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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Anne Fontaine
Les innocentes
Sortie le 9 mars 2016
Article mis en ligne le 6 février 2016

par Charles De Clercq

Synopsis : Pologne, décembre 1945. Mathilde Beaulieu, une jeune interne de la Croix-Rouge chargée de soigner les rescapés français avant leur rapatriement, est appelée au secours par une religieuse polonaise. D’abord réticente, Mathilde accepte finalement de la suivre dans son couvent où trente Bénédictines vivent coupées du monde. Elle découvre que plusieurs d’entre elles, violées par des soldats soviétiques, sont sur le point d’accoucher. Peu à peu, se nouent entre Mathilde, athée et rationaliste, et ces religieuses, attachées aux règles de leur vocation, des relations complexes que le danger, la clandestinité des soins et de nouveaux drames vont aiguiser...

Acteurs : Lou de Laâge, Agata Kulesza, Agata Buzek, Joanna Kulig, Vincent Macaigne.

Mises à jour :

 Faits de guerre et Mères !

Le destin de ces soeurs est hallucinant : selon les notes de Madeleine Pauliac, le médecin de la Croix-Rouge dont le film s’inspire, 25 d’entre elles ont été violées dans leur couvent – parfois plus de 40 fois d’affilée –, 20 ont été tuées, et 5 ont dû affronter des grossesses. Cela ne montre pas les soldats soviétiques sous un aspect flatteur, mais c’est la vérité historique ; une vérité que la Pologne n’ébruite pas, mais qu’un certain nombre d’historiens connaissent. Ces militaires n’avaient pas le sentiment d’accomplir des actes répréhensibles : ils y étaient autorisés par leurs supérieurs en récompense de leurs efforts. La brutalité dont ils faisaient preuve est malheureusement toujours d’actualité. Dans les pays en guerre, les femmes continuent de la subir. [1].

Cette présentation, en exergue de la critique du film pour découvrir (au sens, ici, d’enlever la couverture) des faits réels, horribles qui ont été tus, « couverts » par une silencieuse chape de plomb. Pour les besoins du film, il est probable que l’histoire est adaptée, nous n’oserons pas écrire « romancée ». Anne Fontaine nous avait déjà confronté à une question d’éthique maternelle avec Two Mothers (Perfect Mothers) en 2013. Le sujet était difficile... mais il ne s’agissait que de l’adaptation d’un roman. Ici nous sommes dans la vérité historique liée à un secret que l’on pourrait dire « confessionnel ».

 Des soldats violeurs !

Il y a les violeurs tout d’abord ! Outre qu’ils n’ont pas parlé - même si certains ont pu s’en vanter - ils pensaient avoir le droit de viol. Cela pose à nouveau la question, encore prégnante aujourd’hui, en Afrique, mais pas seulement, du « viol de guerre » (voir aussi sur ce thème l’excellent documentaire L’homme qui répare les femmes). C’est aussi l’horrible assurance du mâle, sa propension à abuser de la femme. Des événements récents viennent encore le rappeler à notre mémoire jusqu’à penser que des cours pourraient changer le cours des choses.

 Des religieuses enfermées...

Il y a ensuite les religieuses, des femmes, si mal nommées des « mères » ! C’est qu’elles ont renoncé à l’être - tout comme leurs pendants masculins, les « pères » - et à donner la vie. Bien plus leur corps est tabou, zone sacrée, intouchable. Et en ce ’lieu’ - si méconnu encore à l’époque - que ces femmes ne pouvaient toucher, se toucher, regarder, montrer, l’homme conquérant et violent va pénétrer cette intimité avec violence. Comment gérer cela, à la fois par rapport à elles-mêmes et leurs engagements, par rapport à l’extérieur, au-delà de la clôture et d’une société polonaise ultra catholique, psychorigide (est-ce que cela a vraiment changé avec le temps ?) qui ne pourrait comprendre et donc ne peut savoir. Il faut donc garder le secret, au mépris de la santé et des conséquences. Il y a des grossesses reconnues et subies, d’autres niées. Et quand viennent l’eau et le sang ? Quand vient la malédiction « tu enfanteras dans la douleur », que faut-il faire pour sortir de l’impasse ?

