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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Gaspar Noé (2015)
Love
Sortie le 29 juillet 2015
Article mis en ligne le 2 juillet 2015

par Charles De Clercq

Synopsis : Un 1er janvier au matin, le téléphone sonne. Murphy, 25 ans, se réveille entouré de sa jeune femme et de son enfant de deux ans. Il écoute son répondeur. Sur le message, la mère d’Electra lui demande, très inquiète, s’il n’a pas eu de nouvelle de sa fille disparue depuis longtemps. Elle craint qu’il lui soit arrivé un accident grave. Au cours d’une longue journée pluvieuse, Murphy va se retrouver seul dans son appartement à se remémorer sa plus grande histoire d’amour, deux ans avec Electra. Une passion contenant toutes sortes de promesses, de jeux, d’excès et d’erreurs…

Acteurs : Karl Glusman, Aomi Muyock, Klara Kristin, Juan Saavedra, Jean Couteau, Vincent Maraval.

 Des acteurs, actrices et dialogues banals

Les actrices débutantes recrutées en boîte de nuit, à la beauté simple et ordinaire ; un acteur américain avec peu de films à son actif qui pourrait être monsieur tout le monde, sauf peut-être les dimensions de son sexe [1]. Des gens comme tout le monde, sans talents particuliers et aux dialogues d’une simplicité désarmante. Ce que reprochent d’ailleurs certains de mes confrères. Or, c’est justement ce qui m’a séduit dans ce film. Le choix des acteurs qui ne sont pas les top modèles ou les étalons des films pornos pour commencer. Ensuite, ils parlent comme tout le monde, donc pas comme dans les films de Woody Allen ou comme Esther et Paul Dedalus dans Trois souvenirs de ma jeunesse ! Mais vous le croyez, vous que l’on se parle au lit comme des professeurs d’Université ? Est-ce que, dans ces situations, celles-là même où les humains se donnent parfois des noms d’animaux !, la majorité des conversations, même desdits profs n’est pas d’une désolante, voire d’une affligeante banalité ? Est-ce que nos journées ne se terminent pas souvent par le constat : « Qu’est-ce que j’ai bien pu faire aujourd’hui qui mérite d’être gravé dans la pierre pour le futur ? » Tels sont le couple et les protagonistes du film de Gaspar Noé ! Si le film n’est pas exempt de défauts et ma note « symbolique » est un clin d’oeil au thème sexuel du film, il a ceci pour lui qu’il nous présente - notamment, car le film ne se cantonne pas à des scènes de sexe - ce qui peut se passer dans la chambre à coucher de jeunes amants, tout du moins vus, observés, montrés avec un regard masculin et même machiste (Voir mes réserves plus bas dans cet article !). Noé nous propose ici les Chroniques sexuelles d’un couple d’aujourd’hui [2]...

 Un film sulfureux ?

Love a été précédé d’une réputation sulfureuse. Gaspar Noé, son réalisateur, avait déjà marqué les esprits avec Irréversible en 2002 et Enter the Void en 2010, films qui mêlaient la violence et le sexe jusqu’au malaise. Le réalisateur argentin réitère avec ce qu’il appelle un « mélodrame sexuel » et d’autres un film « pornographique » [3]. Qu’en est-il exactement ?

Après avoir vu le film qui a fait tant de buzz sur la Toile et dans les médias, j’aimerais reprendre les paroles de Junie dans Britannicus [4] : J’ose dire cependant que ce film n’a mérité ni cet excès d’honneur ni cette indignité, citation que j’avais déjà utilisée pour The Interview.

 Une mise en abime

Nous sommes dans la droite ligne des univers de Gaspar Noé et il y a bien pis comme films qui sortent aujourd’hui. De quoi s’agit-il ? En quelque sorte d’un huis clos, avec une unité de temps, de lieu et d’action ! Ceux qui ont vu le film récuseront cette description, car c’est tout sauf un huis clos et il n’y a pas les trois « unités » classiques. Je m’explique donc : le film nous convie à faire mémoire d’une histoire d’amour, une passion dévorante qui a duré deux ans. Et nous la voyons se déployer à l’écran, mais tout cela se passe durant une journée où Murphy est seul dans son appartement. Les souvenirs sont donc des flashbacks et il semble même y avoir des flashbacks à l’intérieur de ceux-ci !

