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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Ladj Ly
Les Misérables
Sortie du film le 20 novembre 2019
Article mis en ligne le 27 novembre 2019

par Julien Brnl

Signe(s) particulier(s) :

  • premier long métrage de Ladj Ly, qui a notamment œuvré auparavant dans le court métrage, notamment au sein du collectif Kourtrajmé, « Les Misérables » étant d’ailleurs l’adaptation d’un court métrage (2017) du même nom, lequel suivait le parcours difficile d’un membre de la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil (déjà avec Damien Bonnard, Djebril Didier Zonga et Alexis Manenti), dans une œuvre choc nommée au César du Meilleur court métrage en 2018 ;
  • film sélectionné pour représenter la France à l’Oscar du Meilleur film en langue étrangère 2020 ;
  • présenté en Sélection officielle au Festival de Cannes 2019, lequel en est reparti avec le Prix du Jury.

Résumé : Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris et Gwada, deux « Bacqueux » d’expérience. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone filme leurs moindres faits et gestes...

La critique de Julien

Ladj Ly : ce nom ne vous dit peut-être rien, et pourtant. Véritable phénomène depuis sa présentation et son triomphe à Cannes en mai dernier, son premier film « Les Misérables » est bien parti pour remporter tout le succès qu’il mérite. Passionné de vidéo, le cinéaste est à l’origine un membre du collectif Kourtrajmé (verlant de « court métrage ») créé en 1994 par Kim Chapiron, Toumani Sangaré et Romain Gavras. Réalisateur de webs-documentaires tel que « 365 jours à Clichy-Montfermeil », tourné pendant les émeutes dans les banlieues françaises en 2005, mais également de documentaires tels que « Go Fast Connexion », « 365 jours au Mali » (co-réalisé avec Saïd Belktibia) ou « À Voix Haute : la Force de la Parole » (co-réalisé avec Stéphane de Freitas), Ladj Ly est aussi un adepte du « copwatch », soit une pratique qui consiste à filmer tout ce qui se passe dans son quartier de Montfermeil, là où il a grandi. C’est d’ailleurs comme cela qu’il en est venu à assister et à enregistrer une bavure policière, laquelle a inspiré son court « Mes Misérables » (2017), aujourd’hui adapté en long.

Cette histoire remonte alors au soir du 14 octobre 2008, à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, alors qu’une voiture de police circulait rue Pablo-Picasso, dans la cité des Bosquets, essuyant des tirs de mortier de feu d’artifice, et des jets de pierres. Deux policiers de la BAC (Brigade Anti-Criminalité) pénétrèrent alors dans un des immeubles de la rue, et interpellèrent Abdoulaye Fofana (un étudiant âgé de 20 ans à l’époque), qui regardait un match de foot à la télévision dans l’appartement familial. Ils le soupçonneront alors d’être l’auteur des jets de projectiles, lequel sera alors menotté, et frappé par les policiers à quatre reprises pendant la descente de l’immeuble. Or, Ladj Ly se trouvait sur les lieux au moment des faits, lui qui filmera la scène, avant de la partager au magazine d’actualité française « Rue89 ». Deux ans après les événements, les deux policiers en question furent condamnés à quatre mois de prison avec sursis, ainsi qu’à une amende de 3 600 euros de dommages et intérêts à leur victime, Abdoulaye Fofana. Et le pire là-dedans, c’est que cette histoire n’est qu’un cas parmi tant d’autres...

Alors qu’il a créé l’école gratuite des métiers du cinéma « Kourtrajmé » en 2018 à Montfermeil, Ladj Ly frappe un grand coup avec son film, témoignant de l’urgence de la situation vécue dans les banlieues françaises. Alors que tout ce qui y est filmé est inspiré de choses qu’il a pu filmer, « Les Misérables » se regarde comme une fiction ultra-réaliste, directement inspirée des cop watchs de l’artiste. On y suit alors Stéphane (Damien Bonnard), quittant Cherbourg pour des raisons personnelles et intégrant la BAC de Montfermeil, où il fera équipe avec Chris (Alexis Manenti) et Gwada (Djibril Zonga). Mais dès sa première tournée journalière en trio, où ils rencontreront différentes personnes influentes dans le quartier, Stéphane découvrira les méthodes peu conventionnelles de Chris afin de se faire respecter...

Dans un premier temps, Ladj Ly prend le temps de nous immerger dans l’ambiance de son quartier, et le fait en évitant tout stéréotype du genre, sans porter de jugements définitifs sur ses personnages, car tous tentent ici de vivre en harmonie malgré leurs différends, afin que cela ne parte pas en vrille, dans un monde où l’homme met des contraintes là où il ne devrait pas y en avoir. Le cinéaste filme alors le rapport de l’enfance à ces quartiers, mais surtout entre les forces de l’ordre et ses habitants, et le constat est sans équivoque. Au travers de son trio de policiers, Ladj Ly nous montre que certains font ainsi très bien leur job, tandis que d’autres, non, et se prennent pour « la loi », s’exclamant de ne jamais devoir s’excuser, ayant toujours raison. Mais une fois nous avoir familiarisé avec les lieux, le réalisateur intensifie le jeu, suite à une altercation qui débordera, filmée par un drone. À partir de cet instant, « Les Misérables » monte en puissance, pour alors ne plus jamais relâcher la tension, et cela jusqu’à sa dernière image.

Écrit par ses soins, son scénario est un brûlot humaniste et politique dans lequel tout individu est victime d’un même système, et dont la responsabilité incombe à ceux qui définissent les fondements de la constitution, c’est-à-dire les politiciens, qui selon lui « ont laissé pourrir la situation, nous ont baratinés avec des dizaines de paroles et de plans ». Le message est clair. Et pourtant, l’une des forces de son film, malgré l’extrême violence de ce qu’il nous montre à petit feu, c’est de laisser place à de l’espoir, même s’il faudra, pour cela, passer par la colère des victimes. Ce que nous montre d’ailleurs le final, impartial, au travers d’une grandiose leçon et mise en scène de cinéma, laquelle nous fait comprendre que la limite est prête à être franchie, et que si tel devait en être le cas, alors il faudrait bien plus que de beaux discours pour arranger les choses, mais bien de véritables avancées en termes de vivre ensemble et de respect dans les banlieues, où coexistent parfois des dizaines de nationalités différentes, et cela dans les deux parties.

« Les Misérables » est loin d’être un film qui vend du rêve, mais bien une dure réalité, filmée de manière authentique, et avec un sens étonnement maîtrisé du cinéma. Véritable uppercut instantané, Ladj Ly réalise ici le premier film d’une trilogie sur la banlieue, qu’il souhaite réaliser avec la même équipe de production. On ne demande qu’à voir ça, surtout quand on sait que ce film n’aurait pas laissé indifférent le président de la République (selon les informations du Journal du Dimanche), « bouleversé par sa justesse », lequel aurait demandé à son gouvernement de rapidement « trouver des idées et d’agir pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers. »...



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