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CINECURE
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Stephan Streker
L’ennemi
Date de sortie : 26/01/2022
Article mis en ligne le 16 janvier 2022

par Charles De Clercq

Synopsis : Un célèbre homme politique est accusé d’avoir tué son épouse retrouvée morte, une nuit, dans leur chambre d’hôtel à la Mer du Nord. Est-il coupable ou innocent ? Personne ne le sait. Et peut-être lui non plus.

Acteurs : Jérémie Renier, Alma Jodorowsky, Emmanuelle Bercot, Félix Maritaud, Peter Van den Begin, Sam Louwyck, Zacharie Chasseriaud, Bruno Vanden Broecke, Jeroen Perceval

Pour son quatrième long-métrage, Stephan Streker puise une deuxième fois dans le monde belge pour créer une fiction qui dépasse le cadre de celui-ci. Si Noces, malgré son ancrage belge, pouvait prétendre à l’universalité de son propos et pouvait être perçu et compris hors de Belgique (et principalement en francophonie), ce n’est pas le cas de cet « ennemi » ! Certes tout qui verra le film peut le comprendre sans son enracinement belge, mais sa belgitude : — entendons l’Affaire Wesphael puisque c’est de celle-ci que Stephan Streker s’inspire très très librement — et aussi les références géographiques et linguistiques ajoutent une dimension toute particulière au film qui donnera des clés de lecture supplémentaires au spectateur belge. Un film qui débute par une chanson de Mouloudji, Un jour tu verras : « Un jour, tu verras, on se rencontrera, quelque part, n’importe où, guidés par le hasard... ».

Sans priver les autres de cette histoire nationale, il n’empêche que le film s’adresse d’abord à un public belge. Et, comme d’autres films qui ont abordé des questions judiciaires (ainsi Joachim Lafosse dans A perdre la raison à propos du quintuple infanticide de Nivelles) le sujet est délicat à traiter puisque dans le cas présent l’accusé a été acquitté au bénéfice du doute. Il s’agit désormais de la vérité judiciaire qui seule à force de loi et si le doute profite toujours à l’accusé, plusieurs se sont fait leur religion, dans un sens ou dans l’autre et cela a divisé dans le pays. Il nous faut donc sortir du cadre strict de cette affaire Wesphael pour nous attacher, comme le réalisateur, à une autre, l’affaire Louis Durieux. Un homme politique francophone qui (comme il se doit ?) ne parle pas le néerlandais (ou le flamand, soit la langue utilisée par 65% des Belges) et se destine à être Premier ministre.

Il nous sera donné à voir, ou plus exactement à ne pas voir, ce qui se passe dans une chambre l’hôtel où sa femme Maeva (Alma Jodorowsky) mourra étouffée par un sac en plastique. Suicide ? meurtre déguisé en suicide ? Tout comme l’histoire originelle, aucun élément ne permet véritablement de déterminer la « vraie vérité » et la caméra de Stephan Streker ne nous montrera rien. Si ce n’est, en périphérie, l’avant et l’après, dans des versions différentes. Selon celui qui raconte ou témoigne. Mais s’agit-il pour autant de mensonge versus vérité ? De faux témoignage ? De notre expérience d’officier de police judiciaire, nous savons la fragilité du témoignage, du souvenir (et même sur ce thème, des expériences ont été faites qui montrent que l’on peut faire exprimer par quelqu’un un souvenir de quelque chose qu’il n’a pas vécu/commis !). Seules comptent les preuves matérielles. Elles seules peuvent exprimer la vérité. Mais si celles-ci sont mal comprises, si les résultats sont mal interprétés dans une autre échelle de grandeur (ou de petitesse) suite à un problème de traduction, que valent-elles ?

Tout l’intérêt du film est de ne pas se concentrer sur la réalité des faits ni sur le procès. Le film n’est d’ailleurs ni un réquisitoire ni un plaidoyer, mais une réflexion sur la façon dont une vie humaine peut basculer lorsque l’on est partie prenante ou concernée par un événement aux conséquences irréversibles. Il est impossible de revenir en arrière. On peut (se) faire le film d’une existence, penser aux événements qui ont conduit à l’inéluctable et à l’impossible, on ne peut revenir en arrière et la mémoire ne sera en l’occurrence d’aucune aide, sauf à faire de vous un ennemi. Pour ce que l’on a dit, pour ce que l’on n’a pas dit. Pour ce que les autres croient, ne croient pas, croient savoir, pensent et supposent. Et, dans le cas présent, l’ennemi est probablement soi-même !

En revanche, si le film ne se concentre pas sur le procès et ne nous montre pas non plus ce qui s’est « vraiment » passé et qui est donc occulté, il s’attache à l’emprisonnement de son protagoniste principal (excellent Jérémie Renier). Et tout le génie du réalisateur est de mettre celui-ci en cellule avec quelqu’un qui lui à réellement commis quelque chose de très grave, comme on l’apprendra dans le courant de l’intrigue, Pablo Pasarela de la Peña Prieta y Aragon, brillamment interprété par Félix Maritaud (que l’on avait découvert dans 120 battements par minute, Un couteau dans le cœur, Jonas, et tout particulièrement Sauvage) et sert de vis-à-vis et confident à Louis Durieux. Il laisse même transparaitre un soupçon d’homosensualité dans son personnage et ajoute à l’ambiguïté de celui-ci. Un autre confident sera lui dans la cour de la prison, l’homme qui parle sept langues (Sam Louwyck).

Et c’est ici qu’il faut mettre en lumière le casting impeccable du film, non seulement par sa belgitude, avec des acteurs francophones et néerlandophones (Zacharie Chasseriaud, Sam Louwyck, Peter Van den Begin, Jeroen Perceval, Bruno Vanden Broecke...), mais également français (Félix Maritaud, Emmanuelle Bercot, Alma Jodorowsky). Certains ont déjà travaillé avec Stephan Streker, mais tous sont au service de l’intrigue et donnent corps à celle-ci que le réalisateur a su exploiter avec pudeur et respect.

Il sera donné à chacun de juger ou pas Louis Durieux. Est-il coupable ou innocent ? La réponse ne nous est pas donnée. En revanche il nous est donné de découvrir ce qu’il advient de nous lorsque nous sommes dans l’impossibilité de communiquer. Lorsque le tribunal du Net se fait juge à la place des juges. Lorsque l’opinion publique décide (dans un sens ou dans l’autre). Lorsque nous ne pouvons présenter qu’un masque impassible, non pas pour ne pas montrer nos sentiments, mais parce que nous ne comprenons pas ce qui nous arrive. Qui peut répondre à la question de savoir ce qui s’est passé dans la chambre 108, lorsque le protagoniste principal dira lui-même à son compagnon de cellule : « Même si je n’ai rien fait dans cette chambre, je ne suis pas sûr que cela fasse de moi un innocent » !



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