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CINECURE
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Xavier Giannoli
L’apparition
Sortie le 14 février 2018
Article mis en ligne le 27 janvier 2018

par Charles De Clercq

Synopsis : Jacques, grand reporter pour un quotidien français reçoit un jour un mystérieux coup de téléphone du Vatican. Dans une petite ville du sud-est de la France, une jeune fille de 18 ans a affirmé avoir eu une apparition de la Vierge Marie. La rumeur s’est vite répandue et le phénomène a pris une telle ampleur que des milliers de pèlerins viennent désormais se recueillir sur le lieu des apparitions présumées. Jacques qui n’a rien à voir avec ce monde-là accepte de faire partie d’une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur ces événements.

Acteurs : Vincent Lindon, Galatea Bellugi, Patrick d’Assumçao.

En résumé : Le dernier film de Xavier Giannoli offre deux possibilités de lecture. La première, est liée à son titre. Elle suit, au plus près, une enquête canonique de l’Eglise catholique sur un phénomène d’apparition (de Marie). Sans être « documentaire », cette partie très bien documentée permet de voir les progrès d’une enquête, sa minutie, les enjeux en présence ainsi que les tensions, dérives et récupérations qui s’ensuivent. Paradoxalement, l’Eglise y apparait plus prudente que les fidèles qui ont une dévotion pour la voyante. La deuxième, elle, accompagne la démarche rigoureuse d’un correspondant de guerre, et hors des frontières et chemins balisés, pour découvrir une vérité. Cette lecture du film est la plus passionnante sous forme d’un duel entre le journaliste et la voyante. La vérité pourra-t-elle en sortir ? Que faut-il abandonner pour y arriver. Qu’est-ce qui doit mourir en l’humain pour que soit découvert de qui l’on est porte-parole ? Il faudra alors symboliquement faire retour à l’origine, par un autre chemin, pour déposer une offrande de feu face à une porte close. Occasion pour le critique/prêtre qui signe cet article d’ouvrir des perpectives bien au-delà de la simple recension de L’Apparition !

Avec L’apparition et après A l’origine et Marguerite, Xavier Giannoli s’aventure non pas tellement dans un domaine religieux (à la fois hors du temps et présent plus que jamais dans certaines de nos sociétés), mais plus sur le terrain du vrai et du cru. Non pas du vrai et du faux, mais du décalage entre les énoncés et ce qui est « reçu » (vu, entendu, compris, diffusé). Pour A l’origine il s’agit d’une arnaque à laquelle des gens ont cru parce qu’ils voulaient y croire tandis qu’avec Marguerite, qui a donné son prénom au titre du film, la chanteuse n’en est pas vraiment une, mais a la certitude de chanter juste tandis que ses auditeurs lui renvoient un miroir qui lui confirme la chose.

Avec L’apparition nous serions dans la même ligne : peut-on croire une voyante lorsque celle-ci annonce quelque chose qui n’est pas croyable, mais que beaucoup veulent croire ? Nous y reviendrons. L’intrigue « religieuse » se double d’une autre : l’enquête et les investigations d’un reporter de guerre agnostique ou incroyant. Au niveau cinématographique, le film est intéressant, mais aurait gagné à être plus court. Ses deux heures vingt sembleront bien longues à beaucoup qui auront l’impression de trop nombreuses répétitions d’un « message » que somme toute ils auront compris ou croiront avoir compris. En revanche ils regretteront que l’enquête du journaliste ne soit pas plus développée. Elle leur semblera trop elliptique alors que c’est probablement ce qu’il y a de plus riche dans le film. De celui-ci on retiendra certes la « présence » de Vincent Lindon, mais, plus encore, celle de Galatea Bellugi (Keeper et Réparer les vivants)

Celui-ci a cependant l’intérêt de ne pas être caricatural et n’est donc pas une thèse pour ou contre le « phénomène » des apparitions ; bien plus, il semble bien documenté et apporte un éclairage sur les différentes thèses en présence. A ceux et celles qui se poseraient la question de la « vérité » des apparitions (dont il est question dans le film) et du don par « la Vierge » à Anna d’un linge taché de sang (supposé être celui du Christ) nous ne donnerons pas de réponse, non pas que celle-ci soit essentielle pour comprendre (ou pas) le propos du film, mais parce que la démarche est plus intéressante que le point d’arrivée. Un peu comme les pèlerinages où c’est celui-ci qui est plus important, le chemin parcouru, plus que l’arrivée. Et n’oublions pas que les pèlerinages ne sont pas une pratique enfermée dans le catholicisme et qu’ils sont bien plus vastes et plus anciens. De même que les guérisons, comme nous avons pu l’écrire dans la critique de Kazarken. Signalons aussi que ce qui a trait aux apparitions n’est pas une obligation de croire, pour les catholiques même celles « confirmées » par l’Eglise catholique.

