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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Rodrigo Sorogoyen
Que Dios nos perdone (Que Dieu nous pardonne)
Sortie le 18 octobre 2017
Article mis en ligne le 30 septembre 2017

par Charles De Clercq

Synopsis : Madrid, été 2011. La ville, plongée en pleine crise économique, est confrontée à l’émergence du mouvement des « indignés » et à la visite imminente du Pape Benoît XVI. C’est dans ce contexte hypertendu que l’improbable binôme que forment Alfaro et Velarde se retrouve en charge de l’enquête sur un serial-killer d’un genre bien particulier. Les deux inspecteurs, sous pression, sont de surcroît contraints d’agir dans la plus grande discrétion… Une course contre la montre s’engage alors, qui progressivement les révèle à eux-mêmes ; sont-ils si différents du criminel qu’ils poursuivent ?

Acteurs : Antonio de la Torre, Roberto Álamo, Javier Pereira, Luis Zahera.

Déjà sorti en Espagne il y a un an (présenté dans le cadre du Donostia-San Sebastián International Film Festival), le dernier film de Rodrigo Sorogoyen est une véritable pépite dans son genre. Le réalisateur, qui se consacrait beaucoup à la télévision, avait réalisé 8 Citas en 2008 et Stockholm en 2013 des drames romantiques ou des romances dramatiques. Il quitte ce genre pour un autre, celui du film policier et du thriller. Durant la vision du film (déjà sorti en DVD/BR en Espagne) nous avons immédiatement pensé à l’univers de La Isla Minima sur fond de la première saison True Detective. A la fois pour le climat machiste et sordide du film et la relation complexe des deux policiers dans la série. Et ce n’est pas seulement dû à l’acteur Antonio de la Torre présent dans La Isla minima !

Le film commence par une scène de nettoyage d’une place urbaine (certainement de Madrid). La deuxième scène se passe dans un columbarium : le détective Velarde est face à l’emplacement de l’urne funéraire de sa mère avec l’indication des dates 1942-2006 et une mention que l’on peut traduire par « Ton fils ne t’oubliera jamais ». Il dépose des fleurs. Une femme, dans le même lieu, entretient une des niches. La troisième scène, un peu plus de deux minutes après le début du film, générique compris, nous montre une scène en noir et blanc captée par une caméra de surveillance dans un commissariat, pendant une bonne vingtaine de secondes. En voix hors champs, une personne interroge, une autre lui répond et reconnait son comportement violent. Gros plan sur une nuque, celle du détective Alfaro... Echange sur sa violence suite à une agression commise trois mois plus tôt sur un collègue. Pourquoi ? Il ne l’aimait pas ! Ce manque d’amour, cette animosité seront présents durant tout le film !

C’est un peu toute l’histoire de l’Espagne actuelle, mais aussi de son passé, condensés dans ses tabous et ses impensés que le réalisateur cristallise autour d’un événement particulier, en août 2011. A l’époque, Benoît XVI s’apprête à une visite controversée dans le cadre des Journées mondiales de la jeunesse alors même que le Mouvement des Indignés qui s’est créé quelques mois plus tôt manifeste sa désapprobation par rapport à cette visite aux frais des citoyens. Nous sommes au mois d’août, il fait chaud, très chaud et c’est dans cette ambiance torride que Rodrigo Sorogoyen place son intrigue. Toute simple : un tueur de vieilles dames. De très vieilles dames. Bigotes. Et violées. Un vieux amateur de femmes âgées ? En tout cas, il semble au vu du rapport d’autopsie qu’il pourrait donner des complexes à Mr Siffredi (oui Rocco, donc). Sordide donc et qui tombe au plus mal avec l’auguste visite papale. Impossible de rendre l’information publique. Il faut enquêter sans faire de vagues. Comme toujours, il y aura un couple d’enquêteurs dissemblables. L’un est très violent (c’est d’ailleurs l’un des premiers plans du film qui montre une analyse de comportement agressif) et autant dire que personne ne veut travailler avec lui et qu’il n’est pas apprécié. Son partenaire sera un policier, bègue. Cela remonte à sa petite enfance. Nous n’en écrirons pas plus. Il fait penser à Columbo. Il se met en situation (de cadavre parfois). Analyse, observe des choses qu’il lui est bien difficile d’exprimer. Mais il y a sa ténacité qui fera penser à un tueur en série. Qui est-il ? Et comment le traquer alors que l’on ne peut rien dire (ce qui n’empêche pas le... bègue d’intervenir sur le lieu d’autres enquêtes ! au grand dam de certains collègues).

Le film va se diviser en deux parties, séparées par une course poursuite, et un épilogue trois ans après les faits. La première moitié de Que Dios nos perdone est filmée caméra à l’épaule. Elle est très sombre, très violente, et traduit aussi le chaos de la capitale à l’époque. Le format scope accentue cette impression tout en donnant une place importante à la capitale. La poursuite du tueur présumé, qui a pris par surprise les enquêteurs, se fera haletante. Ce sera quasiment la seule scène d’action du film. La deuxième partie se développera selon deux axes : la relation entre les deux policiers et sa dislocation après la poursuite... mais aussi la poursuite de l’enquête lorsque l’on se rend compte du fait que le tueur sévit toujours. Le spectateur devinera puis comprendra au détour d’une scène dans une salle de bains de l’identité de l’assassin des vieilles dames. Les enquêteurs, eux, progresseront grâce à des éléments d’analyse fournis par des profileurs. Vont-ils coincer ou pas le tueur ? Qu’est-ce que le film va révéler à ce sujet ? Et, finalement, n’est-ce pas quelque chose d’autre qui sera essentiel ? La conjonction d’une culture machiste espagnole et de son fond catholique. Le malêtre des mâles espagnols ?

A la question posée au réalisateur du « réalisme [qui] se retrouve dans plusieurs thrillers espagnols récents », celui-ci répond qu’il « Il y a effectivement quelque chose qui tient d’un cinéma néo-noir espagnol, mais le hasard fait que les réalisateurs des films dont vous parlez ont tous grandi (moi y compris) ou découvert le cinéma avec ces films des années 50-60, comme ceux de Juan Luis Berlanga par exemple. C’est quasiment une forme d’héritage culturel. Inconsciemment ou pas, s’en inspirer ou revendiquer leur influence, c’est une manière d’affirmer d’où l’on vient, de conserver ce lien. Mais c’est généralement le cas de toute nouvelle génération de cinéastes, quel que soit leur pays. Regardez votre Nouvelle Vague : elle s’est construite en réaction au cinéma populaire de leur époque, mais surtout sous l’influence du cinéma américain qu’elle adorait, non ? »

Si nous avons apprécié l’interprétation de Antonio de la Torre dans le rôle du détective Velarde et celle de Roberto Álamo dans celui du détective Alfaro, une mention toute particulière à l’acteur Javier Pereira qui avait été nominé aux Goyas 2017 comme Meilleur acteur dans un second rôle pour ce film. En 2014 il avait été récompensé par le Goya du Meilleur espoir masculin pour Stockholm — et qui travaille donc pour la deuxième fois avec Rodrigo Sorogoyen ! Il excelle ici dans une interprétation à deux visages, tel Janus bifrons !



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