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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Ninja Thyberg
Pleasure
Date de sortie : 03/11/2021
Article mis en ligne le 21 octobre 2021

par Charles De Clercq

Synopsis : Une jeune suédoise de 20 ans arrive à Los Angeles dans le but de faire carrière dans l’industrie du porno. Sa détermination et son ambition la propulsent au sommet d’un monde où le plaisir cède vite la place au risque et à la toxicité.

Acteurs : Sofia Kappel, Kendra Spade, Dana DeArmond

Si la bande-annonce ci-dessous donne déjà une idée de l’intrigue, celle-là est cependant censurée des scènes sexuelles les plus explicites. Elles sont bien présentes sans être envahissantes ou même nombreuses. L’on se doute que le film devrait être fameusement censuré dans des pays où la pudibonderie règne, mais où les armes peuvent se trouver accessibles au plus grand nombre. Le film est réservé aux plus de seize ans et il est surprenant qu’il sorte chez nous, en Belgique, alors que le documentaire Rocco de Thierry Demaizière et Alban Teurlai n’est pas sorti en Belgique (même pas la sortie restreinte annoncée au festival du film d’amour de Mons) ! Et sur ce thème Pleasure a, par certains côtés, un aspect documentaire, s’agissant des débuts et de l’ascension d’une jeune Suédoise dans le monde du porno « hard ». Et, justement, certaines choses que nous écrivions à propos de Rocco sont de mise ici (d’autres pas, nous y reviendrons à propos des larmes), ainsi « écrivons d’emblée que celui qui croira voir un film porno ou son making-of n’en aura pas pour son argent et qu’il vaut mieux qu’il s’achète un film X » !

Dès l’entrée aux USA, Bella (Sofia Kappel) est interrogée : vient-elle pour affaire ou pour le plaisir. Après une courte hésitation, elle répond « pleasure ». Et pourtant, l’une ou l’autre réponse aurait convenu. C’est en effet, non pour affaire au sens strict qu’elle débarque de son pays où, à son estime « il n’y a que des tarés », mais pourtant elle y vient pour y faire carrière et, on le verra au cours du film, pour devenir une « Spiegler girl » ! A ce moment-là, elle n’a aucune idée de ce dont il s’agit (et le spectateur non plus, du moins le lambda qui ne connait pas les tenants et aboutissants du cinéma X).

Sofia Kappel est une actrice débutante : elle n’a donc jamais joué et son rôle a donc dû être préparé en amont. C’est que même si elle n’était pas partie prenante ou exécutante de scènes de sexe non simulées, elle serait confrontée à sa nudité et à celles d’autres actrices, mais aussi d’autres acteurs à la virilité très explicite (fut-ce, au prix, pour l’un d’eux d’une injection d’Alpostadil [1]. C’est tout l’art de la réalisatrice et du cameraman de nous immerger dans des scènes très explicites, crédibles, grâce au cadrage alors que l’actrice (ici Sofia Kappel et non Bella !), bien que présente dans le champ de la caméra, à l’écran donc, soit hors champ d’une action qui impliquerait son intimité.

Parmi les nombreux axes développés par le film, il en est deux à relever, celui de l’accord explicite de l’actrice d’une part (et il faut donc signer des documents, prouver son identité et sa date et accepter explicitement tout un nombre de pratiques sexuelles, sachant que le refus de l’une ou l’autre de celles-ci lui fermera des portes). D’autre part, il lui est rappelé qu’elle peut dire « non » à tout moment. C’est donc toute la question du consentement de l’actrice (la question se pose certainement moins ou en d’autres termes pour les hardeurs sauf, peut-être, dans le cinéma X gay !). Pleasure donne à voir plusieurs scènes où l’actrice (Bella, donc et pas Sofia Kappel !) sera aux limites et tout particulièrement dans des scènes SM. Mais Bella (l’héroïne donc) se sert aussi des réseaux sociaux pour la promotion de sa carrière d’actrice du X et ne manque pas de publier de nombreux selfies. Elle en veut donc.

