Bandeau
CINECURE
L’actualité du cinéma

Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

Sébastien Marnier
L’heure de la sortie
Date de sortie : 10/07/2019
Article mis en ligne le 1er octobre 2018

par Charles De Clercq

Synopsis : Lorsque Pierre Hoffman intègre le prestigieux collège de Saint Joseph il décèle, chez les 3e 1, une hostilité diffuse et une violence sourde. Est-ce parce que leur professeur de français vient de se jeter par la fenêtre en plein cours ? Parce qu’ils sont une classe pilote d’enfants surdoués ? Parce qu’ils semblent terrifiés par la menace écologique et avoir perdu tout espoir en l’avenir ? De la curiosité à l’obsession, Pierre va tenter de percer leur secret...

Acteurs : Laurent Lafitte, Emmanuelle Bercot, Pascal Greggory, Gregory Montel, Luàna Bajrma, Thomas Scimeca, Gringe, Adèle Castillon...

Nous attendions beaucoup de ce deuxième long-métrage de Sébastien Marnier dont nous suivons le parcours tant comme romancier que comme cinéaste et que nous traitons plus amplement dans la critique de son premier long métrage de fiction, Irréprochable. Et pour tout dire, nous ne sommes pas déçu, loin de là ! Voici notre (re)lecture (contaminée par d’autres visions, récentes et anciennes) d’un film qui nous a fait vibrer.

 Un roman librement adapté

Sébastien Marnier co-écrit le scénario de son nouveau film avec Elise Griffon, sa complice, voire sa muse, dans d’autres œuvres. Ils adaptent ici un roman homonyme, de Christophe Dufossé, publié en 2002 et couronné du « prix du premier roman ». Nous n’avions pas lu ce livre lors de sa... sortie mais tout récemment puisque nous avons l’habitude ou le travers, de confronter films et sources adaptées au cinéma. Celui qui aura lu le livre avant le film se pensera fort d’une information essentielle : le pourquoi des événements et attitudes et, surtout, de la « fin », de l’événement conclusif de l’intrigue. Il serait ainsi, tel le narrateur omniscient, celui qui pourrait se raconter le film et le prévoir tout du long de son déroulement. Et pourtant, il n’en sera rien car Sébastien Marnier adapte très librement cette première œuvre romanesque. Librement ne veut pas signifier ici trahison, même si de nombreux éléments de l’intrigue ont été modifiés ou abandonnés. Nous pourrions ici établir des comparaisons vaines qui n’apporteraient rien au regard que l’on peut porter sur le film.

 Un roman épuré au feu de la sagesse

Nous en retirons toutefois l’impression d’une épure du roman, comme si le cinéaste avait lu le bouquin et l’avait laissé décanter et murir jusqu’à « bien vieillir » (et nous songerons ici pour l’avoir vu au dernier Lars von Trier The House that Jack Built dans une scène sur la vinification à partir de raisin que l’on a laissé sur les ceps jusqu’à la pourriture noble !). Que reste-t-il du raisin (ou d’un animal dont le corps se décompose - image à laquelle on peut songer aussi en voyant certaines images du film ou plutôt « dans » le film !) lorsque le temps a fait son effet ? Nous avons cette impression que Sébastien Marnier a saisi une ossature du roman, un thème et un fil conducteur pour les remanier avec l’évolution du temps, de la société, un peu comme l’on « construit » peu à peu un bonsaï, au fil des années.

 Quelque chose va se passer !

Le synopsis est assez éclairant, sans trop en dire, pour que le spectateur comprenne qu’il se passe des choses dans ce collège catholique St-Joseph. Elles concernent des élèves surdoués au comportement étrange. Arrive un professeur (remplaçant son collègue suicidé) qui ne fait que des intérims (comme l’on dit chez nous) tout en préparant une thèse sur Kafka et La Métamorphose (et l’on ne s’est donc pas étonné d’images cauchemardesques récurrentes de cafards, aux frontières du réel, en quelque sorte !) alors même que l’auteur et l’œuvre sont connus de la classe de surdoués. Cette rencontre-là, d’autres aussi, des échanges, des réflexions avec ces jeunes encore enfants mais plus totalement, laisse augurer que quelque chose se trame. L’ambiance est à la fois proche de films de genre (où les enfants ne sont pas ce qu’ils prétendent être) et d’autres qui abordent des enjeux de société, tel Nocturama de Bertrand Bonello. Quelque chose se passe et va se passer. La banalité des images et des situations de départ - cependant dé-rangées par le suicide inaugural - va peu à peu se transformer pour générer une angoisse, amplifiée par la bande musicale de Zombie Zombie, à laquelle s’ajoutent d’autres sons qui accentuent le malaise.

 Les désarrois de maître Pierre !

