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CINECURE
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Yvan Attal
Les Choses Humaines
Sortie du film le 01 décembre 2021
Article mis en ligne le 7 décembre 2021

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 138’

Acteurs : Charlotte Gainsbourg, Ben Attal, Mathieu Kassovitz, Suzanne Jouannet, Pierre Arditi, Audrey Dana, Benjamin Lavernhe, Judith Chemla, Camille Razat...

Synopsis : :
Un jeune homme est accusé d’avoir violé une jeune femme. Qui est ce jeune homme et qui est cette jeune femme ? Est-il coupable ou est-il innocent ? Est-elle victime ou uniquement dans un désir de vengeance, comme l’affirme l’accusé. N’y a-t-il qu’une seule vérité ? Les choses humaines, interroge le monde contemporain, démonte la mécanique impitoyable de la machine judiciaire et nous confronte à nos propres peurs.

La critique de Julien

Adaptation cinématographique du roman du même nom de Karine Tuil, paru en 2019, lui-même inspiré d’une accusation de viol sur un campus de Stanford qui s’est déroulée en 2016, « Les Choses Humaines », dans une atmosphère post-Weinstein, permet à Yvan Attal de s’éloigner de la comédie pour filmer un genre de cinéma qu’il n’avait pas encore filmé, à savoir le film de prétoire. Tout en s’identifiant aux parents de ses deux protagonistes principaux, le cinéaste met une nouvelle fois en scène son fils aîné Ben, ainsi que son épouse, et mère de ce dernier, Charlotte Gainsbourg, tous deux ayant tourné ensemble dans son précédent film, « Mon Chien Stupide » (2019), lui-même également adapté du roman de John Fante, et publié à titre posthume en 1985. Dans « Les Choses Humaines », il est donc question d’Alexandre (Ben Attal), 21 ans, étudiant à l’université Stanford, lequel est le fils de Claire (Charlotte Gainsbourg), une essayiste féminine, elle qui est en couple avec Adam (Mathieu Kassovitz), un professeur, lui-même séparé de Valérie, une Juive orthodoxe (très) pratiquante. Claire est alors divorcée de Jean Farel (Pierre Arditi), un journaliste vedette, chic, cultivé, et séducteur, qui n’a jamais eu de temps à accorder à sa famille. Cependant, ce dernier a invité toute sa famille, dont son fils, Alexandre, de passage en France pour l’occasion, étant donné qu’il va être décoré par le président, à l’Élysée. Profitant de la venue de son fils en France, Claire en profitera pour (re)présenter son fils à Adam, ainsi qu’à la fille d’Adam, Mila (Suzanne Jouannet, pour son premier grand rôle au cinéma), au cours d’un souper dans leur appartement. En partance ensuite pour une soirée entre amis, Ben, sous la coupe de sa mère et d’Adam, escortera Mila à ladite soirée, histoire de faire connaissance. Au lendemain, l’appartement paternel, où Alexandre réside seul durant son séjour, sera alors perquisitionné, sur une plainte pour viol...

En modifiant la structure de l’histoire en trois parties (« Lui », « Elle » et le procès), Yvan Attal permet au spectateur de faire connaissance de ses personnages, ayant reçu une éducation, une culture très différentes. Alexandre, tout d’abord, est « le fils de », lui pour lequel le sexe n’a jamais été tabou, mais plutôt un jeu de séduction, étant donné l’image que lui a renvoyé son père, un homme « à femmes », bien que sa mère, elle, soit une défenseuse (controversée) des droits des femmes. Et puis, il y a Mila, fille socialement dérangée d’une pratiquante un brin extrémiste et stricte, elle pour qui la représentation du sexe est justement à l’opposé de celle qu’en a Alexandre. Grâce à sa mise en scène, et au montage, Yvan Attal, nous permet alors de comprendre ces jeunes, avant qu’arrive le drame, et de la manière dont chacun d’eux perçoit la soirée et les événements ayant mené à cette plainte, et cela au cours du procès, se déroulant deux ans et demi après les deux premières parties du film. Attal reste donc longtemps sur ses personnages, et leurs conditions d’êtres quelque part condamnés par leur propre pedigree, n’ayant donc aucunement la même perception d’une même situation. Pour appuyer dès lors la portée de leurs témoignages, et de ceux de leurs proches et témoins (in)directs des faits, le film bascule alors d’un format d’image à l’autre, à savoir le scope pour l’ensemble du film, et le carré 1/33, en 16mm et avec pellicule qui donne du grain pour des séquences de flash-back, lors de la fête précédant le soi-disant passage à l’acte, au cours desquelles le spectateur est alors lui-même témoin de la réalité objective de la soirée, au contraire de l’audience, forcément très médiatisée, où chacun livre son propre ressenti, subjectif...

