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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Maryam Touzani
Le Bleu du Caftan
Sortie du film 29 mars 2023
Article mis en ligne le 24 avril 2023

par Julien Brnl

Genre : Drame

Durée : 118’

Acteurs : Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missioui...

Synopsis :
Halim est marié depuis longtemps à Mina, avec qui il tient un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec le secret d’Halim, son homosexualité qu’il a appris à taire. La maladie de Mina et l’arrivée d’un jeune apprenti vont bouleverser cet équilibre. Unis dans leur amour, chacun va aider l’autre à affronter ses peurs.

La critique de Julien

Récompensé du Prix FIPRESCI (Prix de la Critique internationale) au Festival de Cannes 2022 dans la section « Un Certain Regard », ainsi que de celui de la meilleure réalisatrice et du meilleur acteur pour Saleh Bakri au Festival d’Angoulême, ou encore chez nous du prix de la meilleure fiction au RAMDAM Festival de Tournai, « Le Bleu du Caftan » est un second long métrage de la réalisatrice, scénariste et actrice marocaine Maryam Touzani après « Adam » (2019), qu’elle a ici une nouvelle fois coécrit avec son mari Nabil Ayouch, lequel l’avait faite tourner dans son film « Razzia » (2017). Drame et triangle amoureux autour d’un homme marié cachant depuis toujours son homosexualité (sans jamais être prononcée) dans une société marocaine répressive, « Le Bleu du Caftan » est un film aussi intime qu’universel, et parle avant tout de l’amour et du respect en son sein.

Il y est alors question d’Halim (le comédien palestinien Saleh Bakri), un tailleur de caftans travaillant à la main selon des techniques traditionnelles, lui qui pratique encore, par exemple, le randa, c’est-à-dire une broderie à l’aiguille uniquement avec le fil, servant à embellir les caftans. Digne d’instruire et de transmettre son savoir, Halim - qui n’a jamais cessé d’être méprisé par son père - est également ce qu’on appelle un « maalem » (traduit littéralement au Maghreb par « celui qui sait » ou « celui qui a un savoir-faire »), étant donné qu’il forme un jeune apprenti passionné (Ayoub Missioui, un acteur originaire de Casablanca). Car la charge de travail est énorme pour Halim et son épouse, Mina (Lubna Azabal), qui tient quant à elle la comptabilité et les commandes, tout en étant la vendeuse. Mais bien que solide comme un roc, Mina est sévèrement malade, tandis que leurs moyens financiers ne permettent pas de la soigner. Mais alors que leur magasin, situé à Salé, est soumis à la concurrence, mari et femme se verront confier une commande d’une richissime cliente, à savoir un somptueux caftan bleu. E très vite, une attirance mutuelle naîtra entre les deux hommes, devant le regard de Mina, impuissante, bien que le couple qu’elle forme avec son mari est, et restera, le plus soudé, eux qui partagent un dangereux secret dans la société marocaine, soit l’homosexualité d’Halim...

Avec énormément de compassion et de délicatesse, Maryam Touzani tisse devant nos yeux une histoire d’amour aussi belle que déchirante, soit l’une de celles qui nous pourrait encore nous faire croire aux contes de fées, mais sans en être cependant un en l’état, et de loin. Car « Le Bleu du Caftan » est bien un drame, posant notamment un regard juste et mesuré sur la condition de l’homosexualité au Maroc, illégale, mais sans jamais en faire de trop (les regards - profonds - se croisent, les mains se frôlent dans l’atelier), ni en montrer trop peu (par exemple, Halim rencontre au hammam des partenaires sexuels occasionnels). Sa réalisatrice a alors eu idée de cette histoire à la suite d’une rencontre avec un coiffeur pour dames à Salé, imaginant ainsi la vie de cet homme, ce qui lui a rappelé des choses, des ragots, des non-dits qui circulaient sur des couples qu’elle connaissait de loin, durant son enfance, sans forcément comprendre tout ce que cela signifiait. Alors qu’elle en comprend aujourd’hui le sens, la cinéaste fait justement exister l’un de ces êtres que la société n’a jamais cessé d’étouffer, quitte à ce que son personnage se soit ici marié avec une femme. Mais la relation amoureuse que filme ici Maryam Touzani entre les deux époux n’a pas de sexe, car ses personnages s’aiment d’un amour infini, lesquels ont toujours été là l’un pour l’autre, alors qu’Halim, lui, a toujours vécu son homosexualité en cachette, tout en ayant peur de salir la réputation de sa femme...

« Le Bleu du Caftan » met ainsi en scène un triangle amoureux évoluant, avec beauté et pudeur, au cœur d’une mise en scène toujours élégante, de plus en plus colorée, bien que minimaliste et lente, et brodée en parallèle de la confection dudit caftan bleu. Le film de Maryam Touzani célèbre donc l’amour et la tradition, tout en épinglant ce que rejette l’Islam, mais pour en ouvrir des portes. Le linceul traditionnel laisse alors place, d’une part, à la reconnaissance d’une vie vécue à deux, et d’autre part à l’espoir d’une vie sans plus de mensonge, malgré le danger injuste qu’il représente encore au nom d’une religion qui condamne l’homosexualité, alors que sa source, le Coran, ne la condamne - d’autant plus - pas explicitement. On est dès lors (profondément) touché par cette histoire, ainsi que par l’interprétation de ses acteurs principaux, que sont Lubna Azabal (qui a perdu huit kilos pour endosser son rôle), Saleh Bakri et Ayoub Missioui, aux personnages vulnérables, bien que puissants par leur force commune de ne pas avoir peur d’aimer...



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