Notre sous-titre fait ici référence explicite au premier roman de l’écrivain autrichien Robert Musil, Les Désarrois de l’élève Törless, publié en 1906, auxquels nous font songer tant le roman de Dufossé que l’adaptation de Sébastien Marnier. C’est que si les jeunes de la classe ont l’air de bien vivre leur différence dans une bulle, leur maître lui est décontenancé et intrigué. Commence pour lui une (en)quête du « quoi », du « pourquoi » dont il n’est pas certain qu’il possède toutes les clés d’une part, et que, par ailleurs, il ne soit pas le maitre du jeu. C’est que celui qui observe peut être observé. Et que même en observant bien, il faut pouvoir décoder et interpréter correctement ; qu’il s’agisse de coups de téléphone mystérieux, de vidéos, de jeux (parfois violents) de jeunes. Il semble bien que plus Pierre surveille et découvre des choses, plus il voit des images récurrentes d’un monde en déliquescence (celui-là même qui est laissé par sa génération à la suivante qui s’en inquiète ici) plus il s’embourbe dans une sorte de rêve éveillé, comme s’il y avait une dissolution du réel, comme si fantasmes, rêves, cauchemars s’entremêlaient avec ce qu’il croit comprendre et découvrir des enfants de cette classe si particulière !

 Des enfants qui ne le sont plus !

Ces surdoués quittent le monde de l’enfance, il ne sont déjà plus des enfants et pas encore vraiment des adolescents. Ils sont en période de mue (celle de la voix probablement) mais plus encore la leur, à l’image des serpents qui laissent là les oripeaux d’un corps dépassé. Ces jeunes en transition, voire en transit, confrontés à un héritage qu’il ne peuvent assumer sont ici en décalage par rapport aux adultes et surtout par rapport à Pierre qui ne saisit pas (encore) où et comment cela se terminera. Ce passage d’un état à l’autre, c’est aussi celui d’une identité en construction qui se découvre après un examen et dont la trace physique se cache dans les poubelles des toilettes alors même que l’identité affective de Pierre est questionnée par celle qu’il épie dans une scène d’une grande densité émotionnelle. Comme si la maturité n’était pas ou plus du côté des adultes.

 La fin d’un monde ?

Le monde tranquille tel que nous le connaissons et rêvons n’est plus. L’écologie est utilisée comme argument de vente mais semble être réduite à une philosophie ringarde qui fait soupirer de nostalgie la génération de ’68 ou mobilise quelques éco-terroristes ! Nous - qui avons été victime de l’attentat du 22 mars 2016 pour avoir été dans le métro à quelque mètres du terroriste - avons vibré à une scène dans une classe dans le cadre d’exercices en prévision d’attaques terroristes. Ces images-là comme d’autres, récurrentes tout au long du film (celles-là filmées ou compilées par ceux et celles qui hériteront du monde que nous leur laissons) font toute l’atmosphère du film et en accentuent la tension et le malaise jusqu’à ce que parfois le rêve et la réalité se confondent, fusionnent. Les coupures du courant ne sont pas celles de Ravage de Barjavel qui en 1943 interrogeait déjà la société ; elles ne sont celles craintes par nos sociétés économiques ou envisagées par les tenant de la collapsologie qui interpellent depuis Le Club de Rome en 1972, car elles tiennent plutôt du rêve éveillé dans le film de Sébastien Marnier. Il nous est apparu toutefois que ces questions de société sont terriblement prégnantes dans sa dernière œuvre, comme si, à l’image des DVD cachés dans le film, il voulait rendre visible un message qui lui tient à cœur. La toile cinématographique serait ici et ainsi, pour nous, à l’image de l’écran de l’ordinateur de Pierre. Au vu des dernières images, et donc d’une fin différente du roman, nous songeons alors à Melancholia, de Lars von Trier (2011). Même si nos références ne sont peut-être ou probablement pas celles du romancier et du réalisateur, il nous apparait donc que au-delà de son aspect assumé d’un film de genre, L’heure de la sortie est bien plus que cela. Et nous pourrions jouer ici sur le mot même « sortie », porteur de multiples sens et interprétations. Sébastien Marnier, grâce et par-delà son film, oblige à réfléchir à des enjeux de société (voir collapsologie ci-dessus), qui ont été évoqués dans la presse, voir, par exemple, cet article de Laure Noualhat « Le scénario de l’effondrement l’emporte », publié en juin 2012 dans Libération ou encore, cette réflexion de Romain Lehnhoff, un jeune réalisateur franco-allemand, publiée cet été sur son blog.

 Un casting de talents

Concluons sur le jeu des acteurs. Si Laurent Lafitte est fabuleux dans ce rôle qui lui va comme un gant, il faut, plus encore relever celui des six jeunes acteurs principaux. Outre l’urgence de tourner à un âge où les corps évoluent rapidement, ils sont très justes dans leurs interprétations et arrivent à générer l’angoisse qui sourd tout du long du film à tel point que nous nous demandons si, à la manière d’un jeu de rôles, ils n’ont pas puisé en eux-mêmes, dans leurs propres angoisses, de quoi rendre avec beaucoup de vérité ce qu’il nous est donné à voir.

 Bande annonce :

https://www.youtube.com/embed/_idO59WJ2EI
L'HEURE DE LA SORTIE Bande Annonce (2019) Thriller Français, Laurent Lafitte - YouTube


Espace privé RSS

2014-2024 © CINECURE - Tous droits réservés
Haut de page
Réalisé sous SPIP
Habillage ESCAL 5.0.11