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CINECURE
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Neeraj Ghaywan (2015)
Masaan
Sortie le 16 septembre 2015
Article mis en ligne le 30 août 2015

par Charles De Clercq

Synopsis : Bénarès, la cité sainte au bord du Gange, punit cruellement ceux qui jouent avec les traditions morales. Deepak, un jeune homme issu des quartiers pauvres, tombe éperdument amoureux d’une jeune fille qui n’est pas de la même caste que lui. Devi, une étudiante à la dérive, vit torturée par un sentiment de culpabilité suite à la disparition de son premier amant. Pathak, père de Devi, victime de la corruption policière, perd son sens moral pour de l’argent, et Jhonta, un jeune garçon, cherche une famille. Des personnages en quête d’un avenir meilleur, écartelés entre le tourbillon de la modernité et la fidélité aux traditions, dont les parcours vont bientôt se croiser…

Acteurs : Richa Chadda, Saurabh Chadhary, Sanjay Mishra, Vicky Kaushal, Shweta Tripathi, Nikhil Sahni.

Les spectateurs français ont déjà eu l’occasion de découvrir ce film en fin juin 2015 après sa projection cannoise dans le cadre d’Un certain regard. Et celui que nous propose Neeraj Ghaywan est tout sauf celui d’un Bollywood [1] ! Masaan est un film émouvant, tendre, de toute beauté mais aussi d’une immense tristesse et fatalité.

Plusieurs thèmes sont abordés : la place de la femme dans la société indienne, la corruption policière, les relations interdites entre membres de castes différentes, l’honneur ou le déshonneur familial, le rapport au travail, à l’argent, à certaines traditions liées au métier. Beaucoup d’éléments sont propres à cette culture que le risque est grand de ne pas en voir tous les enjeux et de cantonner le film au registre pessimiste et/ou le cantonner dans le sentimentalisme. Nous croisons des personnages qui ne devraient pas se fréquenter et encore moins avoir une aventure et encore moins une relation amoureuse. Chacun est cantonné à sa caste, à son destin et il n’est pas possible d’en sortir (sinon par la mort, dont le suicide dans un cas). Nous assistons ainsi impuissants à la vie de certains intouchables condamnés à ne s’occuper que des morts, des cadavres qu’ils doivent incinérer.

Itinéraires croisés d’hommes et de femmes qui ne devraient pas se rencontrer et encore moins se toucher. Il y a des chocs frontaux entre une culture ancienne et la modernité. J’ai pensé à certains films de Satyajit Ray qui seraient transposés à l’ère du smartphone et en particulier à Apu Sansar (Le monde d’Apu, Satyajit Ray, 1959) et la scène où Apurba déchire et jette au vent son manuscrit : j’ai fait le lien avec une bague fatale qui est jetée à l’eau (mais bague qui aura encore un rôle dans l’histoire [2]) !

Après la vidéo, vous trouverez un glossaire et des éléments explicatifs. Ils ne sont pas nécessaire pour appréhender le film mais ils pourront apporter des éclaircissements à qui le souhaite avant... ou après avoir vu le film !

Masaan : Trailer HD VO st fr

Bénarès, la cité sainte au bord du Gange, punit cruellement ceux qui jouent avec les traditions morales. Deepak, un jeune homme issu des quartiers pauvres, tombe éperdument amoureux d’une jeune fille qui n’est...
cinebel

Un glossaire pour aller jusqu’en Inde...
(d’après le dossier presse du distributeur français)

Vârânasî la ville sainte et le Gange

Mark Twain, célèbre auteur américain et indophile, disait de la ville sainte Vârânasî (renommée Bénarès par les britanniques), « Bénarès est plus vieille que l’histoire, plus vieille que la tradition, plus vieille même que la légende, et elle a l’air d’être plus vieille que les trois réunies ».
Vârânasî, centre d’études théologiques, l’un des 7 hauts lieux de pèlerinage pour la communauté hindoue, est citée dans les textes sacrés des épopées mythologiques « Mahabharata » et « Ramayana », écrits plusieurs siècles avant l’ère chrétienne.
Selon la mythologie, le fleuve sacré Gange aurait pris sa source dans la chevelure d’un des principaux dieux hindous, Shiva, dieu de la destruction, de la création du nouveau monde, et seigneur des lieux de crémation. Il était alors normal que Vârânasî soit sous la protection du dieu Shiva.
Pour tout croyant, le Gange symbolise le moyen d’accéder de son vivant à l’ablution, par le biais du bain sacré, puis un moyen de se purifier par la prière et enfin, sous réserve d’avoir mené une vie vertueuse, de se réincarner dans une caste supérieure grâce au rite de passage que constitue la crémation.

Le gath

Le terme « ghat » désigne les escaliers aménagés qui mènent aux berges du fleuve sacré où ont lieu les baignades, les prières ainsi que les nombreuses crémations quotidiennes. Vârânasî compte environ une centaine de ghats aux noms différents ; on estime à environ 30 000 le nombre de crémations qui s’y déroulent par an. Un certain nombre de ghats sont la propriété privée de familles fortunées et de Maharadjas depuis plusieurs générations. Ces derniers les ont aménagés en construisant de somptueux édifices ainsi que des temples aux styles architecturaux variés. Autour de ces pratiques religieuses s’est créée une véritable industrie qui a ses propres codes. La crémation, acte considéré comme impur, est une tâche exclusivement allouée à la caste des intouchables ou dalits.

