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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Charlotte Vandermeersch et Felix van Groeningen
Le Otto Montagne (Les Huit Montagnes)
Sortie du film le 14 décembre 2022
Article mis en ligne le 21 décembre 2022

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 147’

Acteurs : Luca Marinelli, Alessandro Borghi, Filippo Timi, Elena Lietti...

Synopsis :
Pietro est un garçon de la ville, Bruno est le dernier enfant à vivre dans un village oublié du Val d’Aoste. Ils se lient d’amitié dans ce coin caché des Alpes qui leur tient lieu de royaume. La vie les éloigne sans pouvoir les séparer complètement. Alors que Bruno reste fidèle à sa montagne, Pietro parcourt le monde. Cette traversée leur fera connaître l’amour et la perte, leurs origines et leurs destinées, mais surtout une amitié à la vie à la mort.

La critique de Julien

Après avoir traversé l’Océan Atlantique pour le superbe « Beautiful Boy » (2018) avec Steve Carell et Timothée Chalamet, Felix van Groeningen revient cette fois-ci de l’autre côté, mais pas en Belgique, lequel adapte ici le roman « Le Otto Montagne » de Paolo Cognetti (paru en 2016 aux Editions Einaudi), et cela avec sa compagne Charlotte Vandermeersch, laquelle l’avait déjà aidé au scénario de « The Broken Circle Breakdown » (2012), tandis qu’elle avait joué dans son film « Belgica » (2016). Cette histoire est directement inspirée par l’enfance et la passion pour la montagne de son auteur italien, lui qui est née à Estoul, un petit village de la Vallée d’Aoste, dans les Alpes italiennes, où il habite encore actuellement. Alors qu’une grande partie de l’histoire se déroule dans le village de Grana, au pied du Mont Rose, et précisément dans le commune Gressoney-La-Trinité (et donc en réalité à plus de cent kilomètres de la commune homonyme de Grana), le couple de réalisateurs met en scène cette histoire d’amitié et de filiation, au gré des années, et surtout des montagnes...

« Le Otto Montagne » débute en 1984, alors que le Pietro, un jeune garçon de dix ans, solitaire et un peu grincheux, passe son été à la montagne, avec sa maman, pendant que son père, chimiste, travaille à Turin, lequel y vient occasionnellement de temps à autre (bien qu’il en soit amoureux), faisant ainsi découvrir la beauté des lieux à son fils... Ce dernier fera alors la connaissance de Bruno, le « dernier enfant du village », du même âge, lequel est montagnard et déscolarisé, et travaille pour son oncle, dans son alpage. Alors qu’ils se lieront d’amitié, et se retrouveront tous les étés, le père de Pietro, Giovanni, partira en exploration avec les enfants, lesquels graviront le massif du Mont Rose, et ses sommets. Mais alors que les parents de Pietro proposeront à ceux de Bruno de s’occuper de lui et de lui offrir les frais de scolarité, le père de ce dernier, qu’il ne connaît quasi-pas, refusera catégoriquement, prenant son fils sous son aile, en ville, en tant qu’assistant maçon, ce qui éloignera considérablement les deux amis, devenus adolescents, lesquels se perdront même de vue. Pietro, désormais seul à la montagne, décidera, au fil des étés, de ne plus y revenir, malgré les attentes de son père, lui qui espérait tant lui transmettre son amour pour ces lieux, tandis qu’il s’éloignera même de ce dernier, lui reprochant - notamment - de ne pas avoir été suffisamment présent durant son enfance, tout en ne souhaitant pas devenir comme lui. Ce n’est alors qu’à la mort de son père, quinze années plus tard, que Pietro et Bruno se retrouveront...

« Le Otto Montagne », du haut de ses près de deux heures et trente minutes, est un riche récit magnétique qui s’étale sur bien des années (trente ans), développant des thèmes aussi profonds qu’universels, au sein de paysages des plus naturels, et grandioses. Il y est évidemment question d’une amitié granitique qui n’a pas besoin d’être entretenue, entre deux gamins bien différents devenus des hommes qui se ressemblent, mais aussi bien d’une relation père-fils conflictuelle que père-fils de substitution ; Bruno s’étant rapproché ici du père qu’il n’a jamais eu, en la personne de celui de Pietro, et cela durant l’absence de ce dernier, ce qu’il ne saura qu’au décès de son paternel. Or, c’est manifestement par le rêve perdu de ce père et la promesse faite - indirectement - à celui-ci que les deux hommes resserreront leurs liens, quitte à ne jamais plus les défaire...

Raconté par le personnage par Pietro, joué puissamment par Luca Marinelli, face à Alessandro Borghi dans la peau de Bruno, « Le Otto Montagne » nous parle aussi du temps qui passe, des remords, ou encore des reproches que l’on porte envers autrui, tout en reproduisant nous-mêmes, et sans s’en rendre compte, les raisons de ceux-ci. Tous ces enjeux existentiels sont au centre de ces montagnes, dont la force évocatrice de liberté est capable de l’isoler, tandis que Charlotte Vandermeersch et Felix van Groeningen réussissent à questionner ici notre rapport au monde, et notre place dans celui-ci, même quand le nôtre s’effondre, lui qui est formé, pour un Népalais, de hautes montagnes avec, en leur centre, celle qui domine, le mythique Sumeru, en tant qu’axe du monde. Car Paolo Cognetti a voyagé au Népal, d’où le fait ici que Pietro trouve, certes ici, son chemin dans les montagnes, mais pas dans celles de son enfance...

Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, ce drame intime, porté par la douce, mélancolique et réchauffante musique blues de l’auteur-compositeur-interprète suédois Daniel Norgren, aurait pourtant gagné en puissance émotionnelle si l’histoire ne s’était étendue inutilement sur une si longue durée. Mais on est ici autant - et profondément - touché par la grandeur nature des décors ici filmés que par la sincérité de la relation nouée, en pleine montagne, entre ces deux hommes, qui rien ne pourra plus ébranler, ni même leurs choix et chemins pris, demeurant le miroir l’un de l’autre...



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