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Les critiques de Julien Brnl
Le Retour de Mary Poppins / Mary Poppins Returns
Réalisateur(s) : Rob Marshall
Article mis en ligne le 23 décembre 2018

par Julien Brnl

➡ Vu au cinéma Cinescope de Louvain-La-Neuve - Sortie du film le 19 décembre 2018

Signe(s) particulier(s) :

  • quatrième comédie musicale du cinéaste Rob Marshall après « Chicago » (2003), « Nine » (2010) et « Into the Woods » (2015), toutes les trois adaptées d’une pièce de théâtre à succès ;
  • suite de la comédie musicale aux cinq Oscar « Mary Poppins » sortie en 1964, qui mêlait prises de vues réelles et animation, et adaptée du roman éponyme de Pamela L. Travers publié en 1934 ;
  • librement adapté des sept autres ouvrages écrits par Pamela L. Travers ;
  • la genèse du film « Mary Poppins » a été porté à l’écran par le réalisateur John Lee Hancock avec « Dans l’Ombre de Mary », (2014), dans lequel on découvrait pendant la conception du film les exigences de l’écrivain (jouée par Emma Thompson), alors de plus en plus difficile à contenter, mêlées à ses souvenirs d’enfance refoulés ;
  • à 93 ans, Dick Van Dyke, le célèbre interprète du ramoneur Bert (et même du directeur de banque Mr. Dawes Sr.) dans le premier film et aussi de retour dans cette suite, tandis que Julie Andrews a refusé d’y apparaître considérant qu’il s’agissait ici du film d’Emily Blunt, ne souhaitant donc pas lui voler la vedette.

Résumé : Michael Banks travaille à la banque où son père était employé, et il vit toujours au 17 allée des Cerisiers avec ses trois enfants, Annabel, Georgie et John, et leur gouvernante Ellen. Comme sa mère avant elle, Jane Banks se bat pour les droits des ouvriers et apporte son aide à la famille de Michael. Lorsque la famille subit une perte tragique, Mary Poppins réapparaît magiquement dans la vie de la famille. Avec l’aide de Jack, l’allumeur de réverbères toujours optimiste, Mary va tout faire pour que la joie et l’émerveillement reviennent dans leur existence… Elle leur fera aussi découvrir de tout nouveaux personnages plein de fantaisie, dont sa cousine, l’excentrique Topsy.

La critique de Julien

Cinquante-quatre ans nous séparent aujourd’hui de la sortie de « Mary Poppins », considéré par beaucoup comme un « chef-d’œuvre », et même d’œuvre testamentaire couronnant la carrière déjà bien riche de Walt Disney, mort deux ans après sa sortie. Bien que « Super Nanny » a repris depuis le flambeau en Francophonie, tout comme à travers le monde, mais dans des versions de télé-réalité différentes, on lui préfère largement Mary Poppins (!), une célèbre gouvernante aux pouvoirs magiques, capable notamment de parler aux animaux, de flotter dans les airs à l’aide de son parapluie, ou encore de sortir de son sac vide un tas d’objet parfois bien plus grands que sa capacité.

Descendue littéralement de son nuage, elle était alors venue aider « jusqu’à ce que le vent tourne » la famille Banks, et principalement ses enfants, Jane et Michael, au travers d’une aventure « supercalifragilisticexpialidocious » (ce mot que l’on prononce lorsqu’on ne sait pas quoi dire), à l’issue de laquelle le père de famille (George Banks, employé de banque dévoué au travail, oubliant quelque peu sa famille) comprenait que l’argent ne faisait pas le bonheur.

Portée par une bande-originale des plus classiques (dont « Un Morceau de Sucre » ou « Chem Cheminée ») et des passages en animation 2D, cette comédie musicale d’antan est restée dans les mémoires collectives pour la nostalgie et la magie qui s’en dégageaient, ressortant d’ailleurs à la moindre occasion, et notamment durant les fêtes de fin d’année.