Dans l’air du temps, « Les Choses Humaines » met dès lors en scène des personnages complexes, au sein d’une situation et d’un procès qui l’est tout autant, et au travers duquel la victime ne peut pas être clairement définie, ou en tout cas pas comme la loi l’entend, au risque de condamner un innocent, et encore moins au nom de la parole de la femme qui se libère. Car dans cette histoire, c’est bien ici celle d’un jeune homme contre celle d’une jeune femme qui sont mises en jeu, tous les deux à la personnalité très ambiguë, ayant tous deux des arguments solides de défense, même si chacun d’eux mentent sur certains points, par peur ou honte, mais sans que cela ne remette en cause la véracité de leur témoignage sur cette soirée-là, bien qu’Yvan Attal ait souhaité ici instiller une once de doute sur le témoignage de Mila, non pas pour la rendre antipathique, ni la crédibiliser, mais bien pour montrer la difficulté de juger quelqu’un sur des paroles, et des actes, consentants ou non, desquels ont ne saura finalement jamais la vérité...

En positionnant le spectateur à la place du jury, « Les Choses Humaines » nous montre la complexité des relations et des perceptions (de la sexualité) humaines, ainsi que les mœurs de notre époque, à l’heure où les choses ne sont jamais toutes noires ou toutes blanches, et d’autant plus agrémentées de l’ère #balandetonporc. En effet, il serait trop facile de juger un homme pour viol sous ce prétexte, et sans véritables preuves tangibles, d’autant plus lorsque que l’accuse plaide sans cesse son innocence, et donc le consentement de la victime, qu’elle niera alors difficilement, n’en ayant pas pleinement la conscience. Finalement, le point commun de ces jeunes adultes est que chacun d’eux a vu sa vie et sa carrière professionnelle entachées par cette affaire, où le coupable n’est pas un homme ou une femme, mais bien ce que la société a fait d’eux...

Sans prendre ainsi position, Yvan Attal réalise sans doute ici l’un de ses meilleurs métrages, qui mène à réfléchir, porté alors par une pléiade d’acteurs parfaits et très investis dans leurs rôles, dont Ben Attal, en copie conforme de son père (même dégaine, même voix, même physique), Pierre Arditi (dans un rôle à contre-emploi, lequel ressemble quant à lui à une copie forme de Michel Sardou !), ou encore la nouvelle venue Suzanne Jouannet. Ces personnages ne laissent alors pas indifférents, car ils sont très nuancés et humains dans leurs attitudes, à la fois pleines de vérités et de contradictions dans leur nature, alors déformée, aiguisée ou abîmée, en fonction de l’histoire de chacun, laquelle peut donc se retourner contre eux, en étant (mal) interprétée par autrui. Sans condamner pour condamner, « Les Choses Humaines » remet ainsi les choses humaines à leur place, et questionne avant tout sur ce qui fait de nous des êtres différents, complexes, logés à la même enseigne, et pourtant pas nourris de la même manière... Évidemment, le film, bavard, plaira aux partisans des films de procès, offrant d’ailleurs une longue plaidoirie filmée en plan-séquence. Sans véritable action, le récit reconstitue alors non pas le début, mais bien l’origine des événements condamnés, jusqu’à leur toute fin, face à laquelle certain(e)s resteront perplexes. Car oui, « Les Choses Humaines » est un film qui pourrait diviser, et dès lors susciter le débat. Autrement dit, un film très intéressant, mais lourd de sens...



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