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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Emily Atef
Plus Que Jamais
Sortie du film le 30 novembre 2022
Article mis en ligne le 5 décembre 2022

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 122’

Acteurs : Vicky Krieps, Gaspard Ulliel, Bjørn Floberg, Valérie Bodson...

Synopsis :
Hélène et Mathieu sont heureux ensemble depuis de nombreuses années. Le lien qui les unit est profond. Confrontée à une décision existentielle, Hélène part seule en Norvège pour chercher la paix et éprouver la force de leur amour.

La critique de Julien

Première production en français de la réalisatrice franco-allemande-iranienne Emily Atef, « Plus Que Jamais » (initialement intitulé « Mister ») est le dernier film à sortir en salle dans lequel le regretté Gaspard Ulliel tient un rôle, lui qui est décédé le 19 janvier 2022 des suites d’un accident de ski, en Savoie. Cependant, ce drame intense, bien qu’épuré, n’est pas le dernier film dans lequel il a tourné, puisqu’il s’agit de l’inédit « Coma », de Bertrand Bonello. Présenté au 75e Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, « Plus Que Jamais » nous invite dans l’intimité d’un couple de trentenaires mariés, et plus précisément dans les retranchements sociaux d’Hélène (Vicky Krieps), face à sa maladie récemment diagnostiquée, soit une fibrose pulmonaire idiopathique (FPI). Par ce biais, Emily Atef questionne ici notre rapport à la mort, lorsque celle-ci pointe à l’horizon, sans que l’on ne puisse rien faire pour l’en empêcher, mais également notre rapport au corps, et le libre arbitre de disposer jusqu’au bout de celui-ci, en toute circonstance...

Le couple, qui menait une vie de rêve à Bordeaux, et qui essayait d’avoir un enfant, doit donc faire face à cette maladie pulmonaire rare, mais dont il ne faut cependant pas exclure, pour Hélène, une greffe de poumon ; faut-il encore trouver le bon donneur, et à temps. Sauf que la jeune femme, d’origine luxembourgeoise, n’en peut plus d’attendre la mort, seule dans son appartement, face au regard de l’homme qu’elle aime, tandis que la présence de ce dernier lui est lourde, elle qui se sait déjà condamnée. C’est alors qu’elle tombera sur le site Internet d’un blogueur norvégien du nom de Mister (Bjørn Floberg), également gravement malade, documentant sa vie avec un mélange de sincérité et d’humour noir, et avec lequel elle commencera à discuter, tout en ayant la force de lui exprimer ses sentiments, lui qui la comprenant... Ses mots et la nature incroyable de la Norvège l’attireront dès lors, elle qui n’a, en plus, jamais voyagé seule. Mais il lui faudra pour cela faire comprendre à Matthieu (Gaspard Ulliel) qu’elle souhaite entreprendre ce voyage en solitaire, elle qui ne peut pourtant pas se déplacer sans son concentrateur d’oxygène, tandis que l’hôpital pourrait l’appeler à n’importe quel moment pour ladite greffe... Malgré l’amour intense, et surtout grâce à celui-ci, son mari acceptera de la laisser traverser l’Europe, vers le fjord de Sæbø, et sa destinée qu’elle ne peut atteindre qu’étant seule...

Quasi-voisine à Berlin de la réalisatrice (leurs filles étant copines depuis toujours), Vicky Krieps incarne avec énormément de profondeur, d’authenticité cette jeune femme fauchée, mais les épaules solides, malgré les circonstances. Quant à Ulliel, il est sans cesse habité par son personnage, lequel a bien du mal à comprendre le chemin entrepris par sa moitié, tout en étant toujours là pour l’épauler, et même un peu trop, quitte à croire encore en l’impossible, et se voiler la face, ce que lui reprochera d’ailleurs cette dernière, elle qui désire qu’il se détache d’elle, et qu’il refasse sa vie, l’amour qu’ils se portent lui faisant trop de mal. Outre de rares scènes un peu appuyées, Emily Atef ne choisit pas ici le chemin du pathos, mais plutôt de la retenue, de la quête de compréhension, et d’acceptation. Il n’est dès lors plus question pour cette femme d’accuser la dure réalité qui l’attend, mais bien d’apprendre à vivre avec, pour le peu de temps qu’il lui reste encore. D’où ce besoin, cette volonté de (presque) tout quitter, et de partir respirer l’air du nord de l’Europe.

Tandis qu’elle a souhaité restituer la « lumière blanche » que tant de personne ont témoigné avoir vu lors d’une mort médicale, la réalisatrice a choisi ici la Norvège pour sa lumière, et plus particulièrement en été, où il ne fait pas nuit, ce qui marquera d’ailleurs ici une nouvelle épreuve pour Hélène, elle qui ne trouvera pas le sommeil, la nature continuant à vivre et à chanter à l’heure où le corps humain a besoin de se reposer, surtout dans son cas... Malgré son sujet extrêmement dur, « Plus Que Jamais » se veut donc un film solaire dans son approche de la maladie, qui ne s’apitoie jamais sur son sort, et qui regarde la mort comme une vérité loin d’être aussi funeste et macabre que notre société la voit. Cette vision résulte évidemment d’un travail biographique qu’a effectué la cinéaste face à la maladie de sa propre mère, ayant souffert d’une sclérose en plaques durant vingt-deux ans puis d’un cancer, elle qui est décédée durant l’écriture du film, et avec laquelle elle a beaucoup parlé quant au « lâcher prise », ce droit de ne pas suivre l’injonction sociale, et le désir naturel de ses proches, lesquels ont tendance, dans ce genre de situation, à vouloir garder vivant, aussi longtemps que possible, ceux qui se voient mourir. Mais qui est donc le plus égoïste dans cette histoire ? Celui qui veut en finir, ou celui qui a peur de voir partir celui qu’il aime ? « Plus Que Jamais » pose alors cette question des plus pertinente, et humaine, responsabilisant l’individu vis-à-vis de ses engagements envers autrui (ici des liens affectifs), mais avant tout face à lui-même, et ses choix, qui lui appartiennent...

Ironie du sort, ce n’est donc pas ici le personnage de Gaspard Ulliel qui fait ses adieux à sa moitié, mais bien celui de Vicky Krieps. Pourtant, on ne peut regarder la dernière scène du film de la même manière que si l’acteur était encore parmi nous. On est dès lors d’autant plus touché par la séparation que filme ici Emily Atef, sans être forcément - et narrativement - la dernière pour les deux époux (bien qu’on en doute fortement), elle qui est pourtant bien celle que nous verrons au cinéma de Gaspard Ulliel, en train d’y prendre le large, sur un bateau, entouré part la verdure des vallées érodées de Norvège, et la lumière blanche de son ciel pur...



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