Se déroulant vingt ans après les événements du premier film, soit à Londres durant la Grande Dépression du milieu des années 30, cette suite se concentre aujourd’hui sur Jane et Michael Banks, devenus des adultes (alors qu’ils restent enfants dans la série de livres de L. Travers). Michael, toujours installé au 17 rue des Cerisiers, a alors repris le flambeau de son père, tandis qu’il est père de trois enfants, mais veuf depuis un an. Quant à Jane, sa sœur, celle-ci se bat pour la même cause que celle de sa mère, tout en aidant au quotidien son frère et ses neveux à survivre, tout comme le fait déjà Ellen, leur gouvernante. Mais voilà que viennent frapper à la porte d’entrée des huissiers venant mettre en garde la famille d’un prêt non payé à la banque depuis quelques mois, et à rembourser sous peu dans son intégralité, au risque de voir la maison revenir aux mains de la banque, aujourd’hui dirigée par le fils de M. Dawes Jr. Mais c’est sans compter sur des actions placées jadis à la banque (destinées initialement à une femme et ses pigeons), transmises de George Banks à son fils Michael, mais nécessitant de remettre la main sur le certificat prouvant qu’il en détient des parts, lesquelles pourraient bien sauver la famille Banks. C’est dans ces conditions difficiles que Mary Poppins refera son apparition, laissant bouche-bée les grands enfants Banks, pensant ne plus jamais la revoir. Avec l’aide de Jack, un allumeur de réverbères toujours optimiste, Mary va alors tout faire pour que la joie et l’émerveillement reviennent dans leur existence...

Tandis qu’il devrait mettre en boîte le film live-action pour Disney « La Petite Sirène », c’est Rob Marshall qui réalise ici cette suite événement, lui tenant particulièrement à cœur. Et ça tombe bien, étant donné qu’à nous aussi. Alors qu’on lui doit le massacre du quatrième épisode des aventures de Jack Sparrow dans « La Fontaine de Jouvence » (2011) ou encore de « Nine » (son hommage navrant à « Huit et Demi » de Federico Fellini), le cinéaste avait la lourde tâche de ne pas faire de même avec cette nouvelle aventure de Mary Poppins. Et heureusement pour nous, il s’en sort bien. On peut donc souffler, et même profiter du spectacle offert, et en famille !

Faisant la part belle aux hommages et clins d’œil volontaires à son modèle, sans pour autant le copier, « Le Retour de Mary Poppins » propose un scénario plus ou moins logique situé vingt années après les événements précédents. Écrit par David Magee (on lui doit notamment celui de « L’Odyssée de Pi ») sur une idée de Rob Marshall, John DeLuca et de lui-même, la nounou est alors de retour pour redonner du sourire à la famille Banks, dans un Londres capitaliste, et ce « jusqu’à ce qu’une nouvelle porte s’ouvre ». En reprenant les grands segments du premier volet, cette suite voit notamment les petits enfants Banks plongés à leur tour dans des mondes imaginaires. Quid d’un tableau dessiné à la craie, ils se retrouveront ici projetés dans un bain moussant ou encore une coupe en porcelaine. D’ailleurs, l’ensemble de cette scène, où les personnages côtoient des animaux animés en 2D (comme au bon vieux temps), est particulièrement renversante. Ainsi, à bord d’une calèche, ils suivront, en chansons, une trajectoire épousant les courbes de la coupe, direction un spectacle sous tente. Purs régals pour petits et grands, ces moments sont visuellement épatants et nostalgiques, tout comme la course-poursuite qui s’en suivra, laquelle dévoilera le méchant de l’histoire, symbolisé ici par un loup, dérobant à autrui ce qui ne lui appartient pas, et renvoyant à un véritable personnage dans le monde réelle...

Pour les autres parallélismes avec le premier film, on peut aussi citer le retour du personnage de l’amiral Boom et de son coup de canon, tandis que Mary Poppins n’ira plus faire un petit coucou chez son oncle Albert, mais bien chez sa cousine Topsy, tandis que nous n’aurons plus droit à un numéro sur les cheminées exécuté par des ramoneurs (les temps changent), mais bien à celui d’allumeurs de réverbères, dans les rues de Londres. Ayant notamment nécessitée deux semaines de tournage, cinquante danseurs, cinq niveaux de décors différents, vingt-cinq lampadaires, ou encore cinq caméras, cette scène longue de huit minutes est tout simplement magique, et par la même occasion un somptueux hommage à l’âge d’or des comédies musicales d’antan. Frissons garantis.

C’est évidemment dans ces moments chantés que ce film convainc le plus, sans pour autant que les chansons n’atteignent la puissance des précédentes, trop emblématiques. Mais tout de même, ces neuf nouvelles pistes écrites par Scott Wittman et Marc Shaiman s’apprécient pour leur joie communicatrice, et leur orchestration, elles qui ont été pré-enregistrées avec un orchestre symphonie de 82 musiciens, tandis que les voix ont été ré-enregistrées sur le plateau afin de saisir toute l’énergie du direct. Dans sa version française, l’ensemble des chansons ont été traduites en français (étant donné le public visé), ce qui vous permettra notamment d’entendre un certain « Luminomagifantastique » (Trip a Little Light Fantastic" en VO), en référence à celle que l’on connaît tous, mais dont peu sont capables de prononcer le titre ! D’ailleurs, cette dernière n’a pas été reprise, comme aucune autre du premier film.