Précisons ici qu’un certain nombre d’acteurs et actrices sont des hardeurs et hardeuses professionnels et viennent donc du cinéma X et dont le nom réel est cité au générique [en somme comme ce fut le cas pour Rocco Siffredi dans Anatomie de l’enfer (2004) ou, auparavant Romance (1999) de Catherine Breillat]. Ajoutons que si ces acteurs du X ont accepté de tourner avec Ninja Thyberg, certains n’étaient pas toujours en phase avec elle, en particulier, lorsque celle-ci demandait de nouvelles prises, eux qui sont habitués à ne pas devoir retourner une scène, sauf exception. Revenons un instant aux scènes SM où l’on découvre deux hardeurs dans des scènes violentes (vis-à-vis de Bella) physiques probablement et plus encore psychologiques. Elle sera proche du « non », le formulera, et les deux acteurs concernés s’arrêtent et on les découvre alors comme des chiots ou chatons vis-à-vis de Bella, lui susurrant des mots doux et gentils, lui rappelant que c’est du cinéma. Il y a donc possiblement là de la vérité et aussi une catharsis possible des acteurs par rapport à leur vécu habituel. Il n’empêche que les larmes de Bella sont là, bien présentes, et qu’il lui sera rappelé avec véhémence qu’elle avait tout accepté et que son attitude peu professionnelle gâche le film. A ce moment-là, nous avons songé à ce que nous écrivions à propos du documentaire Rocco « lorsque les larmes jaillissent des yeux d’une femme (...) la douleur n’est pas vraiment feinte ». En en parlant avec une consœur en sortie de vision presse, celle-ci nous répondait que dans certains cas, elles pouvaient l’être pour certaines actrices, sous-entendu, qui se voulaient très professionnelles.

A côté de ces acteurs et actrices, il y a aussi des agents et, en particulier, Mark Spiegler qui à une « écurie » d’actrice au top de la profession, de la performance et du succès public. Confrontée à une « Spiegler girl », Bella voudra d’ailleurs devenir l’une d’entre elles, au risque de la confrontation avec d’autres actrices ou la perte d’amitié avec une autre dont elle partageait le logement. Nous assistons ainsi aux atermoiements de Bella, mais aussi aux préparatifs techniques (sanitaires !) de certaines scènes (rasage, lavements, etc.). Si Bella sait ce qu’elle veut, elle hésite lorsqu’elle découvre que les gens sont aussi tarés ici qu’en Suède, si elle a envoie de tout laisser tomber, elle voudra poursuivre son ascension. Jusqu’où ira-t-elle ? Nous ne le saurons pas, car la réalisatrice offre une fin ouverte en laissant Bella descendre d’une voiture dans le plan final.

Ninja Thyberg, militante féministe et anti-pornographie ne dresse pas ici un procès à charge contre l’industrie du X mais offre un regard cru, sans concession, laissant place au doute, aux questions... Il est probablement des actrices du X qui aiment ce métier, le font, sinon avec plaisir, du moins pour s’offrir une belle carrière. Celles-ci ne sont certainement pas la majorité et Bella nous fait penser à Coralie Trinh Thi, ancienne actrice pornographique française, devenue journaliste et écrivaine, auteure d’un récit autobiographique de 781 pages intitulé La Voie humide, une œuvre au rouge et organisé autour des vingt-deux arcanes du tarot de Marseille comme autant de chapitres (source) où elle parle notamment de sa vie et de son plaisir de tourner dans le milieu du X. Pour d’autres hélas, il est plus que probable que certaines ne seront somme toute que de la marchandise, facilement remplaçable.

Ajoutons encore la singularité de la bande originale dont certaines musiques, notamment du genre polyphonie religieuse ou chant sacré, sont en contrepoint ou contremploi de ce que l’on peut attendre au vu (!) des scènes filmées !

Si vous vous posez des questions sur le cinéma pornographique, sur la place de la femme et si des scènes crues, sexuellement explicites ne vous font pas peur, allez voir le film. Il ouvre un potentiel espace de parole. Sinon, passez votre chemin bien sûr !



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