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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Valdimar Jóhannsson
Lamb
Date de sortie : 05/01/2022
Article mis en ligne le 11 décembre 2021

par Charles De Clercq

Synopsis : Maria et son mari Ingvar vivent entourés de leurs moutons dans une jolie ferme islandaise au beau milieu de nulle part. Ils découvrent un jour un mystérieux nouveau-né sur leur propriété et décident de l’élever comme leur propre enfant. Cette opportunité inattendue de fonder une famille emplit le couple de joie, mais finira également par le détruire.

Acteurs : Noomi Rapace, Hilmir Snaer Gudnason, Björn Hlynur Haraldsson

 Le cinéma islandais

Dans notre critique de The Country, vous pouviez lire « du cinéma islandais qui se déroule en Islande, nous pouvions écrire l’an dernier qu’il nous a toujours surpris et jamais déçu ! Ce cinéma est rarement proposé en Belgique hormis lors de l’un ou l’autre festival. Ainsi Hross í oss (Of Horses and Men) de Benedikt Erlingsson, lors du Festival du Film de Bruxelles (en juin 2014) ; Hrútar (Rams) de Grímur Hákonarson en 2015 ou Life in a Fishbowl (Vonarstræti) au BRFF en 2015 et Eiðurinn (The Oath) de Baltasar Kormákur, au BIFFF, en 2017 et, enfin, en décembre 2018, Kona fer í stríð (Woman at War). ». Depuis, nous avons vu Echo de Rúnar Rúnarsson et, ensuite (et espérons qu’il y aura d’autres films islandais), ce Lamb : il est né le divin enfant, ou plutôt, il est né le divin agneau ! Nous jouons sur les mots et la proximité de la fête de Noël qui sera passée lorsque le film sera projeté sur les écrans belges ! Autant dire, ou plutôt écrire, que nous ne sommes pas déçu et, qu’à nouveau, il s’agit d’un film qui nous a surpris ! Une précision cependant, la lecture « religieuse » potentielle que nous faisons (suite à un échange avec un confrère critique cinéma) serait fortuite. En tout cas, ni une productrice du film, le directeur photo et des acteurs n’ont fait ce lien ! Il n’empêche que dans une interview, Noomi Rapace à la question « Est-ce que vous estimez que ’Lamb’ est un film de Noël », répond : « A 100%. Le petit agneau est comme le petit Jésus » ! Et, en Italie, pays à forte tradition catholique, l’affiche du film est très explicite (ci-contre).

 Il est né le divin... agneau !

L’affiche (ci-dessous) peut en effet faire penser à Marie portant Jésus (l’Agneau !) dans ses bras, d’autant plus que les récits de l’enfance ont une haute densité théologique et symbolique, au contraire de leur historicité, puisque ceux-ci ont une tout autre vocation que de proposer un récit journalistique. Il y a une dimension du mythe qui est fort présente, en deçà (et au-delà), de son aspect religieux, car les récits de la Nativité plongent leurs racines à la fois dans les grands récits de naissance des dieux, et dans celle d’une relecture des textes sacrés (que l’on appelle Ancien Testament) pour y puiser un sens nouveau. Et si nous faisons (et osons) cette comparaison, c’est qu’il y a de fameuses analogies avec ce premier long métrage de Valdimar Jóhannsson ! Celui-ci puise en effet dans le fantastique (à défaut des mythes et des légendes) que permet l’Islande, cette terre froide, lointaine, paraissant hostile, isolée où les fermes sont perdues dans d’immenses entités, où les montagnes trahissent le volcanisme toujours en action (dont les fameux geysers et sources chaudes viennent apporter des îlots de chaleur dans la froidure hivernale). Lamb a, de fait, parfois des accents fantastiques, même s’il est préférable de ne pas trop développer ce point pour garder en quelque sorte la magie du film et de la naissance d’une famille renouvelée qu’il permet.

 Vos enfants ne sont pas vos enfants

L’on connait bien cette citation du poète Khalil Gibran (1883 - 1931) utilisée à tort et à travers dans les cérémonies de naissance, qu’elles soient religieuses ou laïques ! L’on pourrait ajouter, dans la foulée « vos animaux ne sont pas vos animaux ! » dans ce film qui est aussi, si pas d’abord une fable antispéciste !

