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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Hubert Charuel
Petit paysan
Sortie le 18 octobre 2017
Article mis en ligne le 8 octobre 2017

par Charles De Clercq

Synopsis : Pierre, la trentaine, est éleveur de vaches laitières. Sa vie s’organise autour de sa ferme, sa sœur vétérinaire et ses parents dont il a repris l’exploitation. Alors que les premiers cas d’une épidémie se déclarent en France, Pierre découvre que l’une de ses bêtes est infectée. Il ne peut se résoudre à perdre ses vaches. Il n’a rien d’autre et ira jusqu’au bout pour les sauver.

Acteurs : Swann Arlaud, Sara Giraudeau, Bouli Lanners, Isabelle Candelier.

 Similitudes et complémentarité

Fils de paysans exploitants d’une ferme « moyenne »...
avec une petite trentaine de vaches laitières qu’ils connaissaient toutes par leurs noms...
Il n’a pas repris la ferme
Ses parents lui ont offert des études
Il a une passion pour le cinéma...
... le critique que nous sommes a vibré au film de Hubert Charuel !

Fils de paysans exploitants d’une ferme « moyenne »...
avec une petite trentaine de vaches laitières qu’ils connaissaient toutes par leurs noms,
Il n’a pas repris la ferme
Ses parents lui ont offert des études
Il a une passion pour le cinéma...
à tel point qu’Hubert Charuel est devenu... réalisateur !

...

 Des histoires (de) vaches !

Le critique donc a aimé ce film d’autant plus qu’il se sent en connivence avec le fils de fermier qui le réalise et qui, lui, a été jusqu’au bout de sa passion. Le critique, quant à lui, a été pris par un autre feu, celle d’une vocation qui l’a amené à être prêtre... tout en faisant plein droit à sa passion pour le septième art en devenant officiellement critique pour plusieurs médias chrétiens.

Préambule donc pour dire et exprimer la consonance avec le réalisateur, mais aussi avec son œuvre magnifique et émouvante, premier long métrage qui est également un hommage à la terre, à ses parents et aux petits paysans de France !

La vache est rarement traitée au cinéma et elle n’en est pas prisonnière. Certes, nous avons tous en mémoire La vache et le prisonnier réalisé par Henri Verneuil en 1959. Mais depuis pas grand-chose. Il y a bien eu une histoire vraie de vache tombée du ciel adaptée au cinéma par Sebastián Borensztein, avec El Chino sorti en 2011 et, cet été, son remake 7 jours pas plus par Héctor Cabello Reyes. En 2014, une vache, GPS, était le point de départ du drame Timbuktu, réalisé par Abderrahmane Sissako. C’était également le cas en 2016 pour A Perfect Day réalisé par Fernando León De Aranoa ; là une vache dans un puits risquait d’empoisonner la vie des gens. Dans des registres moins dramatiques, il était aussi question de vaches dans Saint-Amour (2016), réalisé par Gustave Kervern et Benoît Delépine... mais en fait de vaches, c’était plutôt le vin qui était à l’honneur. La même année, c’était, tout simplement La vache de Mohamed Hamidi que nous résumions comme suit par un très mauvais jeu de mots : « Film dont l’actrice principale ne passera peut-être pas à la casserole ! ».

 Le petit paysan qui rêvait de vaches

Si Philip K. Dick se demandait si les androïdes pouvaient rêver de moutons électriques, Hubert Charuel nous montre qu’un petit paysan peut rêver de vaches. Et il faut ici le pluriel, puisque dès les premières images, il nous est donné de visualiser le rêve de Pierre : des vaches dans sa cuisine. Il ne s’agit pas d’une seule, mais d’un troupeau. Ces bovidés le hantent. Il n’est pas fou et ses vaches ne sont pas folles ! Quoique ! Car si la folie ne guette pas Pierre, il n’empêche que cette question le « travaille » comme on dit. Lui qui travaille toute la journée, sept jours sur sept, trois cent soixante-cinq (ou six) jours par an, sans repos, sans relation affective, si ce n’est celle qui le lie à ses parents autant qu’à la terre. Pas de sortie, bien peu de loisirs, peu de relations, sauf celle avec sa soeur, de l’autre côté de la barrière : elle est vétérinaire, et donc du côté de l’ordre, du côté de ceux qui peuvent décréter qu’il faut abattre tout votre cheptel lorsqu’une maladie grave est suspectée.

Il ne sera pas question de « vache folle », mais d’une maladie créée pour les besoins du film, une sorte de fièvre hémorragique. On en parle plutôt par crainte (à cause des conséquences) et par une sorte d’exorcisme, par peur que quelque chose arrive. C’est que si l’on rêve de vaches, ce peut être aussi signe d’une crainte de perdre son troupeau. L’information circule, c’est déjà arrivé, c’est plus qu’un ouï-dire !

 Et le mal a gagné le troupeau !

Pierre est attentif à ses bêtes. Elles sont bien marquées, numérotées par une pince (fini le temps du fer rouge des westerns)... mais lui les connait par leurs noms (comme le Pasteur de l’Evangile connait ses brebis). Il s’oppose ainsi à ses proches voisins qui ont totalement automatisé la traite et où les bovidés sont des numéros dans un système informatique. Certes les bestiaux ont droit à de la musique... alors que Pierre leur donne presque de la tendresse ! Jusqu’au jour où, fatalité, les premiers symptômes de ce que l’on ne veut pas voir arriver apparaissent (ceux-ci le marqueront également plus tard dans sa chair). Que faire ? cacher ? Taire... et continuer à traire ? Que dire à la soeur, aux parents, aux voisins ? Et s’il faut mettre à mort l’animal fautif, mais sans culpabilité... comment cacher le cadavre en même temps que sa propre culpabilité ? Comment vivre, comme si de rien n’était, si ce n’est en changeant ses habitudes ? En donnant congé aux parents, en fréquentant la boulangère que ceux-ci lui destineraient volontiers dans leurs plans ? Et si l’épidémie gagne, que fait-on ? Quand on a pris le goût du risque et de la mort, les choses s’en trouvent peut-être facilitées... mais lorsqu’il faut camoufler et déplacer trente vaches laitières les choses paraissent moins simples... à moins qu’un autre paysan luxembourgeois (Bouli Lanners) n’offre une voie de sortie de l’impasse ? Mais une impasse c’est une aporie, il faut faire marche arrière, revenir au point de départ. Avec la mort à l’arrivée avec pour seule concession une dernière traite. C’est le glas qui sonne pour le petit paysan qui s’était pris d’affection pour un petit veau qui partageait son canapé, comme si la réalité rejoignait le rêve du début !

 Un film et un acteur ancrés dans le réel

Nous avons vu un film très humain (et donc très animal), très vrai, non pas une caricature de la paysannerie et de la vie paysanne, un film qui sent bon le terroir, mais aussi gémit et mugit (osons !) des diktats des fonctionnaires et de la mainmise des nouvelles lois de santé dite publique. C’est la révolte de paysans qui doivent assister impuissants à la destruction de leur cheptel. Et cela appelle le public à faire mémoire de ces nombreuses destructions d’animaux par principe de précaution pour notre confort. Nous voyons ici le début de la chaîne (alimentaire donc) avec un veau qui nait (autant que nous jugions par expérience, il s’agit d’un vrai vêlage exécuté par l’acteur principal, Swann Arlaud). A l’autre bout du circuit ce que l’on ne voit pas : l’abattoir, même si aujourd’hui la vue de ce qui se passe en ces lieux de mises à mort industriels commence à heurter les consciences, surtout si elles sont diffusées pendant que nous mangeons le fruit de ces abattages réalisés souvent dans une extrême violence. Entre les deux, cette tendresse, quasiment innée de celui qui nourrit et chérit ses animaux.

Ce premier long métrage de fiction est presque une dénonciation et en tout cas un cri. Il est réaliste, car il connait ses sujets, la ferme, les animaux, les fermiers à tel point que ses parents et des amis sont certains de ses acteurs (non professionnels donc). Le film doit beaucoup également à Swann Arlaud qui est ici bluffant et a suivi un véritable écolage dans la ferme des parents du réalisateur. Si nous l’avions vu dans Une Vie de Stéphane Brizé, c’est dans le rôle du baron dans Michael Kohlhaas d’Arnaud des Pallières (2013) que nous l’avions découvert et dans Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore (2015) que nous avions perçu un grand acteur en devenir. Il donne vraiment l’impression, dans Petit paysan, d’avoir toujours vécu dans une ferme, d’être un véritable paysan et le critique s’exprime ici en toute connaissance de cause.

Pour ceux qui voudraient poursuivre la réflexion en milieu scolaire (notamment), voici le lien vers un dossier pédagogique.



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