Le film est également un jeu de miroir et une mise en abime du réalisateur et de son projet cinématographique. Le protagoniste principal, Murphy (et le film fait référence à la loi de Murphy) explique à Electra (un lien avec le complexe d’Electre ?) qu’il désire réaliser un film sur l’amour en y incluant ce qui en fait partie : « le sexe ». Bien plus lorsqu’il rêve d’avoir un enfant, ils choisissent comme prénom, s’il s’agit d’un garçon : « Gaspar ». Par ailleurs, l’amant précédent d’Electra, propriétaire d’une galerie d’art s’appelle Noé et est joué par le réalisateur lui-même.

 Murphy est Gaspar ?

Love est donc, d’une certaine manière, son propre objet puisque nous voyons à l’écran la réalisation du film de Murphy. Dès le départ, nous sommes dans le bain : pendant plusieurs minutes, nous voyons le couple d’acteurs Karl Glusman et Aomi Muyock dans leur lit, celle-ci masturbant celui-là. Difficile d’être plus explicite que cela dans ma chronique et il faut bien appeler un chat, un chat ! Nous aurons donc droit à plusieurs reprises à d’autres plans plus explicites les uns que les autres : fellations, cunnilingus, pénétrations. Parfois en assez gros plans, parfois en plans moyens et souvent avec beaucoup de tendresse. La caméra semble amoureuse de ses acteurs et actrices et le « clou » du film consiste en scène de triolisme où Murphy répond au fantasme d’Electra qui aimerait avoir une relation sexuelle avec une blonde aux yeux bleus. C’est justement le fantasme de Murphy. Tous deux accepteront de le concrétiser et hormis la question éthique (je suis content que le film sorte durant les vacances, car il m’aurait été difficile d’en parler sur les antennes de RCF au vu de notre auditoire très familial) cette relation triangulaire sera très bien filmée. C’est une chorégraphie et un ballet des corps qui nous sont proposés à l’écran. Une voix off, celle de Murphy, nous accompagne durant le film pour nous indiquer, parfois de façon crue et explicite ses états d’âme, de corps et de sexe. Parfois la « philosophie » est de comptoir, mais, à certains moments, l’émotion et la tendresse sont présentes.

 Et les scènes de sexe ?

Tout cela est bien beau, mais qu’en est-il des scènes de sexe ? C’est bien là tout l’enjeu du film. Il s’agit de relations sexuelles, protégées certes, mais non simulées, donc explicites et probablement sans « doublure sexe » comme dans Antechrist ou Nymphomaniac, de Lars Von Trier ou La Vie de Jésus (pas « notre » Jésus, mais un personnage qui porte ce nom) de Bruno Dumont (1997), par exemple. Certains de mes amis critiques estimaient que toutes les conditions « techniques » étaient réunies pour classer le film dans la case « pornographique » ajoutant même que c’en était fini pour l’acteur. J’y reviendrai. Nous sommes donc dans les mêmes conditions que Turks fruit (Turkish Délices) de Paul Verhoeven (1973), Nine Songs de Michael Winterbottom (2004) ou Shortbus de John Cameron Mitchell (2006) [5], et beaucoup plus tôt, en 1976, L’Empire des sens (Ai no corrida), d’Oshima... parmi d’autres films où les acteurs ont réellement pratiqué du sexe non simulé et sans doublure [6].

 Quid du sexe non simulé ?

Cette question est évoquée dans les bonus du DVD consacré à Glory Hole, court métrage de Guillaume Foirest (2006), tourné dans un club libertin du sud de la France. Il s’agissait de son travail de fin d’études de réalisateur. Aïssa Bussetta, son acteur principal (qui a tourné d’autres films depuis !) exprime dans une interview que les acteurs considèrent leur personne comme un appartement dans lequel certaines pièces sont interdites. Sa métaphore vise ici le fait de filmer le (son) sexe. Il précise alors qu’il souhaite, comme acteur, répondre à ce challenge de « faire visiter toute la maison ». S’agissant du caractère intime de la chose, il posera la question de savoir ce qui l’est le plus : montrer le sexe d’un acteur ou ses larmes.

