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Fyzal Boulifa
Les Damnées ne Pleurent Pas
Sortie du film le 12 juillet 2023
Article mis en ligne le 14 juillet 2023

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 106’

Acteurs : Aïcha Tebbae, Abdellah El Hajjouji, Antoine Reinartz, Moustapha Mokafih, Walid Chaibi, Sawsen Kotbi...

Synopsis :
Fuyant les scandales qui éclatent sur sa route, Fatima-Zahra traîne de ville en ville son fils Selim, âgé de 17 ans. Quand il découvre la vérité sur leur passé, Fatima-Zahra lui promet un nouveau départ. Ils arrivent alors à Tanger, où de nouvelles rencontres leur donnent l’espoir d’atteindre la légitimité tant recherchée. Mais ces aspirations menacent la relation fusionnelle qui les lie depuis toujours.

La critique de Julien

Du cinéaste britannique d’origine marocaine Fyzal Boulifa, nous nous souvenons encore très bien de son premier métrage, « LYNN + LUCY », lequel fut l’un des premiers films que nous avons découverts au cinéma lors de la première réouverture des salles de cinéma, en juillet 2020, à l’issue de la première vague de COVID-19. Drame claustrophobe, austère et lourd de sens qui analysait nos réactions en société, ce dernier racontait l’amitié complexe entre deux amies d’enfance (issues d’un milieu ouvrier) voler alors en éclats. Bien qu’il ait grandi en Angleterre, lui qui est né à Leicester, le jeune cinéaste a gardé un lien fort avec le Maroc, sa maman ayant grandi quant à elle dans la pauvreté, adoptée par une femme célibataire plus âgée, et de laquelle elle n’a reçu que peu d’éducation. En marge de la société, celle-ci a donc dû se démener pour exister, dans une société marocaine où le seul dispositif de sécurité sociale est l’institution patriarcale de la famille. Les personnes ayant donc vécu en marge de la société ont toujours intéressé Fyzal Boulifa, lequel raconte ici l’histoire d’une mère, Fatima-Zahra (Aicha Tebbae), laquelle, travailleuse du sexe, traîne de ville en ville son fils de 17 ans, Selim (Abdellah El Hajjouji), fuyant ainsi les scandales laissés sur son chemin. Alors qu’il n’a pas de papier d’identité, étant donné qu’il n’a pas de père « déclaré », Selim découvrira, d’une part, l’activité de sa mère et, d’autre part, la vérité sur leur passé. En parallèle, ils arriveront à Tanger, où ils feront, chacun de leur côté, de nouvelles rencontres. Mais celles-ci menaceront d’autant plus l’amour fragilisé qui les unit depuis toujours, étant donné les effets de l’oppression de la société marocaine (tant économique, sociale, affective que religieuse), ainsi que sur le poids de la honte qui en résultera.

Mêlant néo-réalisme et mélodrame, « Les Damnés ne Pleurent Pas » emprunte son titre à un mélodrame de Joan Crawford, datant des années 50, appuyant alors ici l’idée d’injustice et de cruauté d’un monde où tous n’ont pas les mêmes chances, tout en poursuivant leur chemin. Fyzal Boulifa filme alors des personnages instables et imprévisibles (joués par de formidables acteurs non professionnels), lequel s’est laissé guider par leur style de vie, et soif de liberté, sans s’imposer ainsi une intrigue conventionnelle, mais plutôt occasionnelle, au travers de laquelle « seul Dieu ne change pas », d’après les dires de ladite mère. Le cinéaste nous parle alors de la perception de l’illégalité (les choses soi-disant « contre-nature ») au Maroc, comme les relations sexuelles hors mariage, ou encore l’homosexualité (l’un des personnages secondaires dira qu’ils « s’en passe de belles chez les Chrétiens ».), et de la manière dont elles sont sévèrement punies, sans une once d’humanité, par des lois qui affectent, de façon disproportionnées, les plus pauvres, alors que mère et fils y seront ici confrontés vis-à-vis de leur destin. Or, cela questionne l’évolution de nos sociétés, alors que, à titre d’exemple, il n’y a pas encore si longtemps que ça, Tanger était considéré comme un havre des paix pour les homosexuels, dont les Anglais, lesquels subissaient quant à eux, et chez eux, des castrations chimiques (on pense, inévitablement, au cas Alan Turing).

« Les Damnées ne Pleurent Pas » est un drame qui nous plonge alors au cœur d’une relation maternelle ambiguë, dont la conduite va être dictée par des ressorts extérieurs, l’affectant au plus haut point, comme si les individus ne pouvaient finalement avancer vers une seule et unique voie possible, c’est-à-dire celle que la société attend de nous. Ne reste alors pour ceux-ci que le retour en arrière, pour calmer les choses, et ainsi rebrousser chemin, ensemble, pour mieux en prendre un nouveau. Sauf qu’on n’échappe pas à sa nature, et que l’on ne peut vivre heureux en se mentant à soi-même. Fyzal Boulifa touche dès lors avec cette histoire et ses acteurs, filmés au plus près de leur condition, de leur délicates union et survie, en quête, quelque part, d’identité, lesquels se cherchent, pour importe leur âge.

Bien plus riche de couleurs et de vie, la mise en scène de ce film dénote instantanément avec celle du précédent film du réalisateur, tandis que la musique de Nadah El Shazly s’avère singulière et parfois insolente, à l’image de ses deux anti-héros, vivant sans règles (ou bien les leurs). Celle-ci reflète ainsi la précarité, l’improvisation de leurs vies, avant de basculer vers une inéluctable émotion, plus mélodramatique, alors que chacun d’eux ressortira bien plus armés face aux regards, face à la honte, mais en accord avec eux-mêmes, laissant les mensonges derrière eux, à l’issue de ce chemin aussi chaotique que réaliste, et cela, peu importe, désormais, sur quel trottoir ils se trouveront, et le sens qu’ils prendront, chacun...



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