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Jordan Peele
NOPE
Sortie du film le 17 août 2022
Article mis en ligne le 19 août 2022

par Julien Brnl

Genre : Comédie

Durée : 120’

Acteurs : Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Steven Yeun, Michael Wincott, Terry Notary, Betty Buckley...

Synopsis :
Les habitants d’une vallée perdue du fin fond de la Californie sont témoins d’une découverte terrifiante à caractère surnaturel.

La critique de Julien

En l’espace de seulement deux réalisations, Jordan Peele est devenu un cinéaste incontournable du cinéma contemporain. Alors qu’il s’est fait connaître aux États-Unis par la série américaine MADtv et ensuite comme l’un des deux membres du duo d’humoristes de la série télévisée à sketchs « Key & Peele », ce dernier a d’abord connu un immense succès critique et commercial il y a cinq ans avec son premier film « Get Out » (2017), qu’il a écrit de ses propres mains, lequel a d’ailleurs été récompensé de l’Oscar du Meilleur scénario original, alliant horreur et critique du racisme américain, puis avec l’audacieux (bien que confus) « Us » (2019), dans lequel le cinéaste dénonçait à la fois la condition humaine américaine et la terrible lutte des classes qui gangrène son pays, tout en se réappropriant le mythe du doppelgänger. Il y a maintenant un an de cela, Jordan Peele nous dévoilait alors le premier visuel énigmatique de son troisième métrage, où on y voyait, de nuit, un nuage menaçant survoler une ville située dans le creux d’une vallée, et duquel semblait accrocher une guirlande de fanions. On sait désormais que ces éléments sont essentiels à cette histoire d’ovni d’un nouveau genre, certainement digne de son surprenant cinéma, même si moins forte qu’attendu...

Traduit littéralement en français par « Nan » (en référence à la réaction que Peele espère susciter au public) et intitulé « Ben non » au Québec (et non, ce n’est pas une blague), « NOPE » met en scène la famille Haywood, dont le père est le propriétaire d’un ranch à Agua Dulce, en Californie, où il élève et entraîne des chevaux pour le cinéma et la télévision depuis des décennies. Tué par des pièces tombées du ciel « appartenant à un avion », et cela devant les yeux de son fils Otis « OJ » Jr. (Daniel Kaluuya, déjà l’acteur principal de son premier film), cet homme laissera à celui-ci et à sa sœur Emerald « Em » Haywood (Keke Palmer) son ranch en héritage. Alors que cette dernière, en quête de célébrité et de fortune à Hollywood n’a d’autres idées que de le vendre, son frère, lui, se mettra alors en tête de sauvegarder l’entreprise de son aîné. Mais après avoir été viré avec son cheval d’un plateau de tournage d’une publicité dirigée par un célèbre réalisateur capable de filmer « l’impossible » (Michael Wincott), OJ n’aura d’autres choix que de vendre certaines de ses bêtes à un certain Jupe (Steven Yeun). Ancien enfant acteur, devenu créateur et propriétaire d’un parc à thème, Jupe exploite son traumatisme d’enfance, survenu des années plus tôt dans le studio d’enregistrement du sitcom « Gordy et compagnie », où le chimpanzé éponyme, vedette de l’émission, avait attaqué fatalement plusieurs de ses co-stars, après avoir été effrayé par l’éclat d’un ballon. Jupe fera alors une proposition alléchante aux frères et sœurs, eux qui prétendent en plus que le jockey présent sur la série de photographies Animal Locomotion d’Eadweard Muybridge – décrite comme « le premier assemblage de photographies utilisé pour créer un film » – est leur ancêtre. Sauf que les Haywood seront témoins d’étranges phénomènes sur leurs terres, remarquant que leurs chevaux (en plus de disparaître pour certains) se comportent violemment face à une présence invisible, tandis que d’incompréhensibles champs de force électriques font disjoncter les plombs de la vallée… Jusqu’à ce qu’OJ soit témoin de « cet impossible », n’ayant, in fine, plus qu’une seule idée en tête, soit le filmer à son insu, ce que sa sœur approuvera...