Toute l’intrigue du film, qui se déroule en trois parties, est résumée dans le synopsis. C’est l’histoire de Maria (!) et de son mari Ingvar (et auquel s’ajoute ensuite Pétur le frère de ce dernier, interprété par Björn Hlynur Haraldsson), les trois personnages humains principaux du film. Les autres, ce sont les brebis et tout particulièrement dans la première partie, au moment de l’agnelage. Cette période du temps de la vie dure et éprouvante des agriculteurs où il faut veiller de longues nuits dans le noir pour aider les animaux à mettre bas (et tant Noomi Rapace que Hilmir Snaer Gudnason, ont mis la main à pâte... ou plutôt aux pattes des agneaux qui venaient au monde). Ajoutons à cette parenthèse que Naomi Rapace est née en Suède, y a passé son enfance avant que ses parents ne viennent résider en Islande où elle a d’ailleurs joué son premier rôle (muet) au cinéma dans le film Í skugga hrafnsins de Hrafn Gunnlaugsson, ce qui lui a donné l’envie de devenir actrice, ce dont on ne peut que se réjouir ! Outre les trois parties du film, l’on pourrait dire que celles-ci sont encadrées par un prologue et un épilogue. « Pourrait » car cela n’est pas véritablement constitutif du film, mais que le début de celui-ci laisse entendre et voir de façon subjective qu’il se passe durant la nuit quelque chose, qui semble imposant, énorme, puissant, qui vient même troubler la quiétude des brebis. Ce n’est qu’à la toute fin du film que les dernières images viennent donner sens à toute l’intrigue du film, nous montre ce qui ne l’a pas été au début, et nous dé-montre notre démesure lorsque nous voulons capturer la nature pour en faire un bien propre ! C’est là que l’on prend conscience que le film est un manifeste antispéciste. Nous ne savons si telle était bien l’intention du réalisateur, mais c’est ainsi que nous avons reçu ce film comme, oserait-on, « un cadeau du ciel » ! Car tout comme Marie et Joseph ne furent jamais propriétaires de Jésus, car il fallait bien, dans la dynamique littéraire et théologique des récits évangéliques, qu’il retourne auprès du Père, l’agneau que Maria et Ingvar s’étaient accaparé n’était pas leur propriété !

 Nous sommes des usufruitaires !

Revenons au film sans en dire trop cependant pour en garder la magie du souffle qui le traverse. Au cours d’une nuit d’agnelage, où les naissances se succèdent, Maria et, dans la foulée, Ingvar, vont s’attacher à l’un des nouveau-nés de la nuit et le soustraire à sa mère pour se l’accaparer. Ils ne peuvent avoir d’enfant, et cette naissance sera donc pour eux une substitution [1]. Ils l’élèveront comme un enfant et finiront par le considérer comme un fils dans la maison. A tel point que lors de sa visite, Pétur, qui a baigné lui aussi dans l’univers de cette campagne isolée, leur fera comprendre qu’ils ne peuvent le considérer et garder comme tel. Il faisait comprendre que la nature a ses droits et ses ayants droit (à moins de se débarrasser de l’un d’eux comme le fera Maria ou comme celle-ci le rêvera avec Pétur comme protagoniste). La crise sanitaire que nous vivons depuis bientôt deux ans nous oblige à nous rendre compte que la nature reprend ses droits. Elle nous oblige à prendre en compte que nous ne sommes pas propriétaires du monde et, tout au plus des usufruitaires, si pas, simplement, des animaux dans la nature, partie prenante comme d’autres, comme Cyril Dion le montre dans son documentaire Animal. C’est ici que l’on doit tirer la leçon de ce film, de l’histoire qui nous est contée : il y a toujours un prix à payer ! L’on aurait aimé rêver que l’on puisse voir grandir cet agneau avec ses père et mère « adoptif », mais cette adoption est illicite aux yeux de la nature, elle est illégitime aux yeux de l’éthique. Il faut rendre à César ce qui appartient à César, à Dieu ce qui est à Dieu, et à la nature ce qui lui appartient de fait et de droit [2] !

 Affiche et bande-annonce



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