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CINECURE
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Emmanuel Carrère
Ouistreham
Sortie du film le 12 janvier 2022
Article mis en ligne le 13 janvier 2022

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 104’

Acteurs : Juliette Binoche, Hélène Lambert, Léa Carne, Emily Madeleine, Patricia Prieur, Evelyne Porée, Didier Pupin...

Synopsis :
Marianne Winckler, écrivaine reconnue, entreprend un livre sur le travail précaire. Elle s’installe près de Caen et, sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage. Confrontée à la fragilité économique et à l’invisibilité sociale, elle découvre aussi l’entraide et la solidarité qui unissent ces travailleuses de l’ombre.

La critique de Julien

« Ouistreham », c’est l’adaptation du récit autobiographique « Le Quai de Ouistreham » de la journaliste Florence Aubenas, paru le 25 février 2010 aux éditions de l’Olivier, laquelle a accepté que ce soit l’écrivain et réalisateur français Emmanuel Carrère qui le mette librement en scène, lui qui n’avait plus réalisé de film ou de documentaire depuis « La Moustache » en 2005. Aboutissement d’un travail d’enquête durant six mois, cet ouvrage était alors le résultat d’une immersion de Florence Aubenas, laquelle souhaitait comprendre la vraie signification du mot « crise », vécue alors par les plus démunis, dont ceux et celles qui vivent de petits boulots, dont les femmes de ménage. Cette dernière était alors rentrée dans la peau d’une femme « transparente » d’une quarantaine d’années, sans formation ni expérience professionnelle, afin de vivre au plus près d’autres femmes, qui survivaient quotidiennement sans savoir de quoi serait fait demain. Et parmi ses nombreux petits emplois, l’un deux consistait à nettoyer à quai des ferries assurant la liaison entre Caen-Ouistreham et Portsmouth en Angleterre ; mission qu’assurera ici le personnage joué par Juliette Binoche, incarné de sa propre histoire...

Alors que le livre faisait état de ce que l’écrivain décrivait sur les gens, « Ouistreham », lui, pour les besoins du cinéma, fait aussi états d’âme de Marianne Winckler (Binoche), une écrivain non-journaliste d’une cinquantaine d’années, ayant alors marre d’entendre parler de crise sans véritablement la vivre de plein fouet (étant donné sa condition), laquelle ressentira alors besoin de savoir ce qui se passe en vrai, tout en souhaitant rendre les invisibles visibles. Elle quittera alors Paris pour la ville de Caen, cherchant du travail intérimaire précaire, en s’inscrivant au Pôle emploi, alors dépassé par l’ampleur de la demande. Son personnage y découvrira d’une part les incohérences du système socio-économique, ainsi et surtout que la vie des travailleuses « de l’ombre », jouées ici par des actrices non-professionnelles, dont Hélène Lambert, jouant Christèle, une mère de famille séparée, avec qui Marianne se liera d’amitié.

Mais alors qu’il n’était question que de camaraderie de travail très forte dans les relations qu’avait entretenus Florence Aubenas avec ses partenaires de travail, Emmanuel Carrère, lui, et la coscénariste Hélène Devynck (ayant déjà travaillé sur son précédent film) traitent donc ici l’idée d’une amitié, et forcément des conséquences du mensonge de Marianne sur celle-ci. Si « Ouistreham » se révèle donc être un témoignage certes peu approfondi, mais sans bavure dans ce qu’il nous montre ici de la vie des agents d’entretien, le film d’Emmanuel Carrère est aussi un intéressant drame qui questionne sur notre capacité à aller jusqu’au bout des choses (bonnes ou non) que nous entreprenons, malgré les doutes, et surtout le prix qu’on est prêt à payer pour y arriver. Car c’est finalement cette trahison opérée, remettant en cause son identité envers autrui, et dès lors toute cette amitié, qui jouera ici le rôle d’épée de Damoclès qui pourrait ainsi frapper sur la tête de Marianne, que Juliette Binoche interprète avec beaucoup d’authenticité, de naturalisme. On croît pleinement en son rôle, et d’autant plus en ceux de ses partenaires de jeu, de la spontanée et profonde Hélène Lambert à Didier Pupin, dans le rôle du tendre et charmant Cédric, plus proche du livre. Alors certes, on se doute que cette situation de mensonge ne sera pas tenable pour son anti-héroïne, mais cela ne gâche en rien la force de frappe du message, notamment vis-à-vis de la scène finale, très révélatrice, remettant - au regard frustré de certains - chaque personne à sa place dans la société.

Délicat, Emmanuel Carrère filme aussi bien le port de Ouistreham que les migrants avec respect, et envers lesquels il était ainsi difficile de faire impasse. Tandis que les scènes embarquées n’ont pu l’être sur une bateau de la compagnie Brittany Ferries étant donné l’image dégradée de l’entreprise dans le livre de Florence Aubenas, le cinéaste partage finalement ici un beau portrait de femmes qui doivent être « SBAM », c’est-à-dire « Sourire-Bonjour-Au revoir-Merci », ce qu’un formateur leur fera comprendre lors d’une formation, qu’elles sont d’ailleurs obligées de suivre pour ne pas être radiées du Revenu de Solidarité Active (RSA), ce qui est à éviter, étant donné que le métier de la propreté est considéré comme l’avenir, lui qui ne pourra, de plus, jamais être délocalisé...



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