Alors qu’il s’ouvre sur le verset de la Bible Nahum 3:6 « Je jetterai sur toi des impuretés, je t’avilirai, et je te donnerai en spectacle », « NOPE » s’avère aussi mystérieux que ses premières images, avant une dernière bande-annonce - malheureusement - un peu trop explicite. Écrit pendant la pandémie, à l’heure où l’inquiétude planait (et plane toujours) sur le septième art, Jordan Peele a souhaité réaliser un film à spectacle. C’est donc chose faite avec ce thriller de science-fiction, où le cinéaste côtoie la figure connue et fantasmée de l’ovni, tout en réussissant à l’innover. D’ailleurs, sa manière de mettre en scène ses différentes apparitions furtives est tout simplement dantesque, et provoque le frisson, face à ce bal glissant et dansant (d’abord in)visible au-dessus des têtes de ces afro-américains, lesquels, d’abord ahuris et terrorisés, vont se mettre à dompter ce voyageur de l’espace. Ces derniers, baissant la tête à ce qui s’apparente être - de prime abord - une menace, renvoie à leur condition longtemps persécutée et à leur longue lutte, face notamment au racisme, avant de prendre les devants et affirmer leurs droits, et mettre à profit leur intelligence face à ce(ux) qui se met(tent) sur leur chemin. Cependant, « NOPE » nous a paru moins politique que les précédents métrages de Jordan Peele. En effet, il s’avère être avant tout un plaidoyer métaphorique à notre propension et notre dépendance au spectacle, cherchant toujours à capter la moindre chose avec nos téléphones, et à nous approprier ce qui ne nous appartient pas, afin d’en faire une source de richesse, quelle qu’elle soit, malgré les risques qu’on encoure parfois à les approcher ou les regarder de trop près... Aussi, par la présence de cette figure étrangère et menaçante, Peele questionne le confinement que nous avons tous vécus, alors que nous voulions tous sortir de nos toits. Mais cela en vaut-il vraiment la peine quand plane quelque chose d’inconnu et de plus fort que nous, dehors, dans l’air, et - ici - jusqu’aux nuages ? Mais force est de constater que Peele laisse volontairement quelques questions sans réponse explicite, afin que chacun puisse y faire sa propre interprétation, notamment au regard de la question du « mauvais miracle », dont une chaussure qui tient debout toute seule...

La plus grande réussite de « NOPE », c’est donc bien la mise en scène de Peele, lui qui sait comment capter notre regard de spectateur, et engendrer l’effet. Jamais encore nous n’avions assisté à pareil spectacle, en apesanteur, porté par un travail de réalisation assez incroyable, où la technique participe amplement à la réussite du tout. Même s’il souffre d’un découpage pas forcément utile et de quelques longueurs, ce film profite de ses multiples références, allant de « King Kong », « Jurassic Park », « Rencontres du Troisième Type », ou encore à « Signes », à qui il emprunte la même atmosphère. Mais la principale inspiration du film a été empruntée aux anges de la série d’animation japonaise écrite et réalisée par Hideaki Anno « Neon Genesis Evangelion ». Sans révéler la nature de ce qui rôde dans le ciel, Jordan Peele en fait un ovni assez original, au même regard que la surprenante et amusante tournure du scénario, en véritable rodéo western dans les plaines californiennes, à cheval, avec, pour objectif, des images pour pourraient changer des vies, et même le monde. Pour appuyer la terreur de cette chose, le bruit strident de ses mouvements dans le ciel ont été créé à partir d’interposition de dialogues, de vent, de stridulations de criquets et de cris, sans oublier les silences, pour mieux surprendre encore le spectateur, sur un petit nuage de la SF. La bande-originale composée par Michael Abels (qui a déjà travaillé avec Jordan Peele sur ses autres films) ou encore la sublime photographie sauvage et inquiétante du chef opérateur néerlando-suédois d’origine suisse Hoyte Van Hoytema (« Dunkerque », « Tenet ») finissent par faire de « NOPE » une œuvre cinématographique dont la pellicule reste dans l’œil et les oreilles.

Avec « NOPE », Jordan Peele prouve une fois de plus qu’il est un réalisateur, un producteur et un scénariste qui a l’œil, en plus d’avoir de bonnes idées dans la tête, bien que fumeuse,, dans le sens où seul Peele semble clairement savoir et comprendre ce qu’il met en scène. Et ce nouveau projet ambitieux ne déroge pas à la règle, avec quelques séquences dont on cherche encore le sens. De plus, force est de constater qu’après-séance, « NOPE » ne laisse pas un souvenir impérissable en mémoire, la faute sans doute à cette sublime - et spectaculaire - traque à l’ovni, mais prenant alors toute la place, en oubliant de développer ses personnages et leurs émotions et peurs profondes, voire même une émotion, surtout vis-à-vis de son jeu d’acteur peu expressif, et de la dernière partie, plutôt fun, et au galop. Aussi, à force de chercher à mettre en scène le « money shot » ultime, soit l’essence même du (cinéma de) divertissement, et dès lors de nous montrer ce qu’on est venu y chercher, et y trouver, le film de Jordan Peele, trop sûr de lui, se révèle aussi surnaturel que superficiel... N’en déplaise, il se passe bien des choses dans la tête (dans les nuages) de Jordan Peele, ovni du cinéma de genre à part entière, qui aime prendre des risques et proposer des projets qui sortent de l’ordinaire...



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