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Kaouther Ben Hania
Le challat de Tunis
Sortie le 23 septembre 2015
Article mis en ligne le 30 août 2015

par Charles De Clercq

Synopsis : Tunis, avant la révolution. En ville une rumeur court, un homme à moto, armé d’un rasoir, balafrerait les fesses des femmes qui ont la malchance de croiser sa route. On l’appelle le Challat, « le balafreur ». Fait divers local ? Manipulation politique ? D’un quartier à l’autre, on en plaisante ou on s’en inquiète, on y croit ou pas, car tout le monde en parle... sauf que personne ne l’a jamais vu. Dix ans plus tard, sur fond de post-révolution, les langues se délient. Une jeune réalisatrice décide d’enquêter pour élucider le mystère du Challat de Tunis. Ses armes : humour, dérision, obstination.

Origines : Tunisie, France, Canada, Émirats arabes unis.

Acteurs : Jallel Dridi Moufida Dridi, Narimène Saidane, Kaouther Ben Hania, Mohamed Slim Bouchiha

Ceci n’est pas un documentaire, mais c’est un documenteur mais pas comme What We Do in the Shadows de Jemaine Clement et Taika Waititi ! En effet, le documentaire/menteur de Kaouther Ben Hania traite d’une histoire vraie sous le mode de la fiction. Et à ce titre, il est remarquable. Il n’est pas « vrai » au sens « journalistique », voire trivial, du terme et cependant sa relecture d’un événement « vrai », réel, est fondamentalement vraie, tout comme pouvait l’être la « fiction » Taxi Teheran de Jafar Panahi. Ce rapport mensonge/vérité a également été abordé de façon remarquable par Abbas Kiarostami dans Nema -ye Nazdik (Close-up, 1990).

Le Challat (le balafreur) de Tunis a ceci de remarquable qu’il aborde un thème de société, fondamental dans certaines cultures, le rapport à la femme, à son corps et à sa sexualité. Un autre documentaire, trop largement passé inaperçu, Iranien, de Mehran Tamadon abordait également ces questions [1] sur le plan plus particulièrement religieux et notamment la place de la femme dans l’espace public.

Le challat de Tunis aborde aussi cette question, mais en s’attardant beaucoup moins sur l’aspect religieux. Si le changement de régime après la révolution tunisienne de 2011 a permis ce film par l’accès à des archives officielles, notamment policières, il est encore plus remarquable que la réalisation soit faite par une femme. Dès le début, nous sommes informés que le rapport à la caméra se fera avec malice et/ou ambiguïté et j’y vois également des liens avec les jeux de caméra au début et à la fin de Taxi Teheran.

Selon la réalisatrice, Kaouther Ben Hania, le balafreur représente un « symbole national fantasmagorique d’une virilité machiste tantôt lubrique tantôt justicière ». Le spectateur sera surpris (ou pas !) par le fait que peu d’hommes condamnent le challat, que beaucoup l’excusent et/ou le comprennent. En gros leurs arguments tiennent à la visibilité de la femme (sexué ou comme objet sexuel ?) dans l’espace public. Si elle est voilée, elle ne risque rien, car elle n’est plus objet de désir ou de convoitise et tout homme qui attaquerait une telle femme est alors punissable. Il apparaît ainsi (un des arguments utilisés par des mollahs dans Iranien) que ce qui est en cause, c’est la fragilité de l’homme, sa faiblesse ! Certes, ce n’est pas dit comme cela, mais en dernier ressort, c’est de cela qu’il s’agit. En un certain sens, la condamnation de l’homosexualité et l’homophobie (même si les choses sont plus complexes parce qu’il y a eu une intégration de normes puritaines occidentales) participent du même mouvement. La violence, physique, verbale et/ou psychologique traduirait une crainte liée aux propres peurs de celui/celle qui l’exerce. J’écris « celui/celle », car outre le fait que le « documentaire » de Kaouther Ben Hania nous fait découvrir une femme qui s’est elle-même balafrée, nos sociétés occidentales ne sont pas indemnes de ces phénomènes : la dévalorisation de la femme, dans les emplois, le salaire, ou sa réduction à un objet sexuel dans la publicité ; mais aussi l’homophobie, avérée, larvée ou latente [2] nous montrent que ce serait une grande erreur que de cantonner cela à un ailleurs, aux sociétés du nord de l’Afrique ou à l’Islam en général.

Dans ce film que l’on peut voir comme une comédie noire qui exprime des choses graves sur le mode de la dérision grâce à une « fausse/vraie » fiction, la réalité est en quelque sorte mise en abime parce que la réalisatrice et son chef opérateur, Sofia El Fani jouent leur propre rôle au même titre que le vrai/faux coupable Jallel Dridi qui fut emprisonné et relâché à l’époque des faits. D’autres protagonistes, témoins, victimes (vraies ou fausse) se retrouvent à l’écran pour jouer leur propre rôle (ou pas !).

Une scène paraîtra surréaliste, celle du casting où l’on recrute des hommes pour jouer le rôle du challat. En « jouant » et dans l’espoir d’être choisis, ils traduisent quelque chose de leurs propres fantasmes, de leurs « impensés ». Véritable « jeu de rôle » cathartique qui dit autant, si pas plus que le film et les faits qu’il relate, de la culture tunisienne intrinsèquement machiste.

Plus surréaliste encore, et burlesque : le virginomètre ! Il n’existe pas, mais il faudrait l’inventer (non, c’est une façon de parler bien sûr), est signe de toute l’importance accordée à la virginité. Considérée comme une preuve certaine, mais falsifiable et falsifiée (par une réparation de l’hymen ou des capsules contenant du faux sang !) de la pureté de celle que l’on convoite [3].

Il y a une lucidité dans le regard que nous propose la réalisatrice, une candeur et une naïveté dans le chef de certains acteurs protagonistes de leur propre histoire qui en dit plus - et à leur corps défendant - qu’ils ne pensent sur leur rapport à la culture, à la femme et à leur propre identité. A voir, absolument !

Le Challat de Tunis : Trailer HD VO st fr

Tunis, avant la révolution. En ville une rumeur court, un homme à moto, armé d’un rasoir, balafrerait les fesses des femmes qui ont la malchance de croiser sa route. On l’appelle le Challat, "le...
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