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CINECURE
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Jean-Pierre Améris
Profession du Père
Sortie du film le 28 juillet 2021
Article mis en ligne le 28 juillet 2021

par Julien Brnl

Genre : Comédie dramatique

Durée : 106’

Acteurs : Benoît Poelvoorde, Audrey Dana, Jules Lefebvre...

Synopsis :
Emile, 12 ans, vit dans une ville de province dans les années 1960, aux côtés de sa mère et de son père. Ce dernier est un héros pour le garçon. Il a été à tour à tour était chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle. Et ce père va lui confier des missions dangereuses pour sauver l’Algérie, comme tuer le général.

La critique de Julien

C’est déjà la troisième fois que notre Benoît Poelvoorde national retrouve le cinéaste lyonnais Jean-Pierre Améris après « Les Émotifs Anonymes » (2010) et « Une Famille à Louer » (2015). Librement adapté du roman « Profession du Père » de Sorj Chalandon, publié en 2015 aux Editions Grasset et Fasquelle, ce dernier incarne ici un père mythomane, à ne pas humilier, et rescapé de la guerre d’Algérie, laquelle exerce encore une emprise et maltraitance psychologique sur lui. Ce papa va alors entraîner son fils Emile (Jules Lefebvre), malgré lui, dans son délire, en lui demandant d’effectuer pour lui des actions politiques pro-Algérie française, sans que ce dernier ne se rendre compte des actes qu’il va commettre. C’est qu’à dix ans, on ne comprend pas encore les névroses des parents et du monde qui nous entoure. On n’est pas encore capable de différencier le vrai du faux, et surtout d’imaginer que « son héros » raconte des mensonges. Emile va alors subir une sorte d’embrigadement politique par l’effet de la crédulité, et de l’amour inconditionnel envers son papa, en vue de le rendre fier...

Moins noir que le roman duquel il s’inspire, « Profession du Père » se vit du début à la fin à hauteur d’enfant, mais « non martyr », tel que l’a souhaité Jean-Pierre Améris, lui qui prône ici la complicité entre un père et son fils, dans cette histoire assez dramatique dans les faits, et complexe dans les sentiments. C’est que le cinéaste préfère la rédemption et le pardon à l’accusation. C’est ainsi que « Profession du Père » ne consacre, par exemple, aucune partie de son récit à la partie du roman consacrée à l’adolescence. Pourtant, le film, s’il tente de dire beaucoup de choses, ne parvient pas à retranscrire de manière absolue ses messages, à l’image d’une des dernières répliques du film, qui nous invite à comprendre que fuir, ignorer, est plus simple que d’affronter. En effet, outre les scènes de violence, le dialogue est ici esquivé, trop enfuis, trop retenu, sans doute aussi parce qu’à ce moment-là, on ne montrait pas aussi simplement qu’aujourd’hui les émotions. Et c’est dommage, car « Profession du Père » aborde des contradictions très intéressantes, notamment vis-à-vis de la mère de famille, Denise (Audrey Dana), au regard de l’amour qu’elle éprouve envers son époux, et de ce qu’il fait subir indirectement à son fils, incapable de discerner la vérité. D’ailleurs, seule la trahison du père lui fera prendre conscience de la réalité des choses, et le fera, quelque part, grandir, après avoir, à son tour, joué le jeu de la manipulation (peu crédible), tout en allant cependant beaucoup plus loin « dans le monde » inventé par son père.

Situé entre deux eaux, car bercé à la fois de purs moments liés à l’enfance, avant de sombrer dans la fureur maladive d’un père et tyran domestique, souffrant de stress post-traumatique, et donc des horreurs qu’il a vécu durant la guerre, « Profession du Père » dresse alors ses décors quasi à huit clos, dans l’appartement familial, alors que les rues du vieux Lyon se retrouvent vides et fermées, reflétant dès lors l’absence de perspective et d’ouverture du petit monde mental qui est celui de l’enfance. Face à ce dernier, Benoit Poelvoorde incarne un rôle difficile, soit celui d’un père et homme en quête d’un auditeur, dans sa folie insousciente. L’acteur s’en sort ici avec les honneurs dans la peau de son personnage, pas facile à appréhender, et sans doute à aimer jouer, bien que l’on ressente l’amour qu’il éprouve pour son fils, sans volonté de le détruire. Il parvient psychologiquement à retranscrire le poids des conséquences de la guerre, alors que le petit Jules Lefebvre (vu dans « Duelles » de Olivier Masset-Depasse) est quant à lui parfait dans la peau d’un gamin de son âge, lequel regarde son papa comme un exemple, comme une figure à ne pas décevoir, tandis que Audrey Dana, elle, affiche un jeu émotionnel qu’on ne lui connaît que trop rarement.

S’il est donc vécu et raconté au travers du regard d’un enfant, « Profession du Père » n’en demeure pas moins assez délicat à montrer aux principaux intéressés, c’est-à-dire les enfants, étant donné une histoire singulière et relationnelle pleine de lourds paradoxes, de dénis du réel, et de souffrances intergénérationnelles causées par la folie d’un parent.



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