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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Bouli Lanners
Les premiers, les derniers
Sortie le 24 février 2016
Article mis en ligne le 18 janvier 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Dans une plaine infinie balayée par le vent, Cochise et Gilou, deux inséparables chasseurs de prime, sont à la recherche d’un téléphone volé au contenu sensible. Leur chemin va croiser celui d’Esther et Willy, un couple en cavale. Et si c’était la fin du monde ? Dans cette petite ville perdue où tout le monde échoue, retrouveront-ils ce que la nature humaine a de meilleur ? Ce sont peut-être les derniers hommes, mais ils ne sont pas très différents des premiers.

Acteurs : Bouli Lanners, Albert Dupontel, Suzanne Clément, David Murgia, Max von Sydow, Michael Lonsdale, Serge Riaboukine.

Interview de Bouli Lanners (au festival du Film d’Amour de Mons) :

 Un film religieux ?

Quelques-uns qui avaient déjà vu le film de Bouli Lanners attirèrent mon attention sur le caractère religieux de son dernier film, d’autant plus que je suis certes critique cinéma mais aussi prêtre, au service d’une radio chrétienne et d’un hebdomadaire catholique. Et pourtant, ce n’est pas cet aspect du film qui m’a marqué en premier lieu. Non pas qu’il soit absent, il est bien présent, mais il est second et pas secondaire pourtant.

Ce qui m’a touché, marqué, ému et troublé dès les premières images, ce sont d’abord celles de lignes horizontales qui zébraient l’écran, en particulier une superstructure en béton qui traversait les campagnes et les bois sans que je puisse identifier ce qui était à la fois massif, fin et aérien. Impossible de localiser la chose à part quelques réminiscences qui effleuraient à la mémoire apportant une très légère sensation de « déjà-vu » et, en même temps un cri du cœur de cinéphile : bravo pour le choix des lieux et des décors ! Pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus, il y a là, notamment, la voie d’essai de l’aérotrain d’Orléans, abandonnée en 1977, mais jamais détruite parce que le coût aurait été prohibitif ! Et, pour le coup, on saura gré à ceux qui ont entamé ces travaux inutiles de les avoir laissés sur place... nous permettant de découvrir un décor flippant s’il en est.

 La fin du monde ?

Il y avait aussi cette mention de fin du monde dans la présentation du film. La fin du monde, cela devait intéresser le prêtre catholique que je suis. C’est une chose que l’on prie chaque dimanche, que la fin du monde arrive pour que le Christ remette le monde à son père. Certes, on ne le dit pas comme cela, on ne va pas faire peur au peuple de Dieu, c’est bon pour le moyen-âge, d’autant que des fidèles me disent « monsieur l’abbé, la fin du monde, même pour et avec Dieu, le plus tard possible ». En réalité, me doutant que nous n’aurions pas affaire à un film apocalyptique comme certains blockbusters américains, j’attendais autre chose que les décors et l’ambiance du film laissaient affleurer au fil du récit. Si les mots n’étaient prononcés - si j’ai bon souvenir - qu’une seule fois par le jeune couple, Willy (David Murgia) et Esther (Auorore Broutin) l’ambiance était là et l’absence d’explications n’était pas sans m’amener sur le terrain du film réalisé par les frères Larrieu en 2009, Les derniers jours du monde.

 Les derniers...

Ce sont là des mots bibliques par excellence, le début et la fin, l’alpha et l’omega. Certes, mais avant cela il y a deux couples. Tout d’abord Gilou (Bouli Lanners) et Cochise (Albert Dupontel) que je vois comme les derniers ! Ils sont ici chasseurs de prime. A l’image de leurs prédécesseurs dans un western, ils font un boulot qui frise la légalité. Ils ne chassent pas ici des truands, mais de l’information, ou plutôt un téléphone sophistiqué qui contient des choses qui doivent être tues, scellées tant elles sont sensibles. Cette quête, c’est de cela qu’il s’agit, va les conduire à de bien singulières aventures dans la Beauce et de tout aussi singulières rencontres. (Imaginez ainsi une momie, un patron de maison d’hôte, un croque-mort, des brigands...). Ils sont des durs, même si l’un d’eux, Gilou, est fragile et a des ennuis de santé.

 Les premiers

Ensuite, un couple de jeunes qui sentent venir la fin du monde ? Celle-ci est-elle cosmique ou ne s’agit-il que de leur monde à eux ? Peu importe. Lui, Willy a le téléphone, mais ne sait pas ce qu’il a entre les mains. Ils ne fuient donc pas devant les chasseurs de prime, mais sont plutôt en quête comme eux. C’est que la fragile et terrorisée Esther cherche son enfant, placé en institution. Elle n’a pas le droit de visite. Eux aussi feront d’étonnantes rencontres. Ainsi avec Jésus soi-même (Philippe Rebbot) et si d’aventure son nom ne suffit pas, l’évangile nous dit « regardez mes mains ». Ici, l’une d’elles suffit à nous éclairer et à nous faire passer la lumière du ciel (vous comprendrez à l’écran). Un Jésus qui ne devrait pas plaire à tout le monde selon le réalisateur puisqu’il ne prend pas l’épée ou le glaive... mais une arme à feu !

