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CINECURE
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Ziad Doueiri
L’insulte
Sortie le 24 janvier 2018
Article mis en ligne le 18 janvier 2018

par Charles De Clercq

Synopsis : Lors de la rénovation d’un immeuble à appartements à Beyrouth, Toni, un Chrétien libanais, et Yasser, un réfugié palestinien, se disputent au sujet d’un problème de plomberie. La discussion s’envenime et Yasser finit par insulter Toni. Blessé dans son orgueil, Toni décide de porter plainte. Rapidement, ils sont tous deux entrainés dans une spirale infernale dont la portée ira bien au-delà des murs du tribunal.

Acteurs : Adel Karam, Rita Hayek, Kamel El Basha

L’insulte ce pourrait être une comédie, ou un film tragi-comique voire un film de procès, un séjour en absurdie. Et pourtant ce n’est rien de tout cela. Ziad Doueiri avait déjà réalisé le très remarquable L’Attentat que nous résumions, en clin d’oeil cinématographique par « Il s’agit d’une enquête sur une citoyenne au-dessus de tout soupçon ! ». L’histoire se déroule à Tel Aviv. Après un attentat-suicide, le docteur Jaafari, chirurgien d’origine palestinienne, découvre que son épouse fait partie des victimes. La police lui apprend alors qu’il s’agissait de la kamikaze.

Dans L’insulte, le réalisateur déplace l’intrigue au Liban. Il y sera question également de Palestiniens, mais aussi, voire surtout, de leur place dans la société libanaise et même « arabe » en général. Ici, le propos de Ziad Doueiri - qui a été assistant caméra de Tarantino - est éminemment politique. Le réalisateur libanais - qui s’oppose au boycott d’Israël et a tourné dans ce pays L’Attentat, avec des acteurs israéliens rend compte des difficultés d’être palestinien hors de son pays (si tant est qu’il en soit encore un !), mais pas seulement. L’insulte serait ici le pendant de l’injure dont parle Didier Eribon dans son livre L’injure où il traite de la condition homosexuelle en termes d’oppression tout en démontant les mécanismes de la persécution. Ici, l’insulte semble bien mineure, banale, une bête querelle qui aurait pu être de voisinage, même pas digne d’une Justice de Paix. Et pourtant, ce qui est d’une banalité triviale va mener à des conséquences insoupçonnables. Dans la surenchère tout d’abord, chaque réaction suscitant des réactions, pas nécessairement violentes ou voulues, mais qui poussent les uns et les autres dans leurs retranchements. Et si l’on pense d’abord qu’il s’agit de fierté et que cela ne pourra se régler que devant les tribunaux comme dans Une séparation d’Asghar Farhadi. Ou encore sur le jeu entre avocats des deux parties qui sont liés entre eux (ici le père et la fille, à l’image de la série Goliath sur Amazon Prime où mari et femme sont dans des camps opposés). Certes l’on se trouve sur ce terrain-là.

C’est que bien plus que question de procès et de droit donc, il s’agit d’une blessures ou de blessures jamais cicatrisées. Blessures intimes et collectives, analogues, d’une certaine façon à d’autres, traitées en 2015 par Fatih Akin dans The Cut (traduit en français par La blessure). C’est que si Toni parle, crie pour défendre son droit d’une façon qui dépasse l’entendement (et nous jouons ici volontairement sur le mot, dans le sens trivial de cela ne vaut pas la peine, mais aussi, bien plus profondément qui ne peut pas être entendu parce cela ne peut pas être dit parce tu depuis trop longtemps). Et si Yasser, le réfugié se tait, c’est pour d’autres blessures infligées par les siens à cause... d’une cause non entendue. Nous ne voulons pas ’spoiler’ (ou divulgâcher comme disent les Québecquois l’intrigue de ce film remarquable. Le spectateur fera la découverte que nous ne comprenons pas tous les enjeux, très complexes, de ce qui se passe au Liban (mais aussi en Syrie, ainsi que la question palestinienne, etc.). Il s’agit ici des thèmes difficiles du pardon et de l’oubli.

Sortant de la salle, le spectateur aura probablement pris conscience que tout ce qui a trait à la Palestine et à la défense du peuple palestinien est bien plus complexe que tout ce qu’il peut en penser en en dire. Que tout n’est pas en noir et blanc et ne peut pas être réduit aux antagonismes primaires entre bons et mauvais. Il comprendra aussi que malgré ou à cause du poids du passé, le palestinien n’est bienvenu nulle part, même pas chez les siens, entendons dans ce que l’on appellera de manière triviale au risque de la caricature, chez « les Arabes ». Et, en quelque sorte, par un étonnant retournement de situation, nous serons probablement face désormais au « Palestinien errant ».



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