la violence dans ce domaine et singulièrement celle assumée par Rocco Siffredi. Il se reconnait, se dit et se revendique violent dans ses rapports sexuels du X. Il demande cependant l’accord de la femme, (future) actrice lors des entretiens préalables, oserait-on écrire, d’embauche... pour un travail de débauche ? Si l’une au l’autre revendique son droit d’être soumise et/ou violentée, il apparaîtra clairement au spectateur que ce n’est pas le cas de toutes. Certaines sont simplement fascinées par la dimension du mythe, l’homme et/ou le reste ou ’simplement’ veulent faire carrière (J’ai déjà vingt-cinq ans, je suis vieille !). Il n’empêche, à certains moments, le spectateur voudra fermer les yeux ou tourner la tête, lorsque les larmes jaillissent des yeux d’une femme dont la douleur n’est pas vraiment feinte (et l’on pensera à d’autres larmes, plus tard). Et comme lors d’une discussion d’après film, avec quelques festivaliers au sortir de la salle hier soir, l’on se dit alors que pour des studios moins rigoureux que ceux dont il est question ici avec Siffredi, et l’on songe aux pays de l’Est, les conditions de « travail » des femmes sont de l’abattage purement et trop simplement !

 La famille

Très curieusement, si le film a un caractère presque impudique ou voyeuriste, il n’est pas (tant) dans les scènes de tournage avec des corps nus, essentiellement celui d’actrices, que dans l’intime et l’émotion de Rocco. Ceux-ci se traduisent dans le film par le biais d’une voix off qui résonne chez le spectateur pour dire le trouble, le malaise et le mal-être du mec qui assure. C’est en italien, avec une voix chaude et chaleureuse, mais éreintée aussi par le drame et le tragique d’un homme qui voit se réaliser un fantasme masculin d’être toujours prêt et au garde-à-vous ! Et il est intéressant là de découvrir le cousin de Rocco (sens de la famille oblige) qui l’a rejoint. Si dans un premier temps il voulait se faire des filles facilement, le corps ne suivait pas (ou ne précédait pas) comme pour son illustre cousin et il s’est trouvé réduit à faire de la préparation de plateau et à tenir la caméra, à la fois au plus près des corps et des sexes, mais aussi avec une volonté de faire du cinéma au grand dam de son cousin et des producteurs. C’est que ses rêves de faire de la mise en scène se confrontent régulièrement au réel, aux conditions de tournage et, faut-il l’ajouter, à sa relative incompétence ! Mais la famille, c’est la famille !

 Une caméra (im)pudique

Et, justement c’est dans le regard sur la famille que le film se révèle tendre, émouvant, terriblement impudique. Quand il parle de sa mère, d’un de ses frères décédé, d’une amie de sa mère. Lorsque les larmes de Rocco sont là, qu’elles ne sont pas feintes, quand elles disent la douleur et la fragilité d’un homme dur comme le roc ! Quand il raconte une brève rencontre avec une vieille dame amie de sa mère ou lorsqu’il parle de son épouse. Mais le plus troublant sera la découverte de ses deux fils adolescents. Le père les interroge devant la caméra. Et c’est ici toute la question relative aux documentaires. Quoi qu’on dise, celui qui est filmé n’est pas indemne de la présence de la caméra (même s’il est acteur et qu’il en a l’habitude jusqu’à oublier/ne pas oublier sa présence) et que l’on est toujours d’une certaine façon en « surjeu ». Et ici, lorsque le père pose la question à ses fils de comment ceux-ci le voient, la caméra saisi ces instants troubles et troublants. Le père pose la question. Pour eux, pour nous, pour lui ? L’a-t-il jamais posée ainsi, face à face ? Trouble pour lui, pour nous, pour les fils dont le temps de la latence dans la réponse laisse entendre une suspension de jugement, un questionnement, un doute ? Et l’on pourra se demander alors ce qui est le plus impudique dans le documentaire : montrer le sexe de Rocco, celui de ses partenaires ou ses larmes ou le visage des fils interrogés ?

 Un spectateur... averti !

Le documentaire qui se déroule sur deux années évoque le dernier film de Rocco. Mise en scène qui se pense pendant quelques mois et qui se fera en mode inversion des rôles. Rocco sera ou devra être le soumis, la soumise dominatrice et l’acteur, étalon d’une norme pornographique fantasme, devra lui-même porter sa croix, au propre et au figuré, pour expier ses fautes ou celle d’un de ses membres ! S’agit-il là, véritablement de son dernier film ? La question reste en suspens tout comme le jugement du spectateur forcément averti qui ira voir le film en salle en Belgique en 2017 ou plus tard (voire jamais !). Il et déjà sorti en France et a trouvé un distributeur en Belgique. C’aurait pu être Netflix, mais il veut défendre ce film et lui donner place dans les salles officielles même si l’on se doute que la distribution sera plutôt confidentielle. C’est que reconnaissons-le, le film n’a pas les voyeurs pour cible, ni le public des salles classées X. D’autres, cinéphiles ou pas, probablement âgés de plus de seize ans, seront donc des spectateurs « avertis ».



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