 Ouvrir des portes

Parmi ces religieuses, deux mères (two mothers) : l’une va tenter d’ouvrir la porte, au double-sens du terme. Il lui faudra franchir la clôture, pour qu’une rencontre puisse se faire avec une médecin, une interne, dans le secret. Une autre nonne, la mère supérieure, doit gérer un intérêt tout aussi supérieur, le silence absolu. Comment faire alors ? Comment transmettre de petites vies au-dehors, dans une nature hostile et froide ? Sinon en les confiant à Dieu ? Quel calvaire faut-il gravir et subir ? Est-ce qu’une eau bénite peut laver ces horreurs au regard de Dieu ?

Mathilde Beaulieu (soit Madeleine Pauliac, interprétée par Lou de Laâge), l’interne, athée, va devoir aller au-delà de ses compétences et au-delà de ses forces puisqu’elle devra, elle aussi, cacher quelque chose, ce « travail » de nuit (et l’accouchement n’est-il pas littéralement « travail » ?) au risque de subir les conséquences d’une ronde de nuit dans la campagne ! A ses côtés, un médecin juif (Vincent Macaigne) qui ignore tout du travail de sa subordonnée qui l’engagera dans un même combat. Il lui faudra faire appel au plus humain en lui alors même que les valeurs religieuses qu’il découvre lui sont totalement étrangères, voire inhumaines.

Enfin, quelle solution finale peut être trouvée lorsque sonne l’heure du départ ? Comment gérer ces naissances inattendues et offrir un chemin d’espérance ?

Ce sont ces questions que l’on pourra (se) poser à la vision de ce très beau film d’Anne Fontaine. Elle nous montre des chemins d’espérance dans le plus sordide et le plus inhumain. Ici, les acteurs et actrices sont au service d’un récit poignant dont la bande-son, en particulier le chant des religieuses, nous porte vers des sommets alors même que nous sommes aux portes des enfers !

 un peu d’histoire...

Cliquer sur le lien ci-après pour lire la présentation de Madeleine Pauliac par son neveu, Philippe Maynial (source : dossier presse).

Madeleine Pauliac

Madeleine Pauliac, 27 ans, médecin hospitalier à Paris, s’engage dans la résistance en ravitaillant des maquis et en prêtant son concours à des parachutistes alliés puis participe à la libération de Paris et à la campagne des Vosges et d’Alsace.

Début 1945, en tant que médecin-lieutenant des Forces françaises de l’Intérieur, elle part pour Moscou sous l’autorité du Général Catroux, ambassadeur de France à Moscou pour diriger la mission française de rapatriement.

La situation est dramatique en Pologne. Varsovie, ville martyre après 2 mois d’insurrection contre l’occupant allemand, entre août et octobre 1944, a été rasée causant la mort de 20 000 combattants et 180 000 civils. Ceci pendant que l’armée russe, présente en Pologne depuis janvier 1944, sur ordre de Staline restait l’arme au pied de l’autre côté de la Vistule. Au reflux de l’armée allemande et à la découverte de toutes les exactions commises par les Allemands, succèdera l’arrivée de l’armée rouge et de son administration provisoire des territoires libérés.

C’est dans ce contexte que Madeleine Pauliac est nommée, en avril 1945, médecin-chef de l’hôpital français de Varsovie en ruines, et chargée de la mission de rapatriement à la tête de la Croix-Rouge française. Elle va accomplir dans toute la Pologne et parfois en Union soviétique, plus de 200 missions avec l’Escadron bleu, unité de conductrices-ambulancières volontaires de la Croix-Rouge, pour rechercher, soigner et rapatrier les Français restés en Pologne. C’est dans ces circonstances qu’elle va découvrir l’horreur dans les maternités où les Russes avaient violé les accouchées et les futures accouchées, les viols individuels qui étaient légion et le viol collectif de religieuses dans un couvent. Elle va s’impliquer pour soigner ces femmes et les aider à libérer leur conscience et sauver le couvent. Madeleine Pauliac meurt accidentellement en mission en février 1946 à côté de Varsovie. Les Innocentes raconte cet épisode et son combat de femme pour sauver d’autres femmes.



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