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CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Alice Rohrwacher
Lazzaro Felice (Heureux comme Lazzaro)
Sortie le 7 novembre 2018
Article mis en ligne le 20 octobre 2018

par Charles De Clercq

Synopsis : Lazzaro, un jeune paysan d’une bonté exceptionnelle, vit à l’Inviolata, un hameau resté à l’écart du monde sur lequel règne la marquise Alfonsina de Luna. La vie des paysans est inchangée depuis toujours, ils sont exploités, et à leur tour, ils abusent de la bonté de Lazzaro. Un été, il se lie d’amitié avec Tancredi, le fils de la marquise. Une amitié si précieuse qu’elle lui fera traverser le temps et mènera Lazzaro au monde moderne.

Acteurs : Alba Rohrwacher, Nicoletta Braschi, Sergi López, Tommaso Ragno, Adriano Tardiolo, Natalino Balasso

Ce film a obtenu le prix du scénario lors du Festival de Cannes 2018 (conjointement à Trois visages de Jafar Panahi et Nader Saeivar). Nous comprenons parfaitement ce prix après notre sortie de la vision, submergé par l’émotion suscitée par le film est particulièrement ses dernières images. Dans le même temps nous pouvons comprendre que certains spectateurs puissent être déconcertés par ce long métrage dont l’intrigue parait inclassable, comme une sorte de fable mystique en forme de néoréalisme italien sans cependant pouvoir être enfermé dans un genre. Le film nous faisait penser aux frères Taviani et à Ettore Scola (Brutti, sporchi e cattivi) qui auraient été revisités par Pasolini (Teorema) et même par Fellini ! Au-delà des liens que nous faisions ainsi (à tort ou raison) avec de grands réalisateurs italiens, force est de reconnaître que le film peut fasciner et irriter dans un même mouvement.

La critique qui suit contient des « spoilers », autrement dit elle divulgue de nombreux éléments de l’intrigue dont il nous semble cependant que la connaissance préalable permettra de mieux entrer dans la dynamique et la symbolique du film et de son intrigue. Ce serait utile pour certains. Pour d’autres qui préfèrent la surprise, nous invitons à ne pas poursuivre la lecture et revenir ici après avoir vu le film !

Attention spoilers !

Nous sommes dans un hameau hors du temps qui porte bien son nom « l’Inviolata » où des paysans vivent un véritable servage. Ils sont exploités par une marquise qui séjourne quelques jours en ce lieu avec son mari et ses deux enfants, dont un fils Tancredi, maigre, fluet, toussant à cause du tabac. Les paysans sont surexploités et ne s’en rendent pas compte car celui qui régit leurs comptes fait passer ceux-ci en forme de dettes. Parce qu’ils ne savent rien du monde qui les entoure (ainsi que des loups), qu’ils ne peuvent mettent un nom sur la flamme au loin (qui s’avérera plus tard être celle de gaz enflammés au sommet d’une cheminée d’une entreprise) ils vivent-là, en ce lieux inviolé par le monde moderne et qui pourrait être simplement un hameau du début du 20e siècle (ou du moins semble l’être). Ils sont vingt-six entassés les uns sur les autres dans trois logements insalubres et minuscules. Parmi eux, une homme bon, à la bonté si bonne que l’on pourra s’en irriter puisqu’il apparaîtra aux yeux de certains « bonasse », voire benêt, ce qu’il n’est pas, car il a comme une intelligence innée de la nature.

Nous nous sommes souvenu de ce prisonnier rencontré lorsqu’il y a bien longtemps nous étions Officier de police judiciaire qui nous disait « Je n’ai personne en dessous de moi que je puis écraser ». C’était là un constat terrifiant d’échec et nous adaptons ici, pour Lazzaro « Je n’ai autour de moi que des personnes à qui je puis faire du bien ». Lazzaro (magistralement interprété par Adriano Tardiolo dont c’est ici la première - et seule jusqu’à présent - apparition au cinéma) est un hymne à la bonté, une bonté incarnée, sans calcul, et il est ici, malgré son nom, quasiment une figure christique. Son nom est porteur de sens, Lazzaro, celui qui est revenu d’entre les morts dans un texte symbolique de l’évangile attribué à Jean, traverse le récit de part en part.

