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CINECURE
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Cinécure est un site appartenant à Charles Declercq et est consacré à ses critiques cinéma, interviews. Si celui-ci produit des émissions consacrées au cinéma sur la radio RCF Bruxelles, celle-ci n’est aucune responsable du site ou de ses contenus et aucun lin contractuel ne les relie. Depuis l’automne 2017, Julien apporte sa collaboration au site qui publie ses critiques.

André Téchiné
L’adieu à la nuit
Sortie le 24 avril 2019
Article mis en ligne le 31 mars 2019

par Charles De Clercq

Synopsis : Muriel est folle de joie de voir Alex, son petit-fils, qui vient passer quelques jours chez elle avant de partir vivre au Canada. Intriguée par son comportement, elle découvre bientôt qu’il lui a menti. Alex se prépare à une autre vie. Muriel, bouleversée, doit réagir très vite.

Acteurs : Catherine Deneuve, Kacey Mottet Klein, Oulaya Amamra, Stéphane Bak, Kamel Labroudi.

Il y a deux ans, nous avons vu au Festival International du Film d’Amour de Mons (où nous étions membre du jury presse) Mourad et Sophie, un court-métrage d’un jeune réalisateur, Pierre Bouquet. Le film, d’une durée de 14 minutes racontait l’histoire de deux jeunes, Mourad et Sophie. Ils vivent leur première histoire d’amour. Mais à la veille du départ en vacances de Mourad pour Londres, Sophie est troublée par le comportement étrange de celui qu’elle aime… Ce court métrage, projeté dans plusieurs festivals n’est malheureusement pas disponible pour le grand public (le drame - que nous mettons régulièrement en exergue - des courts-métrages « in-visibles » !). Si nous commençons par cette anecdote, c’est que le thème traité par Pierre Bouquet a des analogies avec l’un de ceux traités par Téchiné. En l’occurrence, le trouble de la copine Sophie, est ici, chez Téchiné, celui de Muriel, la grand-mère. Même analogie avec la conclusion des deux œuvres.

André Téchiné aborde une question grave sans avoir l’air d’y toucher. Tout commence dans une cerisaie, par une éclipse solaire. C’est la nuit en plein jour, l’on ne voit plus rien et si d’aventure on voulait regarder, l’on se brûlerait les yeux. Cette obscurité peut faire songer à une autre, symbolique, celle qui tombe sur la terre lorsque Jésus le Nazoréen est mis à mort. Une différence cependant, même si l’on peut penser que le réalisateur s’ancre dans un symbolisme trop appuyé, il s’appuie ici, au contraire des évangiles synoptiques, sur un fait réel, établi, l’éclipse solaire du 21 mars 2015, dans la matinée (en France). Point inaugural d’un récit qui se scandera en cinq jours, depuis le « premier jour du printemps 2015 » jusqu’au « cinquième jour du printemps 2015 ». Le sixième jour nous mènera dans une chambre d’un établissement de repos et se clôturera par une « éclipse » avec la fermeture du volet de la fenêtre de la chambre (et le film aurait peut-être pu, finalement, se conclure là, en écho à l’éclipse initiale. Le septième jour se situera un mois plus tard (et nous y reviendrons plus loin).

Outre un groupe de « jihadistes » (prédicateur, recruteurs, Alex, Lila et Bilal), l’intrigue se focalisera sur plusieurs axes, principalement des « paires » de personnages :

  • Muriel et Alex
  • Muriel et Youssef, son associé maghrébin
  • Alex et sa copine Lila
  • Alex et son pote Bilal
  • Muriel et Fouad, un ex-jihadiste repenti

Sans vraiment porter de jugement sur ses personnages, le réalisateur montre leurs fragilités, leurs zones d’ombres, le lieu de naissance des combats qu’ils mènent. Plus que de se focaliser sur ce que l’on appelle aujourd’hui la « radicalisation », ce sont les combats intérieurs des protagonistes, leurs difficultés de communiquer, l’image de l’autre qui sont ici en jeu. Bien sûr il y a aussi le regard tronqué que chacun a sur les autres, l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux bien sûr (mais sans être ici primordial) mais aussi le poids de la pression (sociale, religieuse, culturelle).