Bonus Day

Sur le ghat, la personne dont c’est le Bonus Day reçoit tous les gains générés par toutes les crémations du jour.
Par exemple : disons que c’est mon jour de bonus et que vous êtes l’un des ouvriers sur le ghat. Si vous facturez 600 dollars pour incinérer un corps, 500 seront pour moi et 100 pour vous. Admettons qu’il y ait 100 corps incinérés ce jour, alors je récolte plus de 100X500 dollars de bonus. Ce jour de Bonus est une sorte de bien intangible, transmis au fil des ans. Ainsi, si j’ai 2 jours de bonus par an et que je prévois d’avoir deux fils, mes deux fils vont hériter d’un jour de bonus par an chacun. Telle est la logique du Bonus Day.

L’inde et les castes

L’Inde, la plus grande démocratie du monde à être tournée vers l’innovation, est aussi l’un des plus anciens foyers de civilisation, ainsi que le berceau de plusieurs religions dont l’hindouisme (pratiqué par plus de 80% de la population), le jainisme, le sikhisme et le bouddhisme. La place de la religion dans la vie quotidienne est centrale. Elle régit, de la naissance à la mort, chaque étape cruciale de l’existence (par exemple le mariage) par le biais de codes, rites, rituels, cérémoniaux, basés sur un calendrier lunaire selon lequel l’astrologie détermine chaque activité. Le système sociétal est donc extrêmement complexe.

La hiérarchie rigoureuse, endogame, injuste puisque héréditaire, du système des castes (division de la population en classes) impose des lois intransigeantes qui déterminent la destinée professionnelle d’un individu dès sa naissance. La société hindoue se compose principalement de 4 castes associées à des catégories socio-professionnelles :

  • la caste la plus élevée des Brahmanes, constituée de prêtres et d’enseignants
  • Kshatriya, dont dépendent des princes, rois et guerriers
  • Vaishyas, celle des commerçants et agriculteurs
  • les Shudras, ou caste des serviteurs
  • Enfin, 25 % de la population indienne fait partie d’une cinquième caste, celle des intouchables ou dalits (opprimés). Gandhi les surnommait Harijan, « les enfants du dieu Vishnu ».

La société a longtemps pénalisé les plus défavorisés en les cantonnant aux tâches les plus ingrates, telles que balayer les rues, nettoyer les sanitaires, laver du linge ou s’occuper des crémations. De quoi argumenter la lutte menée par la population concernée pour retrouver une dignité humaine. En légiférant sur l’abolition de cette stigmatisation, la constitution a pu apporter des éléments de réponse à cette injustice.

La hiérarchisation de la population est intimement liée au cycle de la vie et de la mort, ainsi qu’à la notion de réincarnation, qui fait partie des croyances fondamentales de l’hindouisme. Selon ces croyances, l’âme, après la mort d’un homme, prend la forme d’un autre être vivant.

La réincarnation (sous forme animale, végétale ou humaine dans une caste plus privilégiée) est prédéterminée en fonction des actes menés par la personne au cours de sa vie antérieure, c’est-à-dire de son Karma. La délivrance ultime de ce cycle perpétuel est conditionnée par les diverses actions conduites durant la vie, et ne peut être accordée que par le tout puissant dieu Brahman qui lui seul a le pouvoir de briser le cycle des réincarnations.

L’amour, l’adultère et les codes de la relation amoureuse au sein de la société hindoue.

Toutes les étapes de la vie d’un hindou sont régies par des règles imposées d’une part par les textes religieux, d’autre part par la société en tant que telle. Les actes de se marier, et même de s’aimer, doivent obéir à ces règles. Le flirt et les relations sexuelles hors mariage ne sont pas autorisés. Le mariage est arrangé par les parents avec un ou une prétendant(e) de caste similaire. S’aimer, avoir des relations sexuelles sont des choses envisageables une fois seulement que les deux personnes sont unies par les liens sacrés du mariage.

Bien que la société soit en pleine mutation, que la femme indienne moderne soit cultivée, ait fait des études, ait un métier et soit de plus en plus souvent financièrement indépendante, la question du mariage reste la même : les traditions ancestrales éclipsent toujours tout le reste, en imposant l’ordre moral.

Il apparaît donc tout à fait normal que les parents choisissent un(e) époux/ épouse à leur enfant, et que le jeune couple, alors parfaitement étranger l’un à l’autre, attende le moment du mariage pour consommer cet amour imposé. Transgresser ces règles conduit irrémédiablement à une sanction extrêmement lourde qui se traduit en premier lieu par la notion du déshonneur vis-à-vis de la société, puis par le rejet de sa propre famille, et enfin par une mise à l’écart, véritable ostracisation qui conduit souvent au suicide, tant l’amour interdit reste associé à la souffrance et à la mort.

Internet, Facebook et autres sites de rencontres sont autant de moyens dont raffole la génération actuelle en quête de soi, dans un pays déchiré entre rêve de modernité possible grâce aux nouvelles technologies et poids de traditions millénaires, entravant l’émancipation des êtres humains en les privant de leur liberté fondamentale, les gardant prisonniers d’un cycle perpétuel et sans espoir d’échappatoire…




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