Alors qu’il est exploité par ces paysans, Lazzaro se lie avec Tancredi, le fils de la la marquise Alfonsina de Luna (qui contrôle l’exploitation de tabac par ses serfs). Celle-ci lui fait remarquer que celui-ci est autant exploité par les siens que celle-ci le fait avec eux. Comme si les schémas de domination et d’exploitation se reproduisaient chez ceux-là même qui les subissent. C’est ici que le message de la réalisatrice déploie sa dimension politique. Le jeune Tancredi (premier rôle au cinéma pour le chanteur italien Luca Chikovani) est tout en ambiguïté. L’on ne sait trop si c’est par jeu qu’il est en lien avec Lazzaro, par amitié sincère ou dans un énième plan pour faire enrager sa mère, ici en prétendant être enlevé. Mêlant vérité et mensonge, se reprenant au prétexte de blaguer, il embarque Lazzaro dans son trip et va loger à la belle étoile ou plutôt dans un enclos en montagne pour les brebis.

Alors même que l’intrigue semble se focaliser sur la relation (voire l’amitié) entre Lazzaro et Tancredi, un événement majeur vient perturber la vie de Lazzaro, mais également l’équilibre de cette zone inviolée, de ce hameau hors du temps. L’effondrement d’une falaise, la chute mortelle de Lazzaro vont avoir des conséquences inattendues sur la suite. Les autorités informées d’un possible enlèvement interviendront avec des moyens importants, dont des hélicoptères. La modernité va se confronter à la féodalité. La surprise sera grande pour les policiers qui découvrent l’horreur de ces gens réduits en esclavage sans qu’ils en soient même conscients. Il va de soi qu’une autre vie sera proposée à ces hommes, femmes et enfants. Dans le car qui les conduits vers un monde meilleur, loin de l’exploitation dont ils furent l’objet, des enfants racontent une histoire de loup...

C’est alors qu’il nous est donné de voir le loup, au bas de la falaise, aux pieds de Lazzaro qui, grâce à l’animal (sacré ?) se lève du pays de la mort sans blessures. Ce sera l’occasion pour lui de se mettre en route, notamment pour retrouver Tancredi. Première étape, la maison de celui-ci et de ses parents. Il ne les trouve pas mais bien des voleurs dans une maison abandonnée. Son périple le conduira à la ville, à la modernité. L’on vous passe les détails de cette aventure car l’essentiel est la découverte de quelque chose de surprenant. Du temps a passé, sauf pour Lazzaro qui n’a pas pris une ride. Quelques dizaines d’années, nous sommes dans le monde moderne également et Lazzaro y retrouve ceux qui l’exploitaient... plus âgés donc et, cette fois, à la ville... mais dans un sorte de bidonville. Il semble bien que les exploités d’hier le sont encore aujourd’hui et le message d’Alice Rohrwacher nous parait ici éminemment politique. Si le temps a passé, il s’agit d’une fable car l’on se souviendra des indices donnés dès la rencontre avec la marquise qui dit à sa fille « ici il n’y a pas de réseau » ! Tout l’intérêt du spectateur sera d’accepter d’entrer dans la poésie de ce film car la logique et la rationalité ne lui seront ici d’aucun secours. Il devra accepter de suivre l’innocent (littéralement celui qui ne nuit pas) dans son combat pour le bien. Car Lazzaro croit ce qu’on lui dit. A tel point qu’il voudra défendre les droits de ceux qui ont été lésés (ou, du moins, lui disent qu’ils l’ont été) par une banque. Comment y entrer et avec quelle arme pour réclamer ce qui lui parait juste ? Et l’on sait ce qu’il advient des justes en ce monde ! C’est est ce qu’un spectateur ouvert à la poésie de l’image et d’une histoire contée hors du temps pour un message atemporel pourra découvrir dans un film où Adriano Tardiolo traverse le film comme un ange de bonté !

Lien vers la critique de Julien Brnl



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