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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Yvan Attal
Les choses humaines
Date de sortie : 01/12/2021
Article mis en ligne le 20 octobre 2021

par Charles De Clercq

Synopsis : Un jeune homme est accusé d’avoir violé une jeune femme. Qui est ce jeune homme et qui est cette jeune femme ? Est-il coupable ou est-il innocent ? Est-elle victime ou uniquement dans un désir de vengeance, comme l’affirme l’accusé. N’y a-t-il qu’une seule vérité ? Les choses humaines, interroge le monde contemporain, démonte la mécanique impitoyable de la machine judiciaire et nous confronte à nos propres peurs. D’après le roman « Les Choses Humaines » de Karine Tuil.

Acteurs : Charlotte Gainsbourg, Yvan Attal, Ben Attal, Mathieu Kassovitz, Pierre Arditi, Audrey Dana, Benjamin Lavernhe, Judith Chemla, Camille Razat

« Sa vie va être foutue ! La vie de qui ? »

En adaptant le roman « Les Choses Humaines » de Karine Tuil, Yvan Attal nous propose ce qui est probablement un de ses meilleurs films. Il s’agit d’une adaptation où le réalisateur « dégraisse » le roman en enlevant le gros du focus sur le père d’Alexandre et offre une structure qui n’est pas sans faire penser au récent The Last Duel (et il s’agit ici simplement du hasard du calendrier des sorties, car il est improbable que le réalisateur puisse avoir « copié » cela !).

Le film se déploie en trois volets : Lui, Elle, le procès. Ce sont trois regards différents portés par la caméra, mais aussi par les différents protagonistes sur un même événement que la caméra ne révélera pas. Sans vouloir spoiler le film, justement, ce qui s’est passé ou ne s’est pas passé est occulté, voilé, dans une sorte de chambre noire (en l’occurrence une cabane de jardin qui sert à stocker les poubelles). En quelque sorte une « boîte noire » de laquelle il est impossible de sortir un enregistrement, une boîte noire dont seuls Alexandre (Ben Attal, le fils du réalisateur) et Mila (Suzanne Jouannet) ont la clé. Une clé pour ouvrir ou plutôt fermer cette boîte dont eux deux seuls peuvent lire et connaître le contenu.

Il est important de ne pas dévoiler non plus le développement de l’intrigue, les points de vue à la fois proches, différents et contradictoires des deux protagonistes, l’intervention des tiers et des proches, ni le résultat du procès, même si celui-ci et le présent film, s’inspirent de très très libre façon d’une affaire américaine concernant un jeune homme de bonne famille et des incidences du « viol » sur sa carrière future. Si l’on guillemette ici le terme « viol », c’est parce que c’est là le noeud et l’enjeu de tout le récit. Et, par delà, de toutes les accusations d’abus sexuels qui adviennent aujourd’hui à la parole. Qu’est-ce que la vérité ? Qu’est-ce que le consentement ? Quelle est la lecture et la compréhension qu’en font l’une et l’autre partie ? Il ne s’agit donc pas ici de dédouaner l’homme violeur en discréditant la femme violée, mais de tenter la quête d’une indicible vérité. Sans témoin, c’est parole contre parole. Et si, dans l’immense majorité des cas, c’est la femme victime qui dit la vérité, il est des cas où celle-ci est plus trouble. Une « zone grise » comme le dira le père d’Alexandre (coureur de jupons invétéré). Une zone grise où certains voient une vengeance et d’autre une lecture différente d’un même événement. C’est aussi la question de l’avenir de l’une et de l’autre. Pour elle, le déshonneur, certainement. Pour lui, un avenir détruit, qu’il soit « coupable » ou pas.

Il s’est passé quelque chose. Elle et lui, lui et elle sont d’accord là-dessus. Le procès tentera de faire advenir la parole, une impossible parole de vérité. C’est le tragique d’une mauvaise décision, d’une interprétation, d’un jeu, d’un bizutage qui vont détruire deux êtres à jamais. Si le film ne nous montre pas « ce qui s’est passé », il en fait découvrir les préliminaires au cours de plusieurs flashbacks durant le procès. Et quand une porte s’ouvre pour que l’une et l’autre sortent du local, nous ne pourrons que conclure au gâchis de deux vies, dont l’une (celle d’Alexandre) est probablement formatée (à son corps défendant) par la vie de son père, mais aussi par toute la culture machiste qui impose à l’homme de toujours prouver sa virilité !