Il semblerait bien que Gaspar Noé aille dans ce sens, en tout cas à travers les dialogues de Murphy au sujet du film qu’il veut réaliser. Ici, le réalisateur va loin, très loin. Nous sommes aux frontières entre l’explicite et la provocation. Il y a un plan que l’on peut trouver too much : Electra masturbe Murphy... jusqu’à l’éjaculation et celle-ci est montrée avec une caméra à la verticale, pendant les quelques secondes qu’elle dure... et donc face au spectateur et tout cela en 3D ! De trop ? Je rejoins ici Nicolas Gilson qui écrit « S’il s’amuse d’une éjaculation frontale, il acte du geste au travers de sa signifiance : l’épuisement du corps et la jouissance qui s’évanouit en un instant. » N’hésitez pas à lire son article sur son site Un grand moment de ; il y prend d’autres pistes que les miennes pour présenter et critiquer Love.

 Un film « pornographique » ?

En tout cas, le plan dont il est question ci-avant et d’autres accentuent pour certains le caractère pornographique de Love, ce que je ne ferai pas. Annoncé comme un film conçu pour « faire bander les mecs et pleurer les nanas », j’ai l’impression que la première partie du contrat ou de l’assertion n’est pas remplie/vérifiée. C’est que le film n’est pas excitant ! A la limite, la voix off ou la musique sont plus génératrices d’émotions. Nous sommes loin de l’explicite du « travail pornographique » [7]. L’image est tout en tendresse, avec des couleurs désaturées proche parfois du noir et blanc, sans la lumière crue des films « pornos » où les acteurs « jouent » pour le spectateur/voyeur. Il n’en est rien ici et c’est une tendresse intime et complice qui nous est donnée à voir, comme probablement dans la chambre de nombreux amoureux ! Il y a des analogies avec les approches de Travis Mathews (qui a réalisé dernièrement Interior Leather Bar avec James Franco au format quasi-documentaire) dans I Want Your Love ou dans sa série de documentaires In Their Room, mais là, nous sommes dans le cadre de relations homosexuelles.

Love nous montre aussi les dérives de la relation et, selon la loi de Murphy, quand cela va mal, cela peut aller plus mal. C’est à découvrir - ou pas - à l’écran et en 3D. A titre personnel, à part quelques « effets » (un peu comme si Gaspar Noé jouait à l’adolescent provocateur) particuliers, le relief ne m’a pas paru indispensable, d’autant qu’il assombrit une image déjà sombre.

 Des réserves morales...

Le film est interdit aux moins de 16 ans (et la France parle d’étendre l’interdiction aux moins de 18, soit carrément le classer comme X [8] [9]). Je ne publie pas de photos ni de bande-annonce. Tout cela se trouve facilement sur la Toile. L’interdiction est justifiée, mais ne nous leurrons pas, un certain nombre de jeunes auront vu des séquences autrement plus explicites sur Internet. Ce n’est pas une raison pour braver l’interdiction, mais occasion de réfléchir à ce que nous choisissons de voir ou pas dans nos divers médias. Après tout, qu’est-ce qui est plus obscène : un sexe qui éjacule lors d’une relation amoureuse ou des humains que l’on décapite, noie ou brûle au nom de la religion ?

En revanche, ce qui me dérange beaucoup plus au plan éthique et moral, ce sont certaines dimensions machiste, homophobe et transphobe du film, qui ne devraient cependant pas empêcher d’aller le voir.
Ainsi,

  • le fantasme attribué par le réalisateur à Electra (avoir une relation avec une autre femme) est typiquement masculin ;
  • ou lorsque Murphy dit de son fils Gaspar qu’il espère qu’il ne deviendra pas gay
  • et encore lorsque le réalisateur introduit un plan totalement inutile avec un transexuel qu’il caricature et dévalorise à l’écran.

 D’autres points de vue

N’hésitez pas à lire d’autres critiques que la mienne qui est partiale et veut dépasser ce film particulier pour tenter d’aborder les questions relatives au rapport avec le corps et le sexe dans le cinéma :



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