 Jésus en mode western !

Oui, vous ne rêvez pas, Jésus est bien présent dans le film et il a pris visage et barbe humaine et il est sauveur de ses nouveaux amis, se confrontant avec des méchants de ce monde. Oui, parce qu’il y a des méchants dont l’un se donne à connaître dans une usine abandonnée. Mais Jésus on ne le reconnait pas du premier coup, n’est-ce pas. Et c’est d’abord aux paumés qu’il se donne à voir, ceux-là mêmes qui, tel le mythique couple originel, vont reconstruire un monde que l’on espère meilleur. Ceux-là sont fragiles, hors champ et hors cadre, pas bien dans leurs oripeaux (regardez la tenue beaucoup trop grande de Willy qui en fait un pygmée à l’écran alors que c’est un géant à l’intérieur !). Jésus sauve donc, pas comme on l’y attend, pas comme les bonnes âmes le pensent même si elles rêvent d’un Dieu vengeur qui viendrait « flinguer le mal ». Ici, c’est dans le tragique du quotidien qu’il interviendra permettant d’ouvrir une destinée à un nouveau couple. On verra même sa croix. C’est ainsi que j’ai lu certaines images lorsque l’on rend à la terre le corps d’un défunt momifié. Derrière, une ligne de chemin de fer (et toujours ces lignes horizontales qui traversent l’image) et les poteaux forment une sorte de croix qui surplomberait les humains qui mettent un homme au tombeau.

 Construire des ponts

Alors, ces liens, ces ligatures que je fais ne sont peut-être pas celles voulues par le réalisateur, elles ne seront pas vues par tous, mais elles permettent de construire des ponts entre les hommes et dans le monde, à l’image de cette voie d’aérotrain abandonnée. Faire des ponts est une étymologie première, quasiment tombée aux oubliettes, du mot religion avec le sens de « relier ». Il renvoie à un sens très ancien et très matériel du mot : celui d’un noeud de paille. Elle évoque plus précisément ces noeuds de paille qui servaient, à l’époque romaine archaïque, à fixer les poutrelles des ponts, et dont on confiait l’exécution au chef des prêtres — qui deviendra de ce fait pontifex, pontife, faiseur de ponts. Ce chef des prêtres, du fait de sa plus grande familiarité avec les puissances surnaturelles, était en somme considéré comme le seul à pouvoir ériger impunément cette transgression dans le paysage : relier entre elles deux rives que les dieux eux-mêmes avaient pourtant pris la peine de séparer d’un infranchissable fossé — qu’il était donc extrêmement périlleux de vouloir franchir, en même temps qu’il était aussi drôlement commode, et peut-être même nécessaire, de pouvoir le faire... [1] Ici, Bouli Lanners noue des « noeuds de paille », relie les derniers d’un monde qui s’enfuit et prend le large aux premiers d’un nouveau monde à construire.

 Des temps d’arrêt... sur images

Cela passera par des temps d’arrêt : dans une usine, dans une maison d’hôte, devant une tombe ou dans un hôpital. Mais aussi par des rencontres, avec des forces du mal, des envoyés de forces destructrices, avec des vidéos qui tuent, avec un cadavre momifié, avec des vieillards porteurs de sens (Michaël Lonsdale et Max Von Sydow) et surtout avec Jésus soi-même qui vous tend la main.

Reconnaissons que le film déconcertera tant les croyants que ceux pour qui cela est parfaitement in-sensé ! Il casse la dynamique traditionnelle du récit, d’une histoire à raconter. L’intrigue est seconde, voire secondaire, par rapport aux lieux, aux ambiances, à l’atmosphère. Celle-ci est importante, car le film engendre un sentiment diffus d’angoisse, de mal-être jusqu’au malaise parfois. Il ne répond pas à toutes les questions, mais il fascine par ses images. Il faudra accepter de se laisser questionner pour rejoindre les intuitions très spirituelles que Bouli veut nous partager ainsi que sa tendresse pour ses personnages y compris celui qu’il interprète. N’est-il pas plus belle façon de vivre l’impératif évangélique d’aimer son prochain comme soi-même ? Pour aimer son prochain, pour aimer Cochise, mais aussi Willy, Esther et d’autres comme l’hôte Michael Lonsdale, Gilou devra accepter et découvrir qu’il est « aimable » au double sens du terme. Somme toute de découvrir une tendresse première, originelle, celle-là même qu’il vit à son niveau avec Gibus, qui l’anime donc, car c’est aussi découvrir qu’au plus profond de notre humanité, il y a un animal qui sommeille au sens le plus noble du terme.



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