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Greta Gerwig
Les filles du Docteur March
Sortie le 12 février 2020
Article mis en ligne le 17 février 2020

par Delphine Freyssinet

Synopsis : pendant la guerre de Sécession, leur père engagé auprès des Nordistes, quatre jeunes soeurs issues de la classe moyenne, font face aux difficultés de la vie quoti-dienne. Meg, la raisonnable, Jo, l’intrépide, Beth la charitable et Amy l’orgueilleuse vivent à Concord, dans le Massachusetts auprès de leur mère et leur fidèle domestique Hannah.

Casting : Saoirse Ronan, Emma Watson, Florence Pugh, Eliza Scanlen, Laura Dern, Ti-mothée Chalamet, Tracy Letts, Bob Odenkirk, James Norton, Louis Garrel, Chris Cooper, Meryl Streep.

La critique de Delphine

Quelle jeune fille ne s’est pas rêvée Jo en lisant pour la première fois « Les Quatre filles du docteur March » ? (tout comme, en parallèle, elle s’identifiait définitivement à Claude, au lieu de cette Annie mijaurée, soumise, bref exaspérante, dans « les aventures du Club des Cinq »). Little Women, ce classique de la littérature américaine offre sans conteste une grande possibilité d’identification grâce à ses 4 héroïnes bien définies. Tellement archétypes qu’elles en semblent presque stéréotypées. L’aînée, Margaret dite Meg, est pondérée, raisonnable, Joséphine dite Jo, est passionnée, intrépide, un vrai garçon manqué (comme elle rêve de l’être), Elisabeth dite Beth, de par sa position d’avant-dernière est observatrice, d’une grande maturité, et Amy la petite dernière est orgueilleuse, capri-cieuse, souffrant d’un complexe d’infériorité imaginaire vis-à-vis de ses soeurs.
Et pourtant, malgré leurs caractères dissemblables, une profonde solidarité les unit, ali-mentée par la dignité gaie, aimante et généreuse de leur mère surnommée Marmee.

Si la précédente version, il y a déjà 25 ans, avec Winona Ryder en Jo, Kirsten Dunst en Amy et Susan Sarandon en madame March, était un « doudou » réconfortant, par la vivacité, le talent et la personnalité de ses actrices, cette nouvelle adaptation nous offre, en prime, une relecture intéressante de par le féminisme qui l’imprègne, et par le choix narratif.

Greta Gerwig ne suit pas l’histoire de façon chronologique, mais mélange les deux temporalité du récit paru originellement en deux tomes - celles de l’enfance des soeurs et de leur passage à l’âge adulte. Et cet aller-retour incessant nous permet de redécouvrir des personnages et, à défaut de nous attacher à eux, de les comprendre : Amy en est le parfait exemple. On se souvenait de la petite peste égoïste, en rivalité perpétuelle avec Jo, on la découvre exigeante, lucide, passionnée, taisant son véritable amour craignant qu’elle ne soit qu’un lot de consolation.

Emma Watson, Saoirse Ronan, Eliza Scanlen et Florence Pugh - dans l’ordre de leurs personnages - sont époustouflantes, brillantes de virtuosité, de sensibilité, toujours justes, de même que Laura Dern (décidément dans tous les seconds rôles percutants cette année, de Big Little Lies à Marriage Story) en mère courage. Sans oublier le plaisir jubilatoire à voir Meryl Streep, en vieille tante féministe sans le vouloir avant l’heure.

A noter que de nombreuses critiques éreintent ce film pour son surplus de féminisme tandis que d’autres le raillent pour son absence de féminisme. Il faudrait savoir !

L’erreur vient certainement du fait qu’on souligne le « féminisme », quand il serait plus juste de parler de « féminismes ».
A chaque époque, ses luttes.

Jo, Amy et les autres, n’en sont pas à se battre pour élever un bébé toute seule, par PMA ou GPA, multiplier les amants, ou au contraire, exercer leur droit à l’avortement, ou revendiquer la présidence des Etats-Unis, non, elles sont tributaires des règles sociales de leur époque : l’Amérique puritaine du 19ème siècle ( même si sur ce point, l’Amérique du 21ème siècle n’a pas grand chose à lui envier, mais c’est un autre sujet). Le livre a été écrit en 1868 !
Une époque où une femme n’existe pas et ne peut survivre si elle n’est pas mariée.

Cette conscience aiguë du sort réservé au sexe dit faible, sous-tend tout le film.
De la première scène où Jo emprunte une phrase de Louisa May Alcott « l’argent est la finalité de son existence mercenaire » , en passant par celle où son éditeur lui conseille de « marier son héroïne avant la fin ou de la faire mourir, qu’importe » - c’est dire la valeur qu’on accordait au personnage féminin et à la femme dans son ensemble - à l’une des scènes les plus éclairantes : Amy explique à Laurie que « le mariage est un pacte social, un arrangement financier comme un autre » ; et là, Greta Gerwig a la bonne idée de souligner cette scène en soulignant que si Amy gagnait de l’argent, il serait la propriété de son mari, comme les enfants qu’ils auraient ensemble.

C’est en ce sens que ce film est féministe. Chacune des soeurs a sa voix/voie propre. La sérénité de Beth à l’approche de la mort, la force et la confiance qu’elle désire insuffler à Jo, nous fait redécouvrir ce personnage qui jusqu’à présent n’était, dans nos souvenirs, qu’un ressort dramatique de l’histoire. Le choix de Meg d’épouser un homme pauvre, est aussi une forme de féminisme. Elle l’épouse par amour, et même quand elle sera tiraillée par des désirs bien naturels de coquetterie, elle ose exprimer ses désirs, en toute franchise.

Et si le film est féministe, c’est aussi parce que l’amoureux de Jo, Friedrich Bhaer - Louis Garrel, collant parfaitement au manque de charisme de son personnage - est interprété par un acteur n’ayant pas l’air d’avoir 2 fois son âge comme dans la version précédente - Gabriel Byrne - exit, la figure du pygmalion paternaliste.

Last but not least, ce film est féministe dans le sens où il montre, pourrait-on dire, que l’homme est une femme comme les autres grâce au personnage masculin le plus intéres-sant enfin réhabilité : un Laurie compréhensif, encourageant, drôle, virevoltant, sensible, vibrant, incarné brillamment par Timothée Chalamet.

Alors oui, le film est classique - académique pour certain.e.s - mais avec des décors et une photo magnifiques, et une caméra qui aime et respecte ses acteurs et actrices talen-tueuses - les gros plans sur Jo - pourquoi bouder notre plaisir ?

C’est vrai, ces bons sentiments et cette bonne volonté féministes en feront ricaner ou ennuieront plus d’un. Et pourtant, n’allez pas croire que cette mentalité est désuète : quand encore aujourd’hui, une femme occupant brillamment un poste à responsabilités est systématiquement présentée comme « voici madame X, c’est la femme de monsieur Y… » ou qu’en France, une chroniqueuse télé assène « quand on est au SMIC, on ne di-vorce pas », on se remémore aussitôt la phrase de Simone de Beauvoir « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique ou religieuse pour que les droits des femmes soient re-mis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ».

https://www.youtube.com/embed/EzJrkZwZZEQ
[VOSTFR] Bande-annonce - Les Filles du Docteur March (2020) (Saoirse Ronan, Emma Watson...) - YouTube


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