Et justement, en ce domaine, le film montre bien les divisions internes entre ceux qui y croient et ceux qui doutent ou ne croient pas du tout, disons « les sceptiques ». Bien plus, c’est l’institution ecclésiale elle-même qui est bien plus prudente que les fidèles. Comme si se jouait là en antécédence de toute proclamation dogmatique un ressenti du « peuple » et une attente de merveilleux devant laquelle l’Institution est à tout le moins circonspecte. Par ailleurs, les miracles « reconnus » comme tels sont rares. Le critère est qu’ils ne puissent être expliqués « naturellement » et qu’ils contreviennent donc aux règles de l’Univers (soit donc, pour le croyant, celles fixées par son Dieu qui y dérogerait selon son bon vouloir ; d’autres, croyants ou pas, rétorqueront que cet arbitraire est terrifiant et que si « Dieu » peut ainsi contrevenir aux lois « naturelles » et en dépit de tout ce que nous enseignent les sciences dures, quantiques ou autres, pourquoi n’aurait-il pas sauvé tel ou tel enfant d’une mort atroce ; les plus critiques enfin répliqueront en faisant valoir qu’un amputé n’avait jamais vu ses membres lui revenir ou quelqu’un a qui on a enlevé un rein se retrouver avec les deux). Il n’y aurait donc pas une dichotomie ou une tension qui se traduirait par « si l’un croit aux pèlerinages, miracles, voyances, et l’autre pas, l’un des deux a forcément raison ! » (ceux/celles qui veulent aller plus loin peuvent cliquer sur le lien suivant).


Un développement sur le rapport vrai/vérité

Un même énoncé peut être traité de deux façons, soit dans la mesure où il met en cause une “vérité” (problématique du “savoir”), soit en tant qu’il a une valeur “contractuelle” (problématique du “croire” -et de la “croyance” liée à la réception de cet énoncé comme base de production d’un groupe).

Il n’y a pas de “croire” sans un rapport à l’autre et un rapport à un “faire”, un produit. Le “croire” est un principe de socialité, mais ne concerne pas essentiellement la vérité.
Le “cru”, c’est aussi ce qui est “reçu”. En ce sens, la croyance (en d’autres mots “adhésion non volontaire”) est la communication. Ce reçu n’est pas second, il est toujours structurellement premier (il me semble qu’Aristote plaçait avant tout savoir et toute science un “endoxon” -le reçu-).

La question du vrai, c’est-à-dire : “est-ce que cela est vrai ou faux ?” n’apparaît que dans un moment second, par rapport à un reçu !

A un premier niveau, le vrai peut être abordé comme le monopole d’une instance sociale qui énonce quelque chose comme vrai. En fait, ce qu’elle énonce, c’est le « croyable disponible ».

Le projet de l’institution est de faire croire en disant que c’est vrai. « Acceptez ce que je vous fais croire et que je vous dis comme étant vrai - et moi, instance de pouvoir-institution, j’en retire de tout tenir ensemble, tandis que vous en retirez le fait que je donne satisfaction à votre quête d’amour et d’identité ; je vous donne une identité ! » Ainsi l’institution place un « JE » dans un « ensemble » (d’où, par exemple « JE » est belge, « JE » est socialiste, etc.)

Le risque d’une institution de vérité est de faire croire ce qu’elle ne peut donner. L’institution ecclésiale, elle, s’installe au nom de Dieu là où n’importe qui a envie d’être garanti contre la mort, d’être reconnu par une autorité qui assure une identité, d’être aimé par un pouvoir.


C’est donc tout l’intérêt du film de montrer ces tensions qui amèneront peut-être à (se) poser des questions relatives aux mouvements populaires, à leur récupération éventuelle par l’Institution ou des mouvements qui contestent celle-ci quand elle n’est pas du même avis, mais aussi à la récupération commerciale d’une part et celles de personnes de bonne foi, d’autre part, et là, avec un discernement obvié parce que ce en quoi ils veulent croire donne sens à leur existence. On pourra aussi s’interroger sur le fait que la focalisation se fait sur le messager (en l’occurrence la voyante) et pas sur le message. Pour ce qui a trait au linge matériel remis par l’apparition « immatérielle », nous sommes dans les mêmes conditions que le « coup du poisson » dans un des évangiles ou l’auteur met en scène le « Ressuscité » qui mange du poisson sur le bord de l’eau où un de nos professeurs posait la question de savoir comme un poisson non glorifié pouvait être absorbé par un corps glorifié. Et aux sceptiques qui doutaient (probablement à juste titre) des apparitions mariales, le même professeur invitait à la réflexion, faisant état que le même registre était utilisé par les Ecritures pour exprimer un des modes, non de présence, mais de découverte du « Ressuscité ». Non pas que cela serait plus vrai (ou moins vrai) dans ce cas que dans celui de la Vierge, mais qu’il s’agit là d’un mode d’expression pour exprimer ce qui échappe à la l’expression humaine « rationnelle ».

Toutefois, au-delà de ces pistes ouvertes pour la réflexion, nous invitons les spectateurs à être attentifs à l’enquête de Jacques, le journaliste, une investigation dont le point d’arrivée (en Syrie) fera écho au point de départ du film !



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