Bandeau
CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Andrés Cifuentes
Obscène sexualité
Une réalisation de « La Centrale - collectif »
Article mis en ligne le 13 août 2019

par Charles De Clercq

Synopsis : Un travailleur du sexe, chilien étranger de première génération à Bruxelles, donne une interview à une journaliste. Parallèlement on découvre des situations de prostitution de son quotidien, qui viennent compléter ou contredire ses propos.

Acteurs : Andrés Cifuentes, Alexandre Marissart, Victor Lacôte, Joel Gosset, Jean-François Geneste, Audric Lommers, Michel Du Berry, Julien Vitten, Charles Hamel, Emmanuel Amar, Rachid Benbouchta, Linda Jousset, Aiko Janssens, Pierre Jacobs, Gérard Thomas, Lionel Robyr, Jean Fürst

 En avant séance !

Une invitation arrive via un contact Facebook. Elle aurait pu passer inaperçue, tant les sollicitations pour participer à des événements sont nombreuses ; il est donc important de choisir. Faute de connaître personnellement Andrés Cifuentes, un clic sur la page permet de découvrir qu’Andrés fait partie du Collectif La centrale, soutenu par la SC Crédal [1], qu’il s’agit ici de découvrir un film consacré à la prostitution masculine, que celui-ci sera suivi d’un débat, et que cela aura lieu dans un appartement. A dire vrai, si le thème était intéressant pour un prêtre ayant assuré l’aumônerie d’une communauté de chrétiens gays durant douze ans, c’est trivialement surtout la projection en appartement qui a été l’élément qui a joué pour le geek passionné et curieux de Home-Cinéma !

 Du théâtre à l’écran

Finalement ce ne sera pas la qualité technique de la projection qui sera déterminante. Un petit projecteur personnel, un mur, un divan, des chaises, un espace exigu... C’est que nous sommes au siège du collectif, dans l’appartement de son responsable et que l’on découvrira à la fin qu’il est le réalisateur du film et le principal protagoniste.

D’emblée, les participants sont informés : le Collectif s’épanouit dans le monde du théâtre, il s’agit ici d’un premier film de fiction et les membres ne se revendiquent d’ailleurs pas d’appartenir au milieu du cinéma. Premier film, première réalisation et premier, voire unique, avertissement : il y aura des scènes sexuelles explicites – qui réserveront le film à un public averti de plus de seize ans – dans ce qui est une œuvre de fiction et pas un documentaire (quoique !) qui dure un peu plus d’une heure. Bien plus, si le film est terminé, ce que l’on verra est une version de travail qu’il faudra encore peaufiner (étalonnage, son, etc.) et qu’il sera peut-être projeté dans quelques salles.

Le film est tourné avec très peu de moyens et certaines plans le sont dans l’appartement même du réalisateur. Il se structure autour de quelques scènes d’interviews par une journaliste qui sont prétextes (en jouant ici sur les mots) à donner à voir la vie professionnelle de Juan, un prostitué d’origine chilienne d’environ trente-cinq ans (et donc proche de l’âge fatidique de quarante ans où le prostitué n’a plus de valeur marchande). Une dizaine de situations sont ainsi données à voir, tour à tour crues, émouvantes, flippantes, sordides, tant pour Juan que pour ses clients. Si celles-ci sont « construites », elles s’enracinent cependant dans le réel. En amont du film, il y a près de trois ans de recherches, de rencontres, d’entretiens qui ont nécessité un « apprivoisement » pour faire advenir des témoignages et un récit à la parole, pour pouvoir les mettre en scène. C’est d’ailleurs la force du Collectif de préparer et travailler ses productions, ainsi, le film documentaire et la pièce de théâtre de théâtre, consacrés au suicide, « 4.48 Psychose » présentés en mars 2019.

 Obscène ?

Si le film n’est pas pour tous, il est à voir cependant... par qui... restant à déterminer. Le titre en lui-même est lourd de sens, s’agissant en particulier d’un lieu de naissance « théâtral ». C’est que l’ordre des mots est important. Il ne s’agit pas de « Sexualité obscène », mais d’« Obscène sexualité ». En effet il n’est pas question de définir une sexualité en la disqualifiant par un déplacement sur le champ de l’éthique, de la morale, mais de mettre en lumière ce qui ne l’est pas. Le film d’Andrés Cifuentes fait découvrir un univers caché, connu sans l’être, celui des prostitués masculins et leurs « clients ». Et l’on a raison ici de titrer « obscène », au sens le plus étymologique du terme (et non son usage « vulgaire », commun), à savoir qu’il montre ce qui ne doit pas être vu, montré sur la scène du théâtre (ou ici, sur l’écran). C’est qu’il nous donne à voir « des choses cachées depuis la fondation du monde » !