Mais il nous est donné de découvrir ici l’irréversibilité de nos actions, et son remède, le pardon. Ce sont des thèmes abordés par feue Mme Hannah Arendt dans son livre La condition de l’homme moderne (1958) où elle parle de l’action humaine et des risques de celle-ci (cliquer pour lire le texte ci-dessous qui n’est pas indispensable pour comprendre le film !!!). Pour en savoir plus, vous pouvez cliquer sur le lien ci-après (mais cette lecture n’est pas indispensable pour découvrir le film.


Imprévisibilité et irréversibilité !

Pour Mme Arendt, l’action est l’« activité » qui met directement en rapport les hommes sans la médiation des objets ni de la matière. Nous sommes dans le domaine des hommes agissants. Le pluriel est nécessaire parce qu’ici, la condition humaine est la pluralité. Il ne s’agit cependant pas du face à face intersubjectif relatif au domaine privé, car on se situe essentiellement dans la zone publique, collective. Ce sont DES hommes et non pas l’homme qui vivent sur terre et habitent le monde. Si tous les aspects de la condition humaine ont « à voir » de l’une ou l’autre façon avec le « politique », c’est la pluralité qui sera spécifiquement la condition de toute vie proprement politique. Toutefois, il y aura un renversement à la modernité. Ce sera l’ homo faber qui sera placé au sommet de l’échelle, ce que Marx théorisera a posteriori. Malheureusement Marx voit homo faber et non homo activus ! C’est pourquoi le travail sera ambigu chez Marx puisqu’il est à la fois source d’aliénation et de libération !

Pourtant, malgré la peur qu’il fait naître, l’agir serait la plus humaine des activités. L’auteur caractérise l’action par l’imprévisibilité et l’irréversibilité. Quand j’ai parlé et/ou agi (par exemple lancé un mouvement de grève à Dansk), je ne sais pas faire que je n’aie pas parlé ou agi d’une part, et je ne sais pas où cela conduira, d’autre part. En ce sens, le tragique de l’existence humaine est lié à l’irréversibilité de l’action.

Dans son étude sur l’action, l’auteur développe deux de ses caractéristiques : l’irréversibilité et l’imprévisibilité. Elle écrit ainsi : « contre l’irréversibilité et l’imprévisibilité du processus déclenché par l’action, le remède ne vient pas d’une autre faculté éventuellement supérieure, c’est l’une des virtualités de l’action elle-même. La rédemption possible de la situation d’irréversibilité - dans laquelle on ne peut défaire ce que l’on a fait, alors que l’on ne savait pas, que l’on ne pouvait pas savoir ce que l’on faisait - c’est la faculté de pardonner. Contre l’imprévisibilité, contre la chaotique incertitude de l’avenir, le remède se trouve dans la capacité de faire et de tenir des promesses. Ces deux facultés vont de pair : celle du pardon sert à supprimer les actes du passé, dont les ’fautes’ sont suspendues comme l’épée de Damoclès au-dessus de chaque génération nouvelle ; l’autre qui consiste à se lier par des promesses, sert à disposer dans cet océan d’incertitude qu’est l’avenir par définition, des îlots de sécurité sans lesquels aucune continuité, sans même parler de durée, ne serait possible dans les relations des hommes entre eux (p. 266) » .


Il faut mettre en avant le rôle des acteurs, premiers et seconds rôles et, en particulier, Benjamin Lavernhe dans le rôle du jeune avocat commis d’office. Enfin, deux petites remarques. Une première : dans plusieurs scènes en mode champ/contrechamp, le focus passe sur le visage de celui/celle qui parle, mais ce faisant la tête et la chevelure deviennent floues - ce qui est normal avec une grande ouverture d’objectif - mais ceux-ci viennent parasiter l’image. Ce n’est cependant que détail. Une seconde (c’est notre ancien métier de policier qui remonte à la surface) : la police débarque au petit matin chez Alexandre pour l’arrêter suite au « viol » qui a eu lieu durant la nuit. Or c’est au matin que Mila va déposer plainte à la police, puis voir une assistante psychologique, puis à l’hôpital pour les prélèvements. C’est donc incompatible avec l’arrestation (qui requiert en outre un mandat d’un juge). Il aurait plus logique que celle-ci se déroule le surlendemain, en faisant en sorte qu’Alexandre reste un jour de plus à Paris avant de retourner aux USA. Mais l’on suppose que l’intrigue passe ici avant le souci de vraisemblance (tout comme lors du témoignage de Mila, pénible pour elle, le président aurait dû requérir le huis clos !).



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