Sans être le plus grand film de Téchiné, l’on retrouve cependant la patte du réalisateur ainsi qu’une de ses actrices habituelles, Catherine Deneuve et Kacey Mottet Klein dans cet excellent long-métrage où le réalisateur s’inspire d’un ouvrage du journaliste David Thomson (Il s’agit d’un recueil d’entretiens intitulé Les Français jihadistes, publiés aux éditions « Les Arènes », en 2014). Et si nous découvrons Kacey Mottet Klein un peu à cheval, comme dans le remarquable Continuer de Joachim Lafosse, il sera surtout sur les routes avec le véhicule utilitaire de sa grand-mère. Pour rejoindre, notamment, des amis radicalisés, qui le préparent à se rendre en Syrie avec sa petite amie, Lila, qui travaille dans un home pour personnes âgées. Ce n’est pas vraiment « spoiler » que de l’écrire ici, car le spectateur s’en rendra assez vite, au contraire de Muriel qui aura besoin de plus de temps pour saisir les implications de la foi musulmane de son petit-fils.

Il faut ici relever le jeu d’acteur impressionnant de Kacey Mottet Klein qui excelle à faire découvrir les multiples facettes de son personnage (et de son jeu d’acteur). S’il avait déjà appris à monter à cheval, nous ne savons pas s’il a appris l’arabe pour le rôle ou s’il joue « en phonétique ». L’acteur était déjà devant la caméra de Téchiné pour Quand on a 17 ans et avait quasiment l’âge du titre. Le jeune acteur suisse que l’on avait découvert dans Keeper devait avoir l’âge de 19 ans lors du tournage de cet adieu à la nuit !

Le temps des cerises ? Vraiment ?

En revanche, il faut mettre en exergue deux incohérences du film. Voici en évitant au maximum de « spoiler ». L’une d’entre elles arrive le 5e jour lorsqu’un des protagonistes quitte en courant le lieu où il se trouvait enfermé et que dans le plan suivant il porte son sac à dos et son smartphone. Celui-ci est essentiel à l’intrigue puisque l’impossibilité de se joindre téléphoniquement a des incidences sur le 4e jour ! Mais puisqu’il fuyait comment ce personnage a-t-il pu prendre son sac à dos ? Laissons cela de côté, ce doit être lié à notre ancien métier d’Officier de Police Judiciaire.

La toute grosse incohérence se situe dans la dernière partie du film. L’on se trouve dans la cerisaie et l’on est occupé à la cueillette des cerises. Ah, le temps des cerises, nostalgie où tous les espoirs sont permis... mais il faut le temps qu’elles murissent. Le gros problème, énorme, c’est que nous sommes « un mois plus » tard... soit fin avril... Déjà la floraison arrivait très tôt mais des fruits en moins de quarante jours, impossible. L’on pourra se dire « quelle importance ? ». Aucune si le film n’était pas scandé dans le temps... mais en voulant inscrire l’intrigue dans une temporalité « réelle », à savoir l’éclipse du 21 mars et en précisant l’entrée de chacun des jours à l’écran... le réalisateur donne une dimension essentielle et structurante du « calendrier » dans le film. Nous avons suggéré à l’attachée presse de faire remonter l’info. Il suffit, très simplement, de remplacer la mention à l’écran « un mois plus tard » par « trois mois plus tard » et l’incohérence disparaît sans nuire aucunement à l’intrigue, bien eu au contraire (et ferait remonter notre cotation du film !).

Pour conclure, signalons deux films qui traitent de la radicalisation et qui valent la peine d’être (re)vus :

https://www.youtube.com/embed/OSWFd6TCRjo
L'Adieu à la nuit, d'André Téchiné - bande annonce exclu - YouTube


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