On vous conseille évidemment de foncer voir le film en version originale si vous n’êtes pas accompagnés d’enfants, tout simplement parce que cela vous permettra d’entendre les vraies voix des acteurs, ainsi que de capter toutes les nuances de leurs mimiques et accents, bien souvent succulents. Et puis, les acteurs s’en sortent tellement bien qu’il serait dommage de gâcher ça par des doublures, qui n’ont absolument ni vécu le rôle, ni le moment chanté.

Le casting, parlons-en. Oscarisée pour son rôle de Mary Poppins dans le film de Robert Stevenson, Julie Andrews a donc laissé sa place à la sublime et talentueuse Emily Blunt, révélée au grand public par son rôle de peste superficielle dans « Le Diable s’Habille en Prada » (2006). Tout aussi excentrique, attentive, éloquente et vêtue avec élégance, l’actrice n’a rien à envier à son modèle, même si dans cette suite, son personnage est un peu plus distant que ne l’était celui d’Andrews. On adore ainsi son phrasé typique, et ses réactions démesurées, surtout lorsque les petits enfants Banks osent lui demander son âge, ou encore son poids. Exit aussi le ramoneur grand-guignolesque Bert (que campait Dick Van Dyke), et bienvenu à Lin-manuel Miranda dans le rôle de Jack, un allumeur de réverbères attachant. L’acteur est aussi et surtout un compositeur et parolier, lui à qui l’on doit notamment les chansons du long métrage d’animation « Vaina : la Légende du Bout Du Monde » (2016). Ensemble, les deux têtes d’affiche n’ont pas la prétention de faire mieux que Julie Andrews et Dick Van Dyke (ce qui n’est pas le cas), mais de faire revivre une nouvelle fois la magie de « Mary Poppins » et de festoyer la vie, tout en mettant à contribution leurs talents d’acteurs, et de chanteurs. Dommage seulement que Rob Marshall ne soit pas toujours capable de filmer sous le bon angle ses acteurs lorsqu’ils sont en train de s’exercer à une chorégraphie des plus impressionnantes.

Meryl Streep joue quant à elle la cousine fantasque et un peu délurée de Mary Poppins, aux origines volontairement inconnues, mais à l’accent venu de l’Est (souvenez-vous, Mary n’explique d’ailleurs jamais rien !). C’est que Topsy est totalement sens dessus dessous, ce que Mary, Jack et les petits enfants résoudront. Concernant Jane et Michael Banks, c’est Ben Whishaw qui s’en sort davantage dans le rôle de mari veuf (il aura l’occasion de chantonner lors d’un moment émouvant) plutôt qu’Emily Mortimer, qui obtient un second-rôle dont l’importante est discutable. Si ce n’est son penchant syndicaliste (dont on ne fait que trop peu écho) et une idylle naissante la concernant, on ne sait que trop peu sur elle. Enfin, outre le caméo d’Angela Lansubry (93 ans) dans un rôle d’une vendeuse de ballons, Dick Van Dyke (du même âge) revient pour une démonstration certes courte, mais monumentale, et dans un rôle plutôt bien ficelé.

S’il parle du deuil, des devoirs paternels, ou encore de la nécessité de croire en soi et en l’imaginaire, « Le Retour de Marry Poppins » laisse tout de même perplexe dans sa résolution qui, comparé au premier film, prône ici toute l’utilité d’un placement bancaire établi sur des années, lequel devient alors une source de bonheur indirecte à la famille, alors qu’il est était tout autre dans « Mary Poppins ». Même si cette idée rebondit sur des éléments du premier film, la place occupée par l’argent dans cette suite laisse songeur. De plus, les plus puristes s’exclameront des nombreuses coïncidences entre les deux versions, alors que cette suite n’en est pas un copié-collé tel qu’on l’entend, mais plutôt un fervent admirateur, usant à bon escient des techniques bien connues de la nounou pour arriver à ses fins.

Dans l’ensemble, « Mary Poppins » est ce qu’on attendait de lui, soit un spectacle aux décors chatoyants, aux tableaux musicaux sans failles, ou encore une invitation à se laisser emporter dans un univers tellement familier dans nos consciences que l’on y replonge sans hésiter. Mais à force de jouer au millimètre près, le film de Rob Marshall y perd en émotions, tandis qu’il ne propose véritablement rien de nouveau au mythe « Mary Poppins », et se laisse même moralement fourvoyer. Mais qu’importe, « Le Retour de Mary Poppins » est un conte enchanteur duquel on ressort avec le sourire aux lèvres, et les étoiles pleins les yeux.



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