Et pour montrer ce qui ne doit pas être vu, connu, qui doit être tu, l’équipe a choisi la fiction plutôt que le documentaire. Il aurait été quasiment impossible de filmer, justement l’obscène réalité ! Une caméra n’a pas sa place dans le lieu le plus intime, ici tarifé. Sans compte que d’expérience de critique de films, il apparait que, dans l’immense majorité des cas, quand les protagonistes réels « jouent » leurs propres rôles dans une fiction, où ils sont mis en scène, ils « jouent » mal et leur jeu sonne souvent (très) faux (ce qui n’est pas le cas d’un des acteurs du film qui est véritablement client de prostitué - cf. lien vers l’interview au bas de cet article).

 Du « rôle » de l’acteur !

C’est ici qu’une autre leçon peut être tirée de la fiction du Collectif, l’importance des acteurs et de l’acting. Lors d’une interview il y a deux ans, un comédien nous disait : « j’ai de nombreux personnages dans ma tête et aucun n’est moi » ! C’est toute la force de ce que disait le réalisateur à la fin de la projection, lorsque certains découvrent qu’il est Juan ! Il n’est pas Juan ! Il est donc une construction. L’acteur peut entrer dans la peau de nombreux personnages, habiter des personnalités multiples... Comment gérer ces multiples facettes et visages ? Est-ce simplement un changement d’enveloppe extérieure, s’agit-il de changer de rôle comme on change de vêtement ? Et si ces multiples identités faisaient partie de la vie même de l’artiste ? D’autant qu’il y a en jeu ici la mise à nu des corps, leur exploration, leur exposition (alors qu’ils sont parfois fragiles, âgés, usés...). L’on se doute que le casting n’a pas dû être simple. Sans compter, justement la nudité intégrale et le sexe en action. Une question abordée dans la critique du film Théo et Hugo dans le même bateau ou dans Love. En effet, « cette question est évoquée dans les bonus du DVD consacré à Glory Hole, court métrage de Guillaume Foirest (2006), tourné dans un club libertin hétérosexuel du sud de la France. Il s’agissait de son travail de fin d’études de réalisateur. Aïssa Bussetta, son acteur principal exprime dans une interview que les acteurs considèrent leur personne comme un appartement dans lequel certaines pièces sont interdites. Sa métaphore vise ici le fait de filmer le (son) sexe. Il précise alors qu’il souhaite, comme acteur, répondre à ce challenge de ’faire visiter toute la maison’. S’agissant du caractère intime de la chose, il posera la question de savoir ce qui l’est le plus : montrer le sexe d’un acteur ou ses larmes. » (extrait des critiques de Love et Théo et Hugo...).

Dans le cas d’Obscène sexualité, le réalisateur insiste sur cette dimension : il s’agit de cinéma, ou de théâtre, peu importe. Il s’agit donc de mise en scène pour exprimer le vrai. C’est d’ailleurs ce qui permet à un acteur d’entrer dans un rôle, dans la peau d’un personnage qui n’est pas lui, de s’exprimer jusqu’à une sexualité explicite sans qu’il soit impliqué... mais pour cela il faut être à l’aise avec son propre corps et sa propre sexualité. D’autant que, comme le dira aussi Andrés Cifuentes, « homme et femme » sont d’abord une construction (sociale).

 Un film (sans) tabou ?

Voilà donc un film dont il ne sera pas possible de parler sur RCF. Il est loin d’être grand public, il pourrait mettre mal à l’aise, mais l’on sait gré au réalisateur et à son collectif d’avoir mis en scène ce qui est encore tabou, car lié à un double interdit (ce qui se tient entre les rives de ce qui peut être dit), celui de la sexualité tarifée, et celui de l’homosexualité. D’autant plus qu’il montre (peut-être involontairement) une fonction « thérapeutique » du prostitué. Le temps d’une passe, celui-ci peut (parfois) être un écoutant (tout comme le psychanalyste est aussi un « écoutant »... moyennant finances ?). Ni apologie ni condamnation de la prostitution masculine, Obscène sexualité s’avère un film dense et âpre, aux frontières de l’humain qui, dans les interstices de situations parfois sordides, donne au travers de Juan et de ses clients la parole à de nombreux prostitués et clients sur le terrain !

Pour en savoir plus, lien vers une interview du réalisateur par Frédéric Oszczak

© LA CENTRALE COLLECTIF



Espace privé RSS

2014-2024 © CINECURE - Tous droits réservés
Haut de page
Réalisé sous SPIP
Habillage ESCAL 5.0.11