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Emmanuelle Bercot (2015)
La tête haute
Sortie le 13 mai 2015
Article mis en ligne le 13 mai 2015

par Charles De Clercq

Synopsis : Le parcours éducatif d’un jeune délinquant, Malony, de six à dix-huit ans, qu’une juge des enfants et un éducateur, tentent inlassablement de sauver.

Acteurs : Catherine Deneuve, Benoît Magimel, Sara Forestier, Ludovic Berthillot, Rod Paradot.

 En ouverture à Cannes

Le choix de ce film pour l’ouverture du Festival de Cannes a surpris à tel point que Thierry Frémaux, directeur de l’Institut Lumière de Lyon et délégué général du Festival de Cannes s’est senti obligé de se « justifier » : « Le choix de ce film pourra paraître surprenant au regard des codes généralement appliqués à l’ouverture du Festival de Cannes. C’est évidemment le reflet de notre volonté de voir le Festival commencer avec une œuvre différente, forte et émouvante. Le film d’Emmanuelle Bercot dit des choses importantes sur la société d’aujourd’hui, dans la tradition d’un cinéma moderne, pleinement engagé sur les questions sociales et dont le caractère universel en fait une œuvre idéale pour le public mondial, qui sera au rendez-vous à Cannes. »

 Non, ce n’est pas un Boyhood bis

Le film a été pour moi une heureuse surprise. Emmanuelle Bercot ne choisit pas la facilité avec ce drame quasi documentaire qui suit l’itinéraire d’un jeune de ses six à dix-huit ans. A ce stade, un tel parcours a amené certains à faire un parallèle avec Boyhood de Richard Linklater. Je ne les suis pas sur cette comparaison. Certes on suit un jeune durant une dizaine d’années, mais dans le cas présent, il y a plusieurs acteurs et la durée du tournage a été conventionnelle. Nous sommes donc très loin du génie de Linklater qui a voulu intégrer la durée dans la réalisation même de son film, équivalente à celle du flux temporel qui emporte les acteurs, certains de l’enfance à l’adolescence, d’autres de l’âge adulte à la pleine maturité.

Ici, au contraire, il n’y a pas vraiment d’évolution des personnages, d’une part, et nous sommes dans le cadre d’une réalisation « classique » de la gestion du temps : un enfant (Enzo Trouillet, son seul rôle à l’heure actuelle) pour incarner le jeune Malony et un adolescent, Rod Paradot, pour l’incarner de ses 13 à 18 ans. Ce sont d’ailleurs ces années qui sont majoritairement couvertes par le film. Si comparaison il y a à faire avec un film, ce serait Mommy de Xavier Dolan qui résonnerait le mieux avec La tête haute.

 Un drame social

Nous avons affaire ici à un drame social qui nous permet de suivre le parcours d’un enfant « difficile », violent, jusqu’à l’adolescence. Celui-ci est scandé par sept scènes qui se déroulent dans le bureau du juge. Ou plutôt, une juge, proche de la retraite, interprétée par Catherine Deneuve qui suivra donc Malony de ses 6 à 17 ans. Sept huis clos qui seront le lieu d’autant de confrontations. Ceux-ci sont très bien rendus à l’écran, notamment par les changements de luminosité (souvent faible). Dans ce bureau, plaque tournante où les protagonistes font le choix de leur avenir, consciemment ou poussés par leurs affects, nous croiserons plusieurs protagonistes. Outre Malony, sa mère à qui Sara Forestier donne corps de façon éblouissante, il y a la juge, mais aussi un éducateur qui accompagnera le jeune. C’est Benoît Magimel qui joue ce rôle et il a semble-t-il puisé dans sa propre jeunesse mouvementée pour trouver les ressources pour son interprétation. D’autres acteurs seront présents ou convoqués dans ce bureau, ainsi le procureur de la République ou l’avocat de Malony.

 Rob Paradot est magistral

Une chose est remarquable dans ce film : l’interprétation de Rod Paradot, qui vole la vedette à d’autres, connus et confirmés ! Premier rôle d’un jeune acteur, découvert par la responsable du casting dans un lycée professionnel à Satins où il faisait un CAP de menuiserie. Il était important pour elle de trouver un jeune qui ne fasse pas partie des clichés relatifs aux délinquants : immigré, basané, drogué, membre d’un gang ! Il fallait aussi que l’acteur soit assez juvénile et mature pour interpréter le rôle d’un ado de ses 12 à 16 ans. Enfin, il était important que, malgré ses très nombreux accès de violence, le spectateur puisse avoir de l’empathie pour le personnage. Celui-ci devait révéler tendresse, émotion et fragilité derrière les apparences d’un animal totalement incontrôlable. S’agissant de cliché, Emmanuelle Bercot a fait le choix de la musique classique plutôt que du rap pour la bande-son. Et au final, cela apporte un dimension lyrique à ce drame d’une grande âpreté.

 Animal encagé/enragé !

Autant dire que l’essai est totalement réussi. Paradot incarne tout cela de façon magistrale. Sa violence ne disparaît jamais, sauf lors de quelques moments fugitifs. Il lui est difficile d’aimer, d’être tendre. Lorsqu’il a une relation amoureuse (avec la fille de l’un des professeurs du centre de détention) la relation physique sera (très) brutale. A son corps défendant (en jouant sur les mots !), en quelque sorte. Car, il n’en peut, cela sort de lui, il n’en peut, n’y peut rien et en même temps, on pressent qu’il se défend, que tout ce qui est hors de lui le met hors de lui, l’agresse. C’est un animal encagé qui n’a pas appris l’humanité. Il est dépossédé de lui-même, soumis à l’arbitraire des décisions d’autrui, de l’abandon maternel (même si nous découvrons la mère et le fils dans certaines scènes où ils apparaissent très complices). Ce jeune m’a rappelé une anecdote racontée par un directeur de prison, alors que j’étais officier de police judiciaire. Un prisonnier lui disait : « Vous avez tous quelqu’un en dessous de vous que vous pouvez mépriser. Moi, je n’ai personne (à part moi-même) ».

 Spirale de la violence

Le parcours de Malony est une véritable spirale de la violence. Chaque fois que l’on pense qu’une porte est ouverte, qu’il pourra sortir, s’en sortir, il fuit, s’échappe en sortant de ses gonds, par une nouvelle (ré)action violente. Certains pourront se dire que c’est de trop, que l’on pousse le bouchon trop loin, que l’on frise la perte d’empathie pour Malony à qui l’on a donné tant de chances qu’il n’a pu saisir. Et pourtant, je me souviens de ma propre adolescence, où placé moi-même comme « enfant de juge », « mineur en danger », j’étais confronté dans la famille d’hébergement à des adolescents délinquants. Pour promouvoir un véritable travail éducatif, les uns et les autres étaient « éduqués » ensemble. La distinction entre « délinquant » et « mineur en danger » me semble faible aujourd’hui. Il eut fallu de peu que je devienne délinquant et les jeunes délinquants que je fréquentais alors étaient, d’une certaine façon des mineurs en danger. Plusieurs ont ainsi eu de très nombreuses crises de violence. Tout comme celle de Malony dans le film, on ne voit et ne retient plus que cela.

 Un docu-fiction ?

En ce sens, on peut comprendre que le film donne l’illusion d’être une sorte de docu-fiction. C’est d’autant plus évident que la réalisatrice a fait appel à des non professionnels pour jouer certains rôles, dont des éducateurs. Au final, nous avons là un excellent film. Ce qui est un défaut pour certains, à savoir la répétition de la violence, est à mon estime un de ses atouts qui permettra d’envisager, avec la naissance d’un enfant une possible rédemption que l’on découvrira à l’écran. Tout cela est servi par une excellente préparation en amont : la scénariste a fait un stage de plusieurs semaines au tribunal pour enfants de Paris, elle a assisté à plusieurs audiences. Elle a rencontré des éducateurs de centre spécialisés... Avec son film, la réalisatrice illustre cette phrase d’un juge de la jeunesse : « L’éducation est un droit fondamental. Il doit être assuré par la famille et si elle n’y parvient pas, il revient à la société de l’assumer… » . On ne peut donc que saluer le courage des responsables de Cannes d’avoir choisi ce film pour l’ouverture de ce 68e festival.

Lien vers une interview de la réalisatrice sur le site du Festival.

La bande - annonce de La tête haute (Catherine Deneuve)
Cathy Solange


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