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Ari Aster
Midsommar
Sortie du film le 31 juillet 2019
Article mis en ligne le 9 août 2019

par Julien Brnl

Signe(s) particulier(s) :

  • second film du réalisateur et scénariste américain Ari Aster après le choc « Hérédité » (2018) sorti l’année passée, devenant d’ailleurs le plus gros succès mondial de son distributeur indépendant A24, tandis que l’idée de « Midsommar » lui est venue en 2013, bien avant le tournage de son premier film ;
  • co-production américaine et suédoise, tournée à Budapest de l’été à l’automne 2018, alors que l’action se déroule en Suède, à Hårga ;
  • Ari Aster a conçu pour les besoins du film une langue fictive, nommée l’Affekt, ainsi qu’un alphabet runique (utilisé pour l’écriture de langues germaniques).

Résumé : Dani et Christian sont sur le point de se séparer quand la famille de Dani est touchée par une tragédie. Attristé par le deuil de la jeune femme, Christian ne peut se résoudre à la laisser seule et l’emmène avec lui et ses amis à un festival estival qui n’a lieu qu’une fois tous les 90 ans et se déroule dans un village suédois isolé.
Mais ce qui commence comme des vacances insouciantes dans un pays où le soleil ne se couche pas va vite prendre une tournure beaucoup plus sinistre et inquiétante.

La critique de Julien

Tout comme Roberts Eggers avec « The Witch » (2016) ou David Robert Mitchell avec « It Follows » (2014), Ari Aster nous avait, le temps de son seul premier film « Hérédité » (2018), mis une claque monumentale de mise en scène, tant son film faisait peur à regarder, mais dans le bon sens du terme. Film inclassable et terrifiant, situé entre le drame familial, l’horreur, l’épouvante et le fantastique, « Hérédité » avait révélé un indéniable talent de metteur en scène, capable de créer la terreur d’une autre manière que par des jump-scares écumés relatifs à tous les films de genre actuels, et de filmer un véritable cauchemar éveillé, et sans issue. Alors que tous ceux qui l’ont vu se souviennent encore du fameux claquement de langue de Charlie (Milly Shapiro), Aster est (déjà) de retour, un an plus tard, avec l’intriguant « Midsommar », lui qui semble ainsi tourner plus vite que son ombre, bien qu’aucun autre projet officiel n’a été confirmé en ce moment le concernant. Et à ne pas s’y méprendre, tout le bien que l’on pensait du réalisateur est ici confirmé, lui qui est audacieux en tous points.

Alors que son précédent film nous enfermait dans une maison plongée dans l’ombre et les ténèbres, où les murs transpiraient l’odeur de la mort, « Midsommar » se déroule essentiellement en Suède, durant l’été, en plein air, sous un soleil de plomb, aveuglant et agressif, à une période de l’année où il ne se couche jamais vraiment. Cette destination n’était pourtant pas gagnée pour le couple formé par Dani (Florence Pugh) et Christian (Jack Reynor), connaissant des tensions relationnelles frôlant une rupture. Mais un effroyable drame familial viendra bousculer Dani, ce qui ne laissera pas le choix à son petit ami, émotionnellement distant, de la soutenir, et l’emmener avec ses amis, Mark et Josh, sous l’invitation de leur ami suédois, Pelle. La raison de ce voyage, c’est la fête du solstice d’été dans la communauté ancestrale de Pelle en Suède, la Hårga, où se tient une célébration très spéciale (!), qui n’a lieu que tous les 90 ans. D’ailleurs, le frère de Pelle, Ingemar, a lui aussi ramené du monde : Simon et Connie, un couple anglais. Sans se douter une seule seconde de la tournure des festivités à venir, Dani (déjà instable), Christian, ses amis et les autres, vont très vite vouloir quitter les lieux...

En vrai, cette fête s’appelle bien le « Midsommar », et est organisée dans différents pays d’Europe du Nord en l’honneur du soleil et de la Terre nourricière. Importée d’Allemagne, elle se fête autour du mât de mai fleuri, symbole phallique par excellence, et de ses anneaux féminins, quant à eux symboles d’abondance et de fertilité. Fête de la fécondité depuis le Moyen-Âge, cette manifestation païenne fut depuis récupérée par l’Église pour fêter Saint Jean-Baptiste, tandis que le mât s’est transformé en substitut de la croix chrétienne.

Rien que pour son ouverture, « Midsommar » vaut le détour. L’entame filme un couple au bord de l’implosion, dont fait partie Dani, et ses terreurs. Tourmentée par ses problèmes familiaux, et sans nouvelle de sa sœur depuis qu’elle lui a envoyé de drôles de messages, elle se réconforte alors vers son petit ami, dont elle s’accapare la présence à la moindre occasion, lui qui est pourtant de sortie avec ses amis. Gros plan au téléphone sur son actrice principale Florence Pugh, révélée dans l’étonnant et dérangeant « Lady McBeth » (2017), Aster met en place une atmosphère pesante, qui dégage quelque chose de tellement malsain que l’on sent que quelque chose de terrible se prépare. La musique, chantée et stridente, invite quant à elle à un ballet symphonique funeste et incantatoire particulièrement inquiétant. Dès ce moment, chaque mouvement de caméra en devient tétanisant tant on n’ose imaginer le dénouement de ces premières minutes. Florence Pugh, absolument saisissante, est alors capable de pleurer au téléphone, à chaudes larmes, face caméra, tout en gardant son calme. Et il faut savoir le faire, et surtout se mettre dans la peau de son personnage ! « Midsommar » débute alors ses réjouissances au travers d’un début nihiliste à en mourir, tant et si bien que l’arrivée en Suède des protagonistes est vécue comme une bouée de sauvetage, comme un nouveau départ...

Ari Aster nous plonge alors dans un nouveau cauchemar que l’on vivra en même temps que les personnages, sans trop bien comprendre ce qui est en train de se passer, tout en étant dépassé par les événements, et leur symbolique. De plus, il faut dire qu’en termes de décors, on a véritablement l’impression de se retrouver dans un lieu de culte païen nordique, avec ses traditions folkloriques et spirituelles. Le chef décorateur suédois Henrik Svensson et le réalisateur se sont ainsi inspirés de visites de tels lieux, tandis qu’il a fallu près de deux mois pour reconstruire l’ensemble du décor principal, en Hongrie, là où le tournage a eu lieu, pour des raisons logistiques. Aussi, la photographie de Pawel Pogorzelski (déjà derrière celle de « Hérédité ») appuie le côté réaliste des lieux, et contrebalance avec la noirceure qui s’installe.
Et comme bon artisan du mystère et de la symbolique, Ari Aster a volontairement injecté aux décors du village (sur les peintures, les papier-peints, etc.) des indices sur ce qui s’annonce, et des clés de compréhension, mais sans trop fournir d’informations aux spectateurs. Et on adore ce genre de cinéma où l’attention du spectateur est de mise, et à rude épreuve.

« Midsommar » déploie alors ses forces par la maîtrise de sa réalisation, inventive et vertigineuse, et l’expérience déstabilisante qu’il nous donne à vivre. Tel que les personnages, on est happé par l’horreur qui se dévoile sous leurs yeux, à la différence près que nous ne serons pas drogués. Ce qu’ils vont alors vivre dépassera ainsi l’entendement, tandis que certaines situations, et dès lors réactions, invitent parfois aux rires nerveux, tellement les traditions occultes en question peuvent être primitives. Ari Aster prend alors le temps pour construire cette descente aux enfers souvent choquante, de là à nous perdre quelques fois dans son délire. Mais ces moments de confusion servent à donner de l’épaisseur à l’ensemble, tout comme aux personnages, surtout à celui de Florence Pugh, qui coordonne émotionnellment la montée en puissance des événements, jusqu’au plan final. Car tout part de ses propres émotions, meurtriers et trahies, pour lui permettre finalement de (re)trouver sa famille, qui pourra la comprendre. Et même si l’on aurait peut-être souhaité une autre tournure quant au devenir des victimes, Ari Aster prouve qu’il possédait dès le départ les cartes en main, dans l’optique de nous montrer une conclusion à la fois des plus pessimistes et libératrices.

D’une richesse visuelle folle, et d’une mise en scène chirurgicale, cette expérience tendue et intrigante, qui rappelle par moment « The Wicker Man » de Robin Hardy (1973), déroute sur la longueur autant qu’elle libère ses tentacules à mesure des festivités contées, pour alors nous confronter en une curieuse thérapie frontale et hallucinatoire, venant bousculer nos convictions les plus profondes.
Voilà du cinéma qui ne laissera pas indifférent, et qui ne plaira pas à tout le monde. L’horreur commence en tout cas à se montrer sous un nouveau visage, grâce aux talents de ces cinéastes indépendants, qui donnent une nouvelle définition de l’horreur, elle qui vient de nous et de ce que nous sommes, et non pas de poupées démoniaques ou autres fantômes. Et que ce que cela fait du bien !
Le prochain rendez-vous à ne surtout pas louper sera d’ailleurs celui de « The Lighthouse », de Roberts Eggers, à l’automne prochain. On s’impatiente déjà !



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