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CINECURE
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Jim Jarmush
Paterson
Sortie le 7 décembre 2016
Article mis en ligne le 12 novembre 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Paterson vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes - de William Carlos Williams à Allan Ginsberg aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…

Acteurs : Adam Driver, Golshifteh Farahani et Nellie !

 La banalité du quotidien

Dans mon « métier », il arrive de devoir célébrer des funérailles ! C’est toujours le temps inattendu, la seule certitude en venant au monde, « la vie étant la seule maladie mortelle incurable » (d’après le théologien Jacques Pohier). Et à cet instant, la famille aimerait tant que l’on relève les grandes actions et les belles choses qu’a pu faire celui ou celle qui n’était sommes toute que bonté sur cette terre, et que l’on enferme ainsi dans une tour d’ivoire qui nie tout ce que la personne a été : pas seulement le beau et le grand, mais aussi le bien que l’on n’a pas fait, le mal que l’on n’a pas voulu faire, mais que l’on a accompli. Occasion de tuer une deuxième fois le défunt en l’enfermant dans une image idyllique qui n’est pas la vérité de son humanité. En réalité, pour beaucoup, la journée et la vie se terminent sur une interrogation : mais qu’ai-je fait qui sorte du lot ? Et l’on se prendra a répondre : rien. Seulement la banalité du quotidien !

Tout comme Richard Linklater narrait douze années de vie où il ne faut retenir, grosso modo, que le temps qui passe, Jarmush filme ici sept jours de la vie d’un couple avec un chien (qui est en réalité une chienne, Nellie, aujourd’hui décédée, comme quoi les animaux aussi peuvent être concernés par les questions de genre ! C’est son premier et dernier rôle qui lui a valu la Dog Palm à Cannes en 2016). Ces jours-là sont une semaine. Cinq jours de travail et le week-end. Ces deux-là ont leurs routines, leurs rythmes, leurs passions : lui dans la poésie, elle dans la création artistique en noir et blanc : murs, tentures, vêtement, et même les cookies ! Il s’aiment, cela se voit, dans leurs rituels, simples. Simplement, comme cela, sans questions. Ils sont deux, mais Marvin, le chien aimerait leur rappeler qu’il existe, qu’ils sont trois.

 La poésie et le Noir & Blanc

Elle reste à la maison, crée, crée, toujours sur le même leitmotiv, le noir et le blanc. Avec à la fois la richesse et la banalité de ce que l’on découvrait dans Big Eyes. De son côté, Paterson écrit dans un carnet des poèmes. Ils sont banals, probablement autant que ses journées. Ils ne sont probablement pas à la hauteur de ceux d’illustres poètes ou écrivains de Paterson (la cité) : William Carlos Williams ou Allan Ginsberg. Ils sont à l’image de la ville qui est en déclin, comme Detroit, par exemple, ou... les bassins charbonniers et sidérurgiques de Wallonie. Ces poèmes s’inscrivent dans des rencontres insignifiantes (ainsi des « paires » de personnages, jeunes ou pas, dans son bus), des bribes de conversations, le collègue qui lui raconte ses malheurs et qu’il écoute, sans plus (et on n’y trouvera pas la densité nihiliste et absurde du « Je suis content que tout aille bien pour vous !  » dans A Pigeon Sat on a Branch Reflecting on Existence de Roy Anderson).

 Rencontres avec et sans Marvin

Ce sont aussi ces promenades avec Marvin que l’on laisse... avec la laisse... à l’entrée d’un bar où l’on y fera aussi d’étonnantes rencontres, des amours contrariées ou impossibles, des attentes, des tentatives de suicide... pendant que le chien attend. Il est bien seul Marvin et il a de la valeur, à tel point que des mauvais gosses qui ne le sont peut-être pas... préviennent que le chien risque d’être « dog-nappé » ! Pas de médias sociaux, rien que des rencontres humaines, sans importance. Pas d’internet, si ce n’est pour commander une guitare en noir et blanc. Le week-end, Laura pourra vendre ses pâtisseries en noir et blanc et en récolter de quoi payer une partie de la guitare et un repas à son tendre compagnon. Parce que derrière le poète, il y a aussi l’homme. Il y a aussi le chien. Qui passera à la postérité ? Que reste-t-il de nos amours, de nos rencontres, de nos poèmes et de la poésie de notre existence ? Les poèmes de Paterson s’écrivent à l’écran qui en garde la trace, fut-elle fugitive, et qui arrive à faire croire au spectateur que ceux-ci existent pour la postérité. Arrivé à ce point, il manquera au spectateur ce carnet secret pour en relire les poèmes. Il cherchera probablement ceux-ci dans une librairie ou sur Internet. Qui les a publiés ? Sous quel nom ? Où trouvera-t-on ce poème consacré à la plus belle des boites d’allumettes, capable de raviver le feu de l’amour ? Nulle part ? Une quête vaine ? Un secret perdu ? Peut-être, là, simplement, sous nos yeux, à l’écran qui projette ce Paterson de Jim Jarmush... Un temps qui passe ! Une photocopieuse du temps qui le décline en vingt-quatre images par seconde. Un pur « Jarmush » (si vous aimez ce réalisateur, vous adorerez Paterson... sinon...?) auquel Adam Driver et Golshifteh Farahani apportent tout le poids d’une tranquille interprétation. Ou comment croquer la